Armelle Courtois et Martin Thomas sont déterminé·es à faire entrer les enjeux écologiques dans le monde du sport. La première est vice-championne de kite-surf de vitesse, le second s’est placé cinquième des derniers Jeux olympiques en canoë-slalom. Ensemble, ils ont kite-surfé sur les plus hauts lacs du monde pour alerter sur la fonte des glaciers, et s’attellent désormais à mobiliser des athlètes de haut niveau face à l’urgence écologique. Rencontre.
Au cœur des Alpes, comme dans les Andes ou l’Himalaya, la fonte des glaciers redessine la géographie de la haute montagne. De nouveaux lacs d’altitude apparaissent sur les ruines de ces géants de glace, offrant un criant témoignage des conséquences du dérèglement climatique. Confronté·es à cette réalité, deux sportif·ves de haut niveau, Armelle Courtois et Martin Thomas, ont monté le projet Riding To Explore avec un objectif en tête : kite-surfer sur les plus hauts lacs du monde pour donner à voir le désastre en cours.
L’émerveillement face à la nature fragile permet à chacun·e d’avoir un déclic
En 2019, le couple s’est entouré de pros de la montagne, de scientifiques et d’une équipe de tournage pour une première expédition dans les Alpes. Loin de leurs lieux d’entraînements habituels – les plages pour Armelle et les bassins artificiels pour Martin –, les deux aventurier·es ont gravi des cols avec plus de 25 kg de matériel sur le dos pour accéder à des lacs avoisinant les 3 000 m d’altitude.
Sensibiliser par l’émerveillement
Un spectacle qui offre un « un étrange mélange de fascination et de tristesse », confie Armelle Courtois. « Quand on le voit pour la première fois, c’est à couper le souffle. Puis, on remarque qu’il y a trop de pierres, qu’il y a quelque chose d’anormal, qu’il y a de la souffrance dans le paysage ». Un phénomène que les images capturées pendant l’expédition mettent en valeur. Armelle et Martin espèrent que leur diffusion permettra de sensibiliser plus largement à la catastrophe écologique en cours.
Quelques mois et une belle performance olympique pour Martin plus tard, le duo s’aventure dans l’Himalaya puis dans les Andes, et Armelle décroche le record du monde d’altitude en kite-surf : 5 025 m. De ces expéditions naissent deux films (Sous le vent des glaciers et One Degree), et une immense envie de partager « cet émerveillement face à la nature fragile qui permet à chacun·e d’avoir un déclic ».
À l’été 2022, ce duo hors norme emmène une quinzaine de sportif·ves de haut niveau sur la Mer de Glace, à Chamonix, le plus grand glacier des Alpes qui perd entre cinq et dix mètres de glace tous les ans. Aux côtés de glaciologues, de guides de haute montagne et d’acteur·ices du sport durable, les athlètes issu·es de disciplines parfois éloignées (natation, ski, judo, triathlon…) ont été sensibilisé·es à l’urgence climatique, entre ateliers ludiques et randonnées.
Baptisé Sport For Future, le projet vise à accélérer le réveil écologique du monde du sport, en transformant des athlètes en ambassadeur·ices de la transition. La deuxième édition, en août dernier, a réussi à mobiliser, entre autres, Fulgence Ouedraogo, troisième ligne du Montpellier Hérault Rugby, et l’ultra-traileur Xavier Thévenard. Un beau signal envoyé au monde du sport.
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Vous connaissez tous les deux le sport de haut niveau. Comment gérer la contradiction qui peut apparaître entre votre passion et une conscience écologique forte ?
Armelle : Dans mon cas, la sensibilité à l’environnement ne vient pas d’une éducation particulière. C’est venu petit à petit, en grandissant. J’aimais évoluer en pleine nature, alors forcément ça m’a donné envie de la protéger. Mais c’est à partir du projet Riding To Explore que je me suis vraiment sensibilisée à l’urgence écologique. Voir les glaciers souffrir de ses propres yeux provoque un électrochoc. Alors j’ai creusé la question dans mon coin, en allant rencontrer des scientifiques par exemple.
La recherche de performance pousse parfois à mettre des œillères, à oublier notre sensibilité environnementale
Il n’y a pas toujours de contradiction entre sport et écologie. Ça a été le sport qui nous a permis d’aller au contact du réchauffement climatique, de nous intéresser à l’enjeu écologique. Aujourd’hui, j’ai arrêté la compétition, mais je reste convaincue que le sport peut être mis au service de la sensibilisation et du bien commun.
Martin : J’ai commencé le canoë aux alentours de 13 ans. Je suis tombé amoureux de ce sport parce que c’était un sport de pleine nature, on était dehors en permanence, on faisait des stages dans les Alpes dans des paysages magnifiques. Un vrai plongeon dans la nature. Puis au fil des années, je suis tombé amoureux de la compétition, de la performance pure.
