Ils font partie des artistes français les plus connus au monde. Leurs partenaires de scène ? Metallica, Sepultura, Lamb of God et bien d’autres « guitar heroes ». Si Gojira casse des nuques, le plus célèbre groupe de metal français s’est aussi distingué par ses prises de positions écologiques, lançant des campagnes de soutien pour l’association Sea Shepherd, ou en soutien aux habitant·es d’Amazonie.
Un héritage de cette enfance passée sur les plages landaises, jonchées de déchets, nous raconte aujourd’hui Joe Duplantier, chanteur et guitariste de Gojira, depuis New York où il réside. Rencontre à l’occasion de leur venue ce week-end à l’Ocean Fest d’Hugo Clément et Worakls, à Biarritz.
Vous êtes originaires des Landes, l’une des raisons pour lesquelles vous avez accepté de venir à l’Ocean Fest ?
Joe Duplantier : Du tout, on a accepté parce que ça nous paraissait très important. On a collaboré avec Sea Shepherd il y a quelques années pour les inviter à nous suivre sur des festivals et nos tournées aux États-Unis et en Europe. C’est une ONG tournée vers l’action, ça nous correspond bien, on a cette énergie-là un peu rebelle, on a envie de casser des choses en place pour reconstruire.
Votre nom de groupe, Gojira, est inspiré du film japonais Godzilla qui met en scène ce monstre créé à partir d’essais nucléaires dans le Pacifique. Est-ce qu’il y avait dès le départ cette envie de se positionner dans une forme de militantisme ?
On était des gros fans du groupe Sepultura qui parlent de Godzilla dans une de leurs chansons, donc j’ai associé Godzilla au métal dans ma tête. C’était le tout début, on ne se prenait pas trop la tête sur le sens profond de notre nom, mais on aimait le côté écrasant de Godzilla qui vient tout balayer sur son passage. C’est progressivement devenu Gojira pour des questions de droit. Personnellement, j’ai toujours vu Godzilla comme le symbole d’un retour de bâton de la nature après tous les abus des humains. C’est un peu le karma.
On ne peut pas faire les choses impunément, on ne peut pas manger tous les poissons et espérer que les cycles naturels de l’océan se poursuivent. Par exemple, les thons sont en train de disparaître et certaines firmes essaient d’en conserver dans des frigos pour les vendre à prix d’or dans 50 ans. C’est d’un cynisme incroyable.
Cette sensibilité écologique prend vraiment de la place dans vos textes à partir du troisième album, From Mars to Sirius, mais il y avait avant des inspirations hindouistes et des premières traces dans votre enfance. Comment est né cet engagement ?
Il y a une dimension très spirituelle de quête dans notre musique qui a toujours été présente. C’est-à-dire se poser des questions existentielles que l’on a tous·tes : qu’est-ce qu’on fout ici ? Est-ce qu’il y a du bien et du mal ? Est-ce que tout ça est une illusion ? C’est ce qui émerge spontanément quand j’écris des paroles.
Mais effectivement, il y a aussi un aspect écologique. Le sujet me touche depuis que je suis gamin. J’allais régulièrement faire du canoë sur le lac à côté de chez moi pour ramasser des sacs plastique qui flottaient. J’étais toujours très choqué par les déchets sur la plage. Et quand on allait les ramasser avec des potes, les passant·es pensaient qu’on avait été condamné·es à des travaux d’intérêt général.
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On est tous·tes dans des petites bulles, on fait confiance au système sans se poser trop de questions. C’est ce qu’on apprend à l’école. Ça m’a toujours beaucoup attristé. Alors dès qu’il y a une petite étincelle qui peut nous faire sortir des carcans, je pense qu’il faut vraiment la cultiver. Ce discours peut paraître niais ou téléphoné, on nous a déjà traités de hippies plusieurs fois. Mais peu importe, il y a des choses plus importantes que le statut social et il y a tellement de choses que l’on peut faire dans cette vie pour rendre le monde plus acceptable.
Comment se passe cette arrivée de l’engagement dans vos textes ?
On reste des musiciens avant tout. On fait de la musique, on part en tournée. Donc notre engagement écologique passe par la parole, par la médiation. Le thème principal de From Mars To Sirius n’est pas forcément l’écologie mais le thème est omniprésent. Il y a cette idée d’une transformation de l’humanité vers plus de conscience. Le morceau Global Warming a beaucoup fait parler par exemple. C’est ce qui se passe aussi avec les enjeux féministes, c’est une nécessaire évolution vers moins de cynisme, de toxicité, de machisme, qui gangrènent la société.
