En manif dans les rues de Paris, sur les réseaux sociaux ou sur les voies cyclables de Bretagne, le Bruit qui Court ne passe jamais inaperçu. Le collectif place l’art au cœur de l’engagement écologique et social, prônant une résistance dansée, chantée, poétique et terriblement joyeuse. Portrait de ces « artivistes » inspirant·es.
« On a marché, on a signé des tribunes, on a fait du plaidoyer, on a fait de la désobéissance civile. Mais on n’est toujours pas en train de gagner. On fait quoi maintenant ? ». C’est la question qui préoccupe un groupe de potes militant·es à l’été 2021. Engagé·es dans divers collectifs, chacun·e est bien conscient·e que son engagement pour l’écologie et la justice sociale ne fait que commencer, et qu’il y a peu de chances que le dérèglement climatique, les inégalités sociales et l’érosion de la biodiversité se résorbent demain comme par magie.
Alors que faire face à l’épuisement, au sentiment d’impuissance qui les gagne avant d’avoir atteint la trentaine ? Comment, aussi, sortir de l’entre-soi pour porter l’écologie dans les territoires et les milieux sociaux qui font face à d’autres priorités et cultivent un autre rapport au monde ?
Je sens que j’ai trouvé une forme d’engagement qui m’épanouit
Au fil des discussions, les ami·es se réunissent autour d’un constat commun. « Avec le sentiment d’urgence, l’activisme nous avait complètement absorbé·es, reléguant notre part de sensible et d’artistique au second plan », raconte Julie Pasquet alors très active dans les associations étudiantes écolos. Le groupe prend la résolution de placer l’art au cœur de leurs engagements, pour convoquer les danseur·euses, poètes, musicien·nes ou comédien·nes qu’ils/elles n’ont jamais cessé d’être.
Plus d’un an plus tard, à l’automne 2022, ce même groupe – qui s’est élargi entretemps – organise une performance dansée autour de 1 500 kg de vêtements empilés dans le centre commercial des Halles, à Paris. Un happening très visuel, documenté par le média Brut, qui interpelle sur les dégâts environnementaux et sociaux de la fast fashion. Les images de l’action sont visionnées plus de 3 millions de fois sur les réseaux et dévoilent le Bruit Qui Court au grand public.
Le collectif « Le bruit qui court » a organisé un happening à Paris, dans un centre commercial, pour dénoncer l’impact du Black Friday et de la fast-fashion sur l’environnement.
Images @RemyBuisine pour Brut. pic.twitter.com/ln6kgrm95o— Brut FR (@brutofficiel) November 25, 2022
À lire aussi : « Jour du dépassement » : 5 œuvres d’art pour alerter sur les limites planétaires
Mettre l’art au service des luttes
C’est toujours le même sujet, mais on en parle autrement
« Je sens que j’ai trouvé une forme d’engagement qui m’épanouit », confie Julie, sourire aux lèvres. Aujourd’hui, le Bruit Qui Court réunit près de 200 artivistes – jolie contraction d’artiste et activiste. Entre leurs mains, la danse, la musique, l’écriture, l’humour ou la fête deviennent de redoutables outils militants. Des techniques qui, avec un peu de créativité, permettent de sensibiliser de nouveaux publics, d’apporter de la beauté et de la joie dans le quotidien des luttes, ou plus simplement d’interpeller sur les réseaux sociaux.
Difficile d’oublier la performance Résiste!, la création phare du collectif. Des dizaines de corps vêtus de noir qui s’approprient une place publique, dansant sur de la musique électronique et des textes qui oscillent entre humour grinçant, discours panique, poésie, parole d’espoir, et un ultime appel à la résistance artistique et joyeuse. De quoi mouiller nos joues, bouger nos corps.
Car à côté des rapports scientifiques, bilans carbone et autres discours rationnels qui ont amené l’écologie dans le débat public, les artivistes s’adressent surtout à la sensibilité et aux émotions. « C’est toujours le même sujet, mais on en parle autrement », explique Maxime Ollivier, aussi à l’origine du collectif.
À lire aussi : Qui est Nicolas Meyrieux, cet humoriste qui fait du stand-up dans les fermes de France ?
En avril dernier, le Bruit qui Court a par exemple organisé un canular géant, faisant croire à des milliers de Français·es qu’un pipeline géant était en construction, avec de faux chantiers dans des quartiers aisés, des lettres d’expropriation fictives, et même un standard téléphonique. Une grande farce pour dénoncer le projet EACOP de Total en Ouganda et en Tanzanie, et poser une question simple : pourquoi ce qui n’est pas acceptable en France le serait ailleurs ?
« Incarner de nouvelles façons d’être au monde »
Le Bruit Qui Court ne s’en cache pas, son objectif c’est « la bataille culturelle ». Les artivistes veulent diffuser de nouveaux modèles de réussite et de nouveaux imaginaires, changer les rapports au vivant, interroger l’éducation… Autant de voies destinées à « incarner d’autres manières d’être au monde », résume Julie, citant sans s’en rendre compte le manifeste du collectif.
J’ai peur d’avoir un jour 30 ans de militantisme et ne plus me remettre en question
Et pour cela, ils/elles créent des espaces uniques d’expression et de création collective : une tournée à vélo sur les routes de Bretagne autour d’une pièce de théâtre participative, une déambulation artistique pour les justices sociale et écologique dans les rues de Paris ou des ateliers d’écriture destinés à explorer d’autres futurs par la fiction. Car dans la société idéale du Bruit Qui Court, tout le monde est un peu artiste. « Ce mouvement est ouvert à toi qui aimes écrire dans ta chambre, chanter sous ta douche ou danser sous la pluie », scande le manifeste.
Mais les co-fondateur·rices sont clair·es sur un point : c’est la volonté de « changer les choses » qui prime sur tout le reste. « On ne veut pas devenir un tremplin pour artistes ambitieux·ses » développe Julie. Les amateur·ices ont toute leur place au sein du collectif, tout comme celles et ceux simplement désireux·ses de « danser leur colère ». La créativité est encadrée par le rythme, les objectifs et les techniques millimétrées issues du militantisme. Une source de discussions intenses parmi les artivistes. « On a parfois des artistes qui nous disent “wow tout va trop vite, j’ai besoin de temps de création, de temps de résidence créative” ».
Le manque de diversité sociale en son sein préoccupe également une partie du Bruit Qui Court. Alors, pour sortir du cercle des « personnes blanches qui ont fait des études », le collectif s’est formé aux questions d’intersectionnalité et rejoint d’autres luttes (féminisme, anti-racisme, anti-validisme…). « J’ai peur d’avoir un jour 30 ans de militantisme et ne plus me remettre en question » commente Maxime.
Deux ans après sa naissance, le Bruit Qui Court semble avoir concocté un remède efficace à l’éco-anxiété, déjà adopté par une large communauté de citoyen·nes prêt·es à créer et à militer autrement, tout en sensibilité. Julie et Maxime évoquent d’ailleurs volontiers la joie, le soin et l’amitié comme moteurs de leur engagement. Une belle victoire d’étape.