Olivier Bessy est professeur à l’Université de Pau, spécialiste du sport et du tourisme durable. Dans sa série d’ouvrages Courir de 1968 à nos jours, il porte un regard de sociologue sur la popularisation de la course à pied et le récent succès du trail-running. Pour Pioche!, il explique comment l’arrivée du trail a façonné les territoires de montagne et revient sur l’impact écologique de ce sport.
Quel est l’impact du trail sur les territoires ?
Olivier Bessy : En France, le trail est devenu un véritable phénomène de société avec quasiment 1,5 millions de pratiquants, une cinquantaine de stations de trail et 4 500 courses, dont la majorité créée dans la dernière décennie. Et puis il y a de gros évènements comme l’Ultra-Trail du Mont Blanc (UTMB) ou la Diagonale des fous qui font figure de vitrine de ce sport.
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Quand une pratique devient massive, elle laisse forcément des traces sur les territoires
Cela reste une activité peu destructrice de l’environnement, contrairement au VTT par exemple. Dans son principe, le trail valorise les territoires davantage qu’il ne les dégrade. Mais quand une pratique devient aussi massive, elle finit forcément par laisser des traces. Le plus souvent, ce sont des conflits d’usages entre randonneur·euses, berger·es, chasseur·euses et traileur·euses. Les mêmes espaces naturels sont utilisés avec des temporalités et des logiques très différentes.
Ce sont surtout les grands événements du monde du trail qui sont pointés du doigt ?
Exactement, c’est un vrai problème. L’UTMB accueille 10 000 coureurs et 100 000 spectateur·ices sur une semaine dans la petite ville de Chamonix. Ça ne peut pas être neutre pour l’environnement. Ça représente trop de monde pour un lieu fragile et protégé.
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La première source de pollution, et de loin, ce sont les transports. La voiture individuelle reste aujourd’hui quasiment la seule manière d’accéder aux lieux de pratiques et de compétition. Et des évènements comme la Diagonale des fous de l’île de la Réunion restent suspendus à l’avion. Il y a une vraie urgence de penser la mobilité autour des pratiques de plein air. Et puis il y a aussi les déchets générés par les grands évènements, et tout ce qu’il y a autour : l’alimentation, le matériel, le logement des participant·es et des spectateur·ices, etc.
Comment les territoires s’adaptent-ils à ces nouvelles pratiques et à l’arrivée de tous ces traileurs·euses ?
Le trail est devenu ce que j’appelle une « ressource territoriale », un vrai atout pour valoriser les territoires. Pour reprendre le cas de Chamonix, l’UTMB et la mise en place d’une station de trail ont permis à la vallée d’avoir une saison d’été équivalente à sa saison d’hiver, et de faire face à la régression de l’alpinisme. De même, des départements comme l’Aveyron ou les Alpes de Haute Provence se sont déclarés « terre de trail », et maillent leur territoire de courses et de sentiers permettant d’attirer des sportif·ves de la France entière.
Il y a une vraie urgence de penser la mobilité autour des pratiques de plein air
Et il ne faut pas oublier aussi que toutes les courses de trail, quelles que soient leur taille, dynamisent les territoires, répondent aux attentes des coureur·euses et favorisent la cohésion sociale à travers le bénévolat. Ce sont de vrais événements fédérateurs !
Pour faire face aux inquiétudes écologiques, on voit naître ces dernières années des éco-trails. Ce sont des courses qui apportent une attention particulière à l’environnement, au lien social et au contexte local. Il existe des manières de créer de beaux évènements sportifs en pleine nature sans rien dégrader. Mais pour cela, il ne faut pas avoir la folie des grandeurs, ne pas tomber dans le gigantisme.
Quel est le rapport des traileur·euses à leur « terrain de jeu » ?
Il y a une véritable prise de conscience, à l’image de l’ultra-traileur Xavier Thévenard qui a dévoilé publiquement son bilan carbone ou du Britannique Andy Simond qui a renoncé aux championnats du monde pour ne pas prendre l’avion. Les coureur·euses sont soumis à une dissonance entre leur amour des espaces naturels et les conséquences environnementales de leurs pratiques.
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Le trail s’est fait rattraper par le culte de la performance et la logique du toujours plus
Dans mes travaux de sociologue, j’ai remarqué que les traileur·euses étaient tiraillés entre différents impératifs, parfois inconciliables : le goût de la performance, du dépassement, la découverte des territoires, la dimension collective des courses, etc. Et cela se traduit dans leur rapport à l’environnement. Est-ce que la nature est un simple décor dédié à la performance, qui peut être oublié, voire maltraité ? Ou est-ce qu’on vise le dépaysement et le plaisir dans la reconnexion avec l’environnement ?
Ces contradictions se retrouvent dans l’histoire du sport. Les valeurs de l’esprit trail à la fin des années 1990, c’est la liberté, le retour et l’immersion dans la nature. Mais dans les années 2000, le sport se fait rattraper par l’hypermodernité, le culte de la performance et le « toujours plus » de dénivelé, d’exotisme, de spectaculaire.
Aujourd’hui, toutes ces valeurs cohabitent au sein de chaque coureur·euse. Le trail est un formidable moyen d’être en pleine nature, de se promener en montagne. Mais on reste parfois prêt à abîmer notre terrain de jeu, comme notre corps, pour avoir notre moment de gloire et de plaisir.
Pour en savoir plus, découvrez le livre Courir sans entrave d’Olivier Bessy, publié aux éditions Cairn.