Il faut qu’on arrive à prendre conscience de notre impact personnel, de notre capacité à transformer notre quotidien.
Pour l’écologie, il faut qu’on arrive à prendre conscience de notre impact personnel, de notre capacité à transformer notre quotidien. Là-dessus, c’est à double tranchant, c’est parfois difficile pour moi d’en parler parce que je prends des avions pour partir en tournée. Ça m’embête. Mais il y a un choix à faire : soit on continue notre mission pour diffuser notre message, soit on disparaît de la circulation et notre voix s’éteint. Est-ce que notre message est plus important que les trajets en avion ? On se pose régulièrement la question.
Est-ce que tu lis des livres sur l’écologie ou c’est davantage ta sensibilité qui réagit à ce qu’il se passe autour de toi et dans le monde ?
C’est d’abord ma sensibilité qui réagit. Évidemment, j’ai lu des livres sur le sujet comme Le Cinquième rêve de Patrice Van Eersel qui m’a beaucoup marqué et a influencé l’écriture de From Mars To Sirius. C’est une fiction qui décrit un rêve que les dauphins auraient eu à propos de l’humain, et qui suppose que l’on vit dans un rêve de dauphin. C’est à la fois très poétique et bouleversant d’analyser l’être humain à travers ce prisme. Par la suite, je me suis beaucoup renseigné sur l’intelligence des baleines et des dauphins, ou sur leurs connexions avec les énergies telluriques.
J’ai une sorte d’obsession autour de la conscience. Au début, j’ai beaucoup parlé de zen ou de bouddhisme, c’est peut-être mon esprit qui a besoin d’évoluer, de penser qu’il est possible de se rassembler, de ne faire qu’un, de rompre avec ce monde fait de division, de ségrégation, de peur, de jalousie… Tout ça passe par l’écriture des textes.
J’ai toujours voulu comprendre comment on en arrive à cette folie humaine et cette méchanceté. Comment des mésententes parfois simples peuvent mener à de grandes violences. On fait tomber des bombes sur des enfants, on envahit des pays en brûlant des villages, on fout des animaux dans des cages dans lesquelles ils ne peuvent pas bouger de leur vie, et ensuite on les mange. Je suis toujours rebelle envers la société, j’ai envie de m’apaiser et d’avoir un peu plus foi en l’humanité, mais j’ai du mal.
L’humain a une grande capacité à se voiler la face
Peux-tu nous parler de ce projet d’EP en collaboration avec Sea Shepherd qui n’a jamais vu le jour ?
Il y a 15 ans, je suis devenu végétarien, puis végan. Ça me fait encore bizarre de me dire que je suis végan, on a parfois l’impression que c’est une maladie. Alors que c’est simplement enlever les produits issus des animaux de mon alimentation. Quand les gens me demandent : « mais qu’est-ce que tu manges ? », je réponds « de la nourriture sans animaux », ce n’est pas très compliqué.
En 2006, j’ai vu un film sur les requins qui s’appelle Shark Water, dans lequel apparaît Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd. Le film raconte, entre autres, comment on pêche les requins pour leur couper l’aileron, avant de les relâcher dans l’eau où ils meurent. Tout ça pour de la soupe. J’ai tout de suite voulu aider Paul Watson et Sea Shepherd dans leur mission.
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Ça m’a fait réaliser l’impact direct que l’on a : quand on achète un poisson quelque part, ça signifie que quelqu’un l’a pêché, retiré de l’océan, tué, déplacé, transformé… C’est évident mais il faut le rappeler parce que l’humain a une grande capacité à se voiler la face.
Progressivement, j’ai voulu aller plus loin dans l’action, en proposant quatre morceaux à Sea Shepherd et en invitant plein d’artistes. Il y a eu un élan comme ça qui a duré un an. J’ai convaincu les gars du groupe, on est partis avec Mario à Los Angeles pour bosser avec Logan Mader (ex-Machine Head).
Puis il y a eu des complications techniques, un disque dur qui a lâché, et on a enchaîné avec une tournée. On a tout de même réussi à sortir le morceau Of Blood and Salt avec Devin TownSend au chant et Fredrik Thordendal (Meshuggah) à la guitare qui fait un solo. C’était énorme, mais les trois autres morceaux n’ont jamais été finis. Depuis ce jour, je ne fais que parler de cet EP perdu. Je me suis remis à bosser dessus, l’Ocean Fest m’a motivé. Il y a un morceau sur lequel Brann Dailor de Mastodon chante, j’espère que ça sortira un jour.
