Des micro-fermes pour un monde meilleur ? Jean-Martin Fortier y croit dur comme fer. À 42 ans, le Québécois milite pour une modèle agricole désirable, à échelle humaine et respectueux de l’environnement. Entretien avec celui qui remplace les tracteurs et les exploitations XXL par des micro-fermes écologiques, humaines et heureuses.
Depuis le Québec, Jean-Martin Fortier inspire et surtout accompagne les agriculteurs aux quatre coins du monde. Son mantra ? Les micro-fermes bio et intensives pour « créer un avenir d’abondance où les humains s’harmonisent non seulement avec la nature, mais aussi entre eux ». Des champs aux plateaux de télévision, Jean-Martin Fortier défend bec et ongles une agriculture à l’échelle humaine, écologique et surtout rentable.
En 2004, après plusieurs expériences dans des fermes au Nouveau-Mexique, Jean-Martin Fortier et Maude-Hélène Desroches fondent les Jardins de la Grelinette à Saint-Armand, à une heure au sud de Montréal. La structure opère sur les principes de l’agriculture dite « bio-intensive », c’est-à-dire en concentrant la production sur une petite surface (1 hectare), sans tracteur et respectueuse des sols. Surtout, les Jardins de la Grelinette se démarque par sa rentabilité, générant des revenus de plus de 100 000 dollars par an. Une quinzaine d’années plus tard, la micro-ferme est devenue un modèle du genre, et Jean-Martin Fortier multiplie les interventions au Québec comme à l’international pour présenter sa démarche.
Parfois appelé « le maraîcher révolutionnaire », le Québécois s’éloigne le plus possible du statut de « gourou de la transition agricole » qui lui colle parfois à la peau et prône la décentralisation du savoir. « Moi, je te donne des outils pour que toi tu te développes, que tu transformes les choses. C’est ton univers, ta communauté », nous explique-t-il. Tout droit sorti de la prestigieuse Université McGill à Montréal, Jean-Martin Fortier se sert de sa formation universitaire et de ses différentes expériences dans les milieux alternatifs pour dépoussiérer l’image de l’agriculture, la rendre désirable et attirante. « Il faut briser l’idée selon laquelle l’agriculteur est un plouc qui travaille 100 heures par semaine », martèle-t-il.
En France, le monde agricole se retrouve face à un défi de taille : le renouvellement des générations. En 2019, 55% des agriculteurs avaient 50 ans ou plus, et 13% plus de 60 ans. À l’inverse, seulement 1% ont moins de 25 ans. « Les agriculteurs constituent, de loin, le groupe socioprofessionnel comportant proportionnellement le plus de seniors en activité », pointait l’Insee dans un rapport publié en octobre 2020.
Séduire une nouvelle génération d’agriculteurs, c’est justement l’une des missions que se donne Jean-Martin Fortier. « Je veux montrer que c’est possible de vivre autrement. Être maraîcher, ce n’est pas avoir une vie facile, mais c’est avoir une belle vie », nous lance-t-il. Et aussi un moyen de rendre le monde meilleur, en changeant la donne à son échelle. « Monter une ferme aujourd’hui, c’est finalement quelque chose de très subversif. C’est comme ça qu’on changera les choses, qu’on construira le monde que l’on désire. »
Par quels chemins êtes-vous arrivé à l’agriculture alternative ?
Si tu veux changer les choses, il faut d’abord œuvrer autour de toi, pour ta communauté
Jean-Martin Fortier : Je ne viens pas d’un milieu agricole, et je n’ai pas grandi dans un milieu sensible au bio. J’ai commencé par étudier l’environnement et l’écologie à l’Université McGill, à Montréal. Après trois ans, nous sommes partis au Mexique puis au Nouveau-Mexique avec ma copine, Maude-Hélène Desroches, avec qui j’ai travaillé dans des fermes bio. Là-bas, deux choses qui m’habitaient se sont connectées : l’écologie et le changement social. J’ai compris que si tu veux changer les choses, il faut d’abord œuvrer autour de toi, pour ta communauté. J’avais trouvé dans l’agriculture un super moyen d’accorder mes valeurs à mes actes, et ma voie pour œuvrer dans ce sens. J’étais aussi heureux de travailler avec mes mains. C’est vraiment motivant de s’apercevoir que l’on est capable de faire pousser des choses, les vendre par soi-même, et travailler à une économie non mondialisée.
Comment vos études universitaires vous ont-elles aidé dans ce parcours ?
Le travail d’agriculteur est super créatif
Le travail d’agriculteur est super créatif, et cette créativité, elle ne vient pas du milieu universitaire d’où je viens. Il m’a fallu sortir de ce cadre. Je suis allé assez loin dans cette démarche, jusqu’à me retrouver carrément en marge. À un moment, on était vraiment dans un gros trip d’auto-suffisance avec ma copine. Aujourd’hui, je suis revenu dans la société, mais j’ai gardé avec moi tout ce que j’ai appris de cette époque.
