Pour sa vingtième édition, l’Ultra-Trail du Mont-Blanc a officialisé son partenariat avec le constructeur automobile Dacia. Une décision qui s’est attiré les foudres d’une partie de la communauté trail qui estime que la course s‘éloigne des valeurs de la discipline, cédant aux sirènes de la démesure et du sport-business. La polémique relance alors le débat autour de la pertinence d’un tel évènement à l’heure de l’urgence écologique.
Depuis 20 ans, à la fin du mois d’août, des traileur·euses du monde entier se pressent à Chamonix pour la compétition la plus attendue de l’année : l’Ultra-Trail du Mont Blanc (UTMB). 8 courses, 10 000 participant·es, 100 000 spectateur·ices, 104 nationalités représentées, 460 journalistes accrédités, 18 millions de vues sur les réseaux sociaux… L’auto-proclamé « sommet mondial du trail » a fait entrer sa discipline, encore très confidentielle au début des années 2000, dans une nouvelle dimension.
L’UTMB peut choisir entre être le miroir de notre société, ou une fenêtre vers un monde meilleur et plus soutenable
Mais à l’approche de la vingtième édition, la course a officialisé son partenariat principal conclu avec le constructeur automobile Dacia, provoquant l’indignation d’une partie de la communauté trail. Une pétition accuse le désormais nommé « Dacia-UTMB » de participer au greenwashing de la filiale de Renault et de ses SUV, « véhicules qui figurent parmi les principales causes de l’augmentation des émissions de CO2 au cours de la dernière décennie ». « Il n’y aura pas de sport sur une planète morte » résume l’association The Green Runners à l’origine de la pétition.
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Pourtant monnaie courante pour les évènements sportifs, le naming passe mal dans le monde du trail. La pétition a recueilli le soutien de stars de la discipline comme Kilian Jornet et Hillary Gerardi, recordman et recordwoman de l’ascension du Mont-Blanc. Sur son compte Instagram, cette dernière a estimé que « l’UTMB peut choisir entre être le miroir de notre société (en reflétant la réalité du sponsoring des évènements) ou une fenêtre (vers un monde meilleur et plus soutenable) ». En relayant ce message, Kilian Jornet a ensuite encouragé les organisateur·ices de la course à choisir de « viser le futur plutôt que le profit ».
Les contradictions de l’esprit trail
Plusieurs voix ont également profité de la polémique pour interroger la pertinence de cet évènement XXL à l’heure de l’urgence écologique. En effet, les traileur·euses sont aux premières loges des conséquences directes du dérèglement climatique. Leur « terrain de jeu » en montagne se dégrade d’année en année, et ils/elles constatent de leurs propres yeux la fonte des glaciers, la multiplication des feux de forêt ou l’effondrement de la biodiversité.
Faire venir autant de monde sur les sentiers questionne par rapport à une montagne en souffrance
Mais même si l’esprit de la discipline se veut proche de la nature, et qu’une grande partie des pratiquant·es se dit très sensible à la crise écologique, un événement comme l’UTMB place le monde du trail face à ses contradictions. En 2019, le bilan carbone de la course chamoniarde était estimé à 11.610 tonnes eqCO2 par l’association WWF, soit environ l’empreinte carbone annuelle de 1300 Français·es. Et 80% de ces émissions étaient issues du transport des participant·es, dont la majorité viennent de l’étranger.
Sobriété non merci
Face à ce constat, l’organisation déploie des efforts d’éco-responsabilité : mise en place de navettes, sensibilisation du public, gestion durable des déchets… Mais c’est surtout la question de l’échelle qui interroge. « Faire venir autant de monde sur les sentiers, même si les coureur·euses sont réparti·es sur un large périmètre, questionne par rapport à une montagne en souffrance, associée à une tension de plus en forte sur l’eau et des phénomènes d’érosion patents. Plus crucial encore se pose le problème de la gestion du public qui vient toujours plus nombreux » explique Olivier Bessy, professeur à l’Université de Pau, spécialiste du sport durable, et auteur de l’ouvrage La quête de l’extrême : Marathons, 100 km et trails, à paraître en septembre 2023.
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L’UTMB est devenu un véritable symbole de l’hypermodernité et de la logique du toujours plus
Ce dernier décrit la « surenchère permanente sur les plans économiques, technologiques et médiatiques » dans laquelle l’UTMB a basculé, le rapprochant d’évènements internationaux comme Roland Garros ou le Tour de France. « Il est devenu un véritable symbole de l’hypermodernité et de la logique du toujours plus » conclut-il.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certains magazines américains s’amusent à le surnommer le « Super Bowl du trail ». Car même si Rihanna et Coldplay ne performent pas à Chamonix, on retrouve tout de même plus de 160 marques exposées dans l’« Ultra-Trail Village » installé sur place, une myriade de produits dérivés estampillés UTMB, et les frais d’inscriptions de la course principale dépassent les 350 €.
Ultra-Trail ou Ultra-Sieste ?
Les participant·es considèrent cette épreuve avant tout comme une arène sacrée de défi personnel
Cette entrée dans le sport-business aura-t-il raison de l’esprit trail et de l’engouement des sportif·ves pour l’évènement ? « L’UTMB reste soumise à une pression sociale considérable, alimentée par le nombre croissant de postulant·es prêt·es à tous les sacrifices pour inscrire l’UTMB à leur palmarès », répond Olivier Bessy. Selon lui, les participant·es « se moquent des débats sur la mondialisation de l’UTMB car ils/elles considèrent cette épreuve avant tout comme une arène sacrée de défi personnel et de confrontation au réel ».
Toutefois, cet engouement ne concerne pas l’ensemble de la planète trail. Une partie des coureur·euses évite précautionneusement Chamonix à la fin du mois d’août et favorise les courses indépendantes qui se multiplient partout sur le territoire, faisant vivre l’esprit trail à plus petite échelle. Même Xavier Thévenard, triple vainqueur de l’UTMB qui ne participe pas cette année pour des raisons de santé, a récemment confié au micro de Reporterre qu’il « (se) serait posé la question de (sa) participation » suite au choix du naming Dacia. Et du côté de Chamonix, un collectif organise cette semaine l’« Ultra-Sieste du Mont-Blanc », un évènement volontairement décalé pour questionner la frénésie et l’aspect commercial de l’UTMB.
Pour aller plus loin, découvrez le livre « La quête de l’extrême : Marathons, 100 km et trails » par Olivier Bessy, à paraître en septembre 2023 aux éditions Cairn.