Il y a aussi eu le morceau Amazonia, et son clip incroyable, comment s’est montée cette grosse opération ?
Tout est parti d‘un jour où il y avait de grands incendies dans la forêt amazonienne, on était en studio avec Mario et ces nouvelles nous ont absolument dévastés. On était tristes, en studio, et on s’est mis à jouer un morceau qui a une vibe un peu tribale. Le morceau a jailli, on l’a vite enregistré.
C’est comme ça qu’on fait de la musique, en frottant des émotions, en associant notre tristesse à du courage, à de l’optimisme
Ce n’est pas exactement de la musique amazonienne, on a utilisé de la guimbarde par exemple, il y a eu quelques remarques là-dessus, genre « Occupez-vous d’abord des forêts françaises ». Mais avant d’être Français, on est terriens. Et je m’inquiète de ce qu’il se passe sur Terre. Il faut comprendre qu’on est tous·tes interconnecté·es, par les vents, par les courants, les animaux, l’oxygène, l’eau… Donc la forêt amazonienne nous concerne tous·tes, c’est la dernière grande forêt primaire. Pas besoin de rentrer dans les chiffres alarmants pour s’en préoccuper.
On a donc fait ce morceau, Amazonia, dans lequel on recycle notre colère en énergie. C’est comme ça qu’on fait de la musique, en frottant des émotions, en associant notre tristesse à du courage, à de l’optimisme. Puis on s’est dit qu’on ne pouvait pas sortir ce morceau comme ça. Il fallait créer quelque chose autour, créer un moment d’activisme.
J’ai une amie brésilienne à New York qui est artiste et activiste, Adriana Varella. Elle m’a appelé plusieurs fois en pleurs pour me tenir au courant de la situation, de l’évolution des lois qui maltraitent les communautés autochtones. À travers elle et d’autres recherches, j’ai approfondi ma connaissance de la situation sur le terrain.
L’idée de l’opération Amazonia était de faire du bruit et de récolter de l’argent autour de cette cause, aider les communautés qui sont la clé pour sauver la forêt amazonienne. Pour la première fois, une communauté a pu acheter et sécuriser du terrain. C’était particulièrement compliqué pour elle pendant la présidence de Jair Bolsonaro. Aujourd’hui, c’est un peu mieux, les choses s’améliorent, mais le combat continue.
Comment as-tu rallié tous les gens de la scène métal qui t’ont suivi autour de ce projet ? C’est l’écologie ou Gojira qui les a chauffés ?
C’est les deux. Les métalleux·ses ont assez bon cœur je trouve. Je n’aime pas le mot métalleux·se, comme végan·e, ça met les gens dans des cases. Mais les amateur·ices de métal sont assez sincères, intelligent·es, ouvert·es à tous les styles musicaux…
Des grands noms du métal (Korn, Deftones, Metallica, Mass Hysteria…) ont répondu présent pour cette opération Amazonia. Ils ont mis à la vente des objets comme la basse de Justin Chancellor du groupe Tool, la caisse claire d’Abe Cunningham (Deftones) qui a enregistré Adrenaline. On a quand même réussi à collecter 300 000 $ à verser directement aux communautés autochtones du Brésil. On a remis cette somme à Sonia Guajajara qui est aujourd’hui la Première ministre des peuples autochtones du Brésil.
Tu défends l’idée que le public du métal est particulièrement sensible à ce genre d’enjeux, attentif au soin de l’autre et de la planète. Quelle place occupe la culture écologique dans le genre du metal et du death metal ?
Selon moi, si on est capable d’apprécier le métal, ça veut dire qu’on a une certaine sensibilité. Bon, c’est peut-être aussi qu’on a des problèmes et une envie de se défouler, mais il vaut mieux tomber dans le métal que dans la drogue, le déni ou le narcissisme. Mais ce n’est pas que ça, il y a une vraie qualité dans le metal que l’on ne peut voir qu’avec une certaine ouverture d’esprit.
Souvent, les métalleux·ses rigolent, boivent des bières, écoutent de la musique fort, il y a une certaine folie, mais avec une vraie intelligence et une capacité d’analyse qu’on observe toujours. Et c’est à partir de ça que se déploie la compassion. Dans nos concerts, dès que quelqu’un se fait mal, tout le monde s’arrête, les gens s’aident… J’aime bien défendre la communauté métal, même s’il y a des trucs qui m’énervent forcément. Il y a des poseurs partout de toute façon.