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Depuis, je mélange mes expériences alternatives avec ma formation universitaire. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, quelqu’un qui n’est pas alternatif va quand même entendre mon message et vouloir se rapprocher de la nature et de la terre. Finalement, je me considère un peu comme une courroie de transmission. Je suis un bon communicant, un bon vulgarisateur, et ça me permet de faire connaître le maraîchage au plus grand nombre.
Comment votre concept de micro-ferme peut-il participer au renouvellement de générations d’agriculteurs ?
Tout d’abord parce que, contrairement à une ferme classique, la micro-ferme est accessible. Pas besoin de 100 hectares, 5 tracteurs, d’entrepôts, de camions et de grosses équipes pour te lancer. Avec moins d’un hectare, tu peux travailler avec des outils manuels, faire du jardinage, avoir un potager et vendre tes légumes en direct. Cette accessibilité est super importante.
Et ce modèle de micro-ferme est aussi plus performant. Que ce soit au niveau du rendement, des bénéfices, de l’impact que tu as dans ta communauté, tu es gagnant partout. À la fin de l’affaire, tu es plus heureux. Pour tous ceux qui veulent changer de vie ou changer le monde, et qui pensent que l’agriculture a un rôle à jouer là-dedans, la micro-ferme est une solution.
Quel discours tenez-vous lorsque vous êtes face à des jeunes ?
Il faut briser l’idée selon laquelle l’agriculteur est un plouc qui travaille 100 heures par semaine
Mon discours est toujours double. Premièrement, je veux montrer que c’est possible de vivre autrement. La micro-ferme peut permettre d’avoir une meilleure vie. J’ai des centaines d’exemples de maraîchers à montrer. Ce ne sont jamais des vies faciles, mais ce sont de belles vies. Il faut briser l’idée selon laquelle l’agriculteur, c’est un plouc qui travaille 100 heures par semaine, qui n’a pas d’argent, ni de qualité de vie. Tout cela n’est pas entièrement vrai.
Oui, les journées vont être difficiles, souvent intenses. Mais ce n’est pas parce que c’est difficile que ce n’est pas désirable. La journée de travail d’un maraîcher, ce n’est pas celle d’un codeur où tu passes 14 heures devant ton ordinateur. On a planté, récolté, et demain, on va au marché et les gens nous remercieront. On en tire une certaine satisfaction. Il parfois faut démêler les choses dans la tête des gens.
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Cela m’amène à mon second point : on ne s’improvise pas maraîcher. Pour y parvenir, il faut une méthode, des techniques, des connaissances. Aussi j’enseigne les bases pour qu’une micro-ferme soit productive, écologique et rentable.
Quelle est la philosophie globale de votre action ?
L’idée générale, c’est de remplacer trois ou quatre grosses fermes par 200 petites fermes. Pour y arriver, il faut défoncer les cadres, déboulonner les mythes du genre « une ferme d’un hectare n’est pas rentable », et présenter un modèle alternatif qui est désirable, et surtout viable. Parce que plus on a de fermes qui fonctionnent bien et font les choses correctement, plus on nourrit nos communautés et plus celles-ci sont en bonne santé. Pour cela, il faut outiller les gens pour les aider dans ce processus.
En quelque sorte, c’est un engagement par les fourches, l’agriculture comme acte politique. Jean-Martin Fortier, le maraîcher révolutionnaire, seriez-vous à l’aise avec le terme ?
Il faut bâtir quelque chose de différent, construire le monde que l’on désire
Il n’y a pas « un » maraîcher révolutionnaire. Mon idée est justement de décentraliser les choses. J’enseigne l’agriculture biologique à de nombreuses personnes. Mais je ne suis pas un gourou et je ne veux surtout pas le devenir. Moi, je te donne des outils pour que toi tu te développes, que tu transformes les choses. C’est ton univers, ta communauté. Monter une ferme aujourd’hui et se reconnecter aux choses plus essentielles, c’est très subversif. C’est comme ça qu’on changera les choses.
Selon moi, on fait erreur en pensant que cela passera par le politique. Je n’y crois pas. Je suis ami avec Maxime de Rostolan, et on a parfois des débats enflammés à ce sujet. Pour lui, il faut prendre le pouvoir, et que c’est par le politique que l’on va changer les choses. Je ne suis pas très à l’aise avec ça, avec cette lutte de pouvoirs. Et je n’ai jamais cru à la politique. J’ai l’impression qu’on donne son pouvoir et sa capacité d’agir aux autres.
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Mais je crois beaucoup à l’initiative individuelle. Pour moi, une personne peut changer les choses et inspirer les gens, non pas par son discours mais par ce qu’il fait au quotidien. Je crois que les gens doivent se changer eux-mêmes, se responsabiliser, changer leurs communautés à leur échelle par une démarche, par un projet. Il faut bâtir quelque chose de différent, construire le monde que l’on désire. Et remplacer les anciens systèmes oppressifs et destructeurs.
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