Comment faire rire en parlant d’écologie ? Peut-on être paysan et humoriste à la fois ? Qu’est-ce qu’on apprend en faisant la tournée des fermes avec un spectacle de stand-up ? Rencontre avec Nicolas Meyrieux, humoriste engagé, militant marrant, et bientôt paysan dans les Landes.
La plupart l’ont découvert avec sa série « La Barbe », publiées pendant plus de trois ans sur Youtube. Une cinquantaine de vidéos pleines d’humour qui décryptent méthodiquement les enjeux d’écologie, de justice sociale, de féminisme ou de démocratie. Un format qui a bercé le parcours de sensibilisation et d’engagement de beaucoup de jeunes aujourd’hui engagé·es.
Depuis l’arrêt de « La Barbe », Nicolas Meyrieux n’a pas chômé. Il est retourné à l’école pour obtenir un Brevet Professionnel agricole, a tourné un film-documentaire Nouvelles Graines sur le quotidien d’un couple de jeunes paysan·nes et consacre sa chaîne YouTube à sa nouvelle passion : l’agriculture. Cette année, il s’est installé dans les Landes, au terme d’un parcours du combattant de presque trois ans pour trouver un terrain, autour d’un beau projet de Jardin-Forêt.
Dans le stand-up, plus tu parles de toi, plus tu parles aux autres
En parallèle, il a écrit et joué trois spectacles de stand-up, continuant d’aborder les enjeux écologiques avec humour, pédagogie et poésie sur scène. Cet été, il a promené son dernier spectacle On ne sait pas dans une trentaine de fermes partout en France. Une expérience intense racontée dans un beau docu publié cet été sur YouTube. Visiblement, de la scène à la fourche, il n’y a qu’un pas.
Très tôt dans ta carrière, tu as fait le choix d’intégrer ton engagement écologique dans tes spectacles de stand-up. Comment arrives-tu à faire rire en parlant du dérèglement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité ?
Nicolas Meyrieux : Dans le stand-up, plus tu parles de toi, plus tu parles aux autres. En 2011, j’ai été très marqué par le film Océan de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, et j’ai commencé à être touché par ce qu’on appelle aujourd’hui la solastalgie, ou l’éco-anxiété. À l’époque, personne ne parlait d’écologie, c’était dur de se rendre compte que l’humain est en train de creuser sa tombe et que personne ne le remarque. Alors comme j’avais la chance d’avoir un métier de parole – j’étais déjà comédien – je me suis mis à écrire là-dessus.
Quelle meilleure pédagogie que l’humour ?
Le pitch de mon premier sketch sur l’environnement, c’est une palourde qui reçoit le prix de la meilleure interprétation féminine au Festival de Cannes, et qui vient faire un discours sur scène. L’occasion d’aborder l’impact des activités humaines sur les océans. Je me rappelle encore la réaction des autres humoristes qui ne comprenaient pas pourquoi je m’obstinais à aborder des sujets aussi casse-gueule sur scène.
Mon objectif, c’était de faire changer les mentalités en faisant de la pédagogie. Et quelle meilleure pédagogie que l’humour ? Mais il y a un vrai challenge pour arriver à jongler entre les idées que tu as envie de faire passer, les chiffres qui les appuient et des blagues. Idées, chiffres, blagues, ce sont les trois ingrédients indispensables de mes créations.
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Déjà à cette époque, je me suis dit que pour que mon travail soit vraiment utile, il faut aller au-delà d’un public d’écolos convaincu·es. Et pour ça, pas de secret : il faut être aussi drôle que les humoristes qui ne parlent pas d’écologie. La meilleure victoire, ce sont les personnes qui viennent me voir en me disant : « ah non moi je ne suis pas écolo, je regarde tes vidéos parce que t’es marrant ».
Pour que mon travail soit vraiment utile, il faut aller au-delà d’un public d’écolos convaincu·es
L’humour et l’écriture sont aussi une manière de parer ta solastalgie ?
Dans mon troisième spectacle, j’ai repris des personnages de la série « La Barbe » pour aborder le sujet de l’écologie de manière très didactique. Mais ce spectacle m’a épuisé. Quand tu parles d’effondrement cinq soirs par semaine face à un public qui est loin de tout ça, c’est très dur à porter. Ça m’a d’ailleurs poussé vers une dépression.
Alors pour mon dernier spectacle, j’ai choisi d’arrêter la pédagogie, d’arrêter d’arrondir les angles. Je suis pleinement moi-même. Je dis clairement aux spectateur·ices : « moi je ne suis pas Jamy, si vous voulez de la pédagogie regardez C’est pas sorcier ». Mon but c’est de présenter la réalité telle que je la perçois, sans filtre, même si ça peut être un peu brutal.
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C’est aussi une manière de pousser les gens à l’action, parce qu’il n’y a qu’en agissant qu’on peut sortir de l’éco-anxiété. Je pense que c’est un spectacle qui secoue mais qui fait du bien. Puis ça me fait beaucoup de bien de parler à nouveau de choses intimes sur scène. En plus d’offrir des temps de respiration, ça a un vrai effet cathartique face aux peurs et aux angoisses.
J’ai voulu casser l’idée que pour écouter de l’humour, il faut aller dans les grandes villes
Comment s’est passé le Farm Tour ? Pourquoi organiser une tournée de stand-up dans des fermes ?
On a fait 26 dates en un mois, partout en France, en s’arrêtant chaque jour dans une ferme différente. Je sens que cette tournée a planté plein de graines auprès de personnes qui n’étaient pas forcément proches de l’écologie.
Cette tournée permettait aussi de casser l’idée que pour écouter de l’humour, il faut aller dans les grandes villes. Je suis allé dans des villages où il n’y avait jamais eu de stand-up avant. Dans le public, il y avait de tout, des jeunes, des vieux, des paysans, des infirmières, des bourgeois… et plus de la moitié n’avaient jamais entendu parler de moi.
Et à côté de ça, cette expérience m’a permis de découvrir plein de modèles agricoles différents, et de tourner une vidéo par ferme. C’est la chose dont je suis le plus fier. En partageant tous ces témoignages et ces méthodes, les vidéos seront comme une formation agricole gratuite, accessible à tous·tes.
Quels liens fais-tu entre ton métier d’humoriste et ton projet d’installation agricole dans les Landes ?
Nicolas Meyrieux : Ce qui m’anime aujourd’hui, après 10 ans à me battre contre un système qui détruit le vivant, c’est de me battre pour un système, pour un monde d’après. Et particulièrement de convaincre les gens de se lancer dans les métiers agricoles. Aujourd’hui, 90 % de notre agriculture est dépendante des énergies fossiles qui sont appelées à décliner. Donc il nous faut plus de paysan·nes pour nous nourrir. C’est aussi simple que ça.
Pour l’avoir vécu, je trouve très inquiétant qu’il soit aussi compliqué de s’installer quand on est un·e jeune qui n’est pas issu·e du milieu agricole. L’installation, c’est vraiment les 12 travaux d’Hercule, alors qu’on manque cruellement de jeunes dans le secteur et que la grande distribution achète des grandes exploitations sans aucun problème. Mais bon, au moins toutes ces galères me donnent des idées pour le prochain spectacle.