À l’approche des élections européennes le 9 juin prochain, les artistes-activistes du Bruit qui court ont donné le coup d’envoi de leur campagne créative Pop the Vote. Objectif : inciter les jeunes (et moins jeunes) à voter pour éviter une victoire de l’extrême-droite.
« Le GOAT ! », « Jordan je t’aime », « Pourquoi voter Jordan Bardella aux élections européennes »… Quand on recherche « élections européennes » sur TikTok, plus d’un tiers des premiers contenus qui s’affichent concerne le Rassemblement national. Au milieu de ces contenus partisans de l’extrême droite, on en trouve quelques-uns du camp progressiste, comme celui de FranceTV (« Les mal inscrits aux élections européennes ») ou de la créatrice de contenu Farah RK : « Élections européennes : vous allez tout savoir », promet celle-ci.
Mais si certain·es voient les réseaux sociaux comme un terrain de chasse, d’autres ont choisi de faire des élections un terrain de jeu. Ainsi du collectif d’artivistes Le Bruit qui court qui a lancé, le 16 avril 2024 à la Gaîté Lyrique (Paris), sa campagne autour des élections européennes, Pop the Vote. Imaginée dans le cadre d’un appel du réseau Culture Action Europe, elle s’attaque avec créativité et humour à l’abstention massive des jeunes. Et veut « montrer que voter, c’est le truc stylé à faire pour ces prochains mois », dans les mots de Julie Pasquet, cofondatrice du Bruit qui court.
Ce groupe de militant·es créatif·ves et engagé·es, rodé aux happenings originaux et aux canulars inventifs, mise pour Pop the Vote sur un dispositif « fun et joyeux ». Avec un peu d’upcycling et beaucoup d’ingéniosité, il fabrique un disco-isoloir et formule une promesse : le vote peut être une fête et la démocratie, devenir plus pop.
Aya Nakamura ou ABBA ?
Ce jour-là à la Gaîté Lyrique, une cinquantaine de jeunes ont répondu présent. L’attente devant l’isoloir risquait donc d’être longue, mais c’était sans compter l’accompagnement chaleureux et efficace de l’équipe de bénévoles du Bruit qui court. Chargé de l’accueil des arrivant·es, Clément leur explique comment se déroule le vote.
On ne s’étonne pas de l’affluence car l’enjeu est grand. « Poukie » d’Aya Nakamura ou « Dancing Queen » d’ABBA, « Crazy in Love » de Beyoncé ou « Résiste » de France Gall : à chaque tour, c’est 1 contre 1. Le morceau qui remporte le plus de voix est le suivant sur la playlist. Et comme à toutes les élections, les défaites peuvent être amères. Des « mais non c’est pas possible » désespérés retentissent ainsi au moment de l’annonce de la victoire de « La tribu de Dana » de Manau.
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Les participant·es expérimentent une version bêta du disco-isoloir. Cette structure en acier fermée par un court rideau a tout l’air d’être aux normes. Si ce n’est qu’une boule disco prend un peu de place à l’intérieur. Julie raconte comment est née l’idée : « On est parti·es de l’outil que tout le monde connaît, l’isoloir. On s’est demandé comment le pimper et on a créé le disco-isoloir. » Un mot-valise qui défie le merveilleux pianocktail de Boris Vian, cet instrument imaginé par l’écrivain dans L’Écume des jours qui crée des cocktails à chaque mélodie.
D’autant que le disco-isoloir est modulable et s’adapte aux contextes. L’objet sera ainsi disposé dans l’espace public au printemps. Au détour d’une rue, les passant·es pourront voter pour leur morceau préféré, échanger sur le vote et parler de démocratie en dansant. Jusqu’à se dire, finalement : « Ah ouais c’est la teuf ici, trop bien, je vais aller voter ! », s’enthousiasme Julie. Comme pour chacune de ses actions, le Bruit qui court vise à « mettre du beau dans ce qu’on fait, en proposant des mobilisations qui sortent un peu du cadre ».