J’ai une question de journaliste : tu viens du death metal, comment est-ce que chanter la mort permet de chanter la vie ?
La réponse est dans la question, C’est logique, la mort fait partie de la vie. On est tous·tes bloqué·es entre le traumatisme de la naissance et la peur de la mort. Entre les deux, il y a une fenêtre de quelques années où l’on peut apprécier ce qu’il se passe. La question de la mort, c’est d’où on vient ? Où on va ?
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Je me demande souvent si c’est simplement la beauté incroyable du death metal qui fait résonner une corde sensible chez moi, ou si ma musique vient d’une nécessité de jouer quelque chose que les gens n’aiment pas exprès, de le rendre dégueulasse et violent, comme une claque à la société. Je pense que c’est un peu les deux. L’artiste réagit toujours à son environnement.
Si on prend le tableau Le radeau de la méduse de Théodore Géricault, c’est le premier tableau qui représente un fait divers. Ça a cassé plein de codes de son époque, c’était très death metal, alors qu’aujourd’hui c’est perçu comme classique.
En ce sens, le death metal est une musique de désobéissance civile ?
Oui, complètement. Dans notre toute première démo, je dis : « je suis le diable ». Quelque part, j’avais envie de dire ça parce que je viens d’une famille très catholique du côté de mon père. Je ne pense pas que je suis le diable, mais je trouvais intéressant, déjà à 16/17 ans, de le formuler comme ça. On s’épanouissait beaucoup avec mon frangin à faire des sonorités un peu bizarres qui choquent l’oreille mais finissent toujours par retomber sur leurs pattes.
Et petit à petit, à travers l’engagement écologique et politique, on est un peu sortis du monde complètement symbolique, mythologique, pour aller vers des choses très concrètes : l’Amazonie est en feu par exemple. Dans les anciens albums, on parlait de dragon, de traversée de l’espace… de choses qui n’existent pas, qui sont extérieures à ce monde. Aujourd’hui, on arrive à parler de vraies choses : des lieux, des injustices…
Quand on est petit, on a l’impression d’être entouré par le réel, donc désobéir c’est parler de choses imaginaires. Mais en vieillissant, on se rend compte que personne ne parle du réel, de ce qui compte. Donc désobéir, c’est finalement en parler de manière directe.
Exactement. Il faut désobéir pour modeler notre société, nos codes, nos traditions, casser certaines choses très toxiques.
Shaka Ponk a récemment affirmé arrêter les grosses tournées pour des raisons écologiques. Comment Gojira se positionne par rapport à cet enjeu des tournées ? Comment interprétez-vous le message de Shaka Ponk ?
C’est extrêmement compliqué. On y pense, on en parle. Pendant des années, on a essayé de trouver des astuces en tournée pour consommer moins d’énergie, mais on s’est rendu compte que c’était une goutte d’eau dans l’océan. On a banni les bouteilles plastiques, on a demandé à toutes les salles d’avoir des bonbonnes d’eau. Ça n’a pas marché.
J’essaie de porter des messages, comme celui autour du véganisme ou de la souffrance animale
De mon côté, j’essaie de porter des messages, comme celui autour du véganisme ou de la souffrance animale. Après, quand il s’agit de se déplacer, d’amener une scène quelque part, c’est compliqué. Il faut savoir que ce qui pollue le plus, ce sont les voitures des personnes qui viennent au concert. Surtout quand on est énorme, qu’on joue dans des Arena, il y a 10 000 bagnoles qui débarquent. Ce n’est pas notre émission directe, mais c’est tout de même nous qui le provoquons.
Dans ce cadre, je comprends que des groupes comme Shaka Ponk se retirent, parce qu’en fait les jours sont comptés. On est toujours sur une ligne de crête, on continue de penser qu’on a un rôle à jouer dans l’éducation de nos auditeur·ices, que la musique est trop essentielle à l’être humain, mais en même temps il faut montrer l’exemple…
Notre équipe est de plus en plus grosse, grâce au succès. Dans un sens, on est victimes de ce succès parce que ça complique tous ces efforts. On a beaucoup plus de partenaires, on est portés par une grosse machine, mais je continue à espérer qu’au total, elle fait plus de bien que de mal.
Retrouvez les informations sur l’Ocean Fest sur le site du festival.