À partir de là, on ferme un peu les yeux sur les conditions dans lesquelles on pratique le sport. Et la recherche de performance pousse parfois à mettre des œillères, à oublier notre sensibilité environnementale. Ces vingt dernières années, les compétitions de canoë en plein-air ont quasiment disparu, remplacées par des bassins artificiels souvent alimentés par des pompes.
En 2021, j’ai atteint le niveau des Jeux Olympiques, qui est l’aboutissement ultime dans ma discipline, mais je ne me retrouve plus dans ce que j’ai aimé. On fait fausse route. On s’éloigne de l’essence même du sport, de ses valeurs, des choses qui attirent les jeunes à l’origine, comme la beauté du milieu naturel. Je continue la compétition parce que j’aime ça, j’aime mon sport, j’aime la compétition. Mais c’est un gros dilemme.
Armelle : Et puis le fait de rester dans le circuit de compétition donne une légitimité. Un·e sportif·ve qui gagne des titres sera toujours plus écouté·e et plus médiatisé·e qu’un·e sportif·ve à la retraite. La compétition permet de toucher plus de monde. Mais on reste tiraillé·es, on se demande : est-ce qu’il faut tout arrêter ?
Est-ce que vous sentez que le monde du sport évolue sur l’écologie ?
On s’éloigne de l’essence même du sport, de ses valeurs, des choses qui attirent les jeunes à l’origine, comme la beauté du milieu naturel
Martin : Il y a des sportif·ves et des fédérations qui commencent à se bouger, mais ça reste encore un peu tabou. C’est la performance qui reste l’objectif principal. Sauf que demain, les compétitions ne seront plus possibles. Et c’est parfois déjà le cas. Dans le cas du canoë-slalom, il y a des championnats du monde annulés par manque d’eau, parce que même les bassins artificiels sont touchés par la sécheresse ou par les inondations. Et j’imagine qu’être dans un dojo en plein été ça ne doit pas être drôle, ou que les gazons des stades ne doivent pas être très beaux.
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Armelle : Le sport professionnel est très difficile à toucher. Les fédérations et les clubs sont verrouillés par des calendriers et des contrats qui laissent peu de place à des moments de formation et de sensibilisation comme nous le faisons avec Sport For Future. Le plus hermétique, c’est le milieu du football, on a l’impression que c’est inatteignable. Mais on ne désespère pas qu’ils nous contactent un jour, et qu’ils se lancent dans une vraie démarche responsable.
Quel rôle peuvent jouer les sportif·ves face à l’urgence écologique ?
Armelle : On se dit qu’il faut des gens convaincu·es à l’intérieur du sport, pour le faire évoluer. Il est nécessaire de créer une cohésion au sein du sport de haut niveau, autour des enjeux écologiques. C’est ce qu’on essaye de faire. À l’image d’un collectif de skieurs et skieuses qui a fait pression sur leur fédération internationale pour changer le calendrier de coupe du monde et limiter les déplacements en avion.
Grâce à nos titres, nous devenons des porte-paroles, et nous pouvons utiliser ce statut pour porter haut des messages écologiques.
Et pour ça, on commence par toucher l’émotionnel. Quand on amène les sportif·ves sur le glacier de la Mer de Glace, ils/elles sont tout de suite frappés·es, ils/elles se rendent bien compte que le glacier faisait 100 m de plus de haut l’année de leur naissance. C’est important pour nous qu’ils/elles le voient de leurs propres yeux, ça sera toujours plus fort que n’importe quel chiffre ou image sur un powerpoint.
Martin : Cette année, quasiment tous·tes les participant·es de Sport For Future n’avaient jamais vu de glacier de leur vie. L’émerveillement était immense. Et juste à côté du groupe, il y avait des glaciologues qui leur racontaient les causes et les conséquences de la fonte de ces colosses de glace. C’est une expérience qui mêle le côté scientifique avec le côté émotionnel. Ça les touche profondément. Les discussions permettent aussi de prendre du recul par rapport à notre position d’athlète, et on ne se sent pas grand-chose.
Sauf que les scientifiques nous rappellent bien que nous avons un rôle à jouer face à l’urgence climatique. Les sportif·ves sont davantage copié·es, admiré·es, écouté·es par le grand public parce que le sport est synonyme de plaisir et d’émerveillement pour beaucoup de gens. Grâce à nos titres, nous devenons des porte-parole, et nous pouvons utiliser ce statut pour porter haut des messages écologiques. Aujourd’hui, c’est ma motivation principale.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site du projet Riding to Explore. Le premier film d’Armelle Courtois et Martin Thomas, Sous le vent des glaciers, réalisé par Christophe Tong Viet, est disponible gratuitement sur YouTube. Retrouvez les dates de projection du second film, One Degree, sur les réseaux sociaux du projet.