Pour Dorien Dreuil, co-fondateur de l’association A Voté qui défend les droits civiques et le progrès démocratique, l’action de voter est particulièrement importante, même si l’avenir de l’Europe ne repose pas sur la sélection d’un morceau (quoique). Le dispositif du disco-isoloir a le mérite de « créer de la curiosité, de l’intérêt », explique-t-il. « On voit dans toutes les sociologies de l’abstention que le vote est considéré comme une habitude ». Autrement dit, c’est le geste qui compte.
Mais la parole aussi. Des moments plus calmes entretiennent ainsi le rythme de la soirée et nourrissent les rencontres. Clément précise que le déroulé, entre quiz, lecture, cercle de parole et moment festif, permet de « créer des espaces de discussion qui ne sont pas descendants ».
« Mettre du beau dans ce qu’on fait »
Parmi les préoccupations des participant·es, il y a d’abord le fait de ne pas avoir assez d’informations sur les élections européennes. « Je fais des études qui concernent les élections européennes mais j’en ai peu entendu parler et ça m’inquiète, lâche Victor, tee-shirt blanc et cheveux mi-longs. Je me demande si les gens sont au courant de ce pour quoi ils vont voter ». Marie, qui cherche encore à se réchauffer dans son épais pull blanc, renchérit : « Physiquement, je ne sais même pas à quoi ressemblent les personnes pour lesquelles je vais voter. C’est assez dur et ça fait que je me sens un peu éloignée. »
Une inquiétude bien identifiée par Le Bruit qui court. En guise d’ouverture de la soirée, le collectif propose donc un quiz. Combien l’UE compte-t-elle d’États membres ? De quelles instances est-elle composée ? Comment se déroule une élection européenne ? Autant de questions que l’assemblée, stimulée par la dimension ludique de l’activité, n’hésite pas à débattre. Mais les réponses ne sont pas toujours drôles. Avec seulement 40% de taux de participation aux élections européennes de 2019, l’implication des jeunes est faible. « Désolée, ça plombe l’ambiance, mais l’idée c’est que ça vous donne envie d’aller voter et de convaincre vos proches », motive Julie.
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Autre source d’anxiété et grand sujet des élections européennes du 9 juin : l’écologie. Car avec la montée de l’extrême droite, les remises en cause du Green Deal – cet ensemble de lois et stratégies visant à permettre à l’UE d’atteindre la neutralité carbone en 2050 – risquent d’être particulièrement fortes. Mais la percée de l’extrême droite impacte aussi d’autres sujets, cités tour à tour par l’auditoire : la guerre en Ukraine, l’agriculture, la question de l’État de droit… En bref, résume Dorian, ce qui est en jeu, c’est « assez simplement et assez banalement la question de la démocratie ».
Une notion peut-être un peu vague que Le Bruit qui court se propose alors d’illustrer. Invitant les participant·es à fermer les yeux, Julie s’apprête à lire les mots de Simone Veil. Dans le discours du 17 juillet 1979, prononcé à la suite de son élection à la tête du Parlement européen, Simone Veil évoque les termes de paix, de liberté et d’espérance. La fin de la lecture qu’en donne Julie provoque quelques reniflements émus dans la salle. L’enthousiasme que suscitent les volubiles animateur·ices du Bruit qui court et les échanges avec les autres jeunes font du bien. « Je me sens remotivée », affirme Lou, l’une des participantes. Preuve que l’émotion et le rire peuvent mobiliser.
Les inscriptions sur les listes électorales pour les élections européennes sont ouvertes en ligne jusqu’au 1er mai et en mairie jusqu’au 3 mai. Pour rencontrer Julie Pasquet et discuter des liens entre Europe et écologie, rendez-vous le 26 mai à la Gaîté Lyrique pour l’enregistrement du podcast « Europe et Sentiment ».