Certains le décrivent comme un entrepreneur, d’autres comme un militant écologiste. Maxime de Rostolan est sûrement un peu de tout cela. Dans son dernier livre En Avant !, l’ancien directeur du réseau Fermes d’Avenir en appelle à l’intelligence collective et à l’unité pour « imaginer un plan » afin de « faire émerger une société désirable et résiliente ». Maxime de Rostolan y avance plusieurs pistes pour passer à l’action et « balancer de gros pavés dans toutes les mares tiédasses du statu-quo ». Du lobby citoyen La Bascule à son dernier projet, Communitrees, il confirme pour Pioche! son objectif d’imaginer un futur désirable dans un monde qui s’effondre.
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En 2018, Maxime de Rostolan publiait On a 20 ans pour changer le monde. Deux ans plus tard, la formule est nettement plus impérative. En Avant, paru le 8 octobre 2020, nous invite à « surmonter la fatalité en créant de nouveaux espaces d’actions, en provoquant notre destin, en rallumant quelques phares précieux dans l’obscurité de ce monde ». Les défis auxquels nous sommes confrontés ne peuvent plus attendre. À nous de nous réinventer collectivement en conjuguant « lucidité écologique » et « action politique ».
Lucidité et action. C’est justement sur ces deux notions qu’est né le projet La Bascule, début 2019. Initié par Maxime de Rostolan, ce mouvement citoyen a été créé avec l’ambition de faire émerger « un nouveau modèle de société dans le respect de la nature et l’humain grâce à l’intelligence collective ». À cette époque, Maxime a quitté Fermes d’Avenir, cette association qui favorise le développement de l’agroécologie sur les territoires. « Je sentais qu’il fallait qu’arrive une lame de fond citoyenne, se souvient-il. Je voulais la provoquer, sans trop savoir comment m’y prendre. »
Basculer vers la transition
S’il mise, dans un premier temps, sur la force collective de militants écolo, artistes et autres personnalités publiques pour imaginer et créer ce « grand mouvement citoyen », c’est finalement face à une assemblée d’étudiants que l’idée trouve une oreille attentive. « J’intervenais à Toulouse dans une école d’ingénieurs pour raconter l’histoire de Fermes d’Avenir. Pour conclure, je leur ai balancé sans trop réfléchir que nos institutions n’étaient pas en mesure de faire valoir l’intérêt général et que si on voulait vraiment changer les choses, il fallait initier un mouvement citoyen. »
L’idée infuse dans la tête des étudiants toulousains et traverse rapidement la France, dans d’autres universités. « La semaine suivante, j’ai été invité à Polytechnique pour parler précisément de cette idée de mouvement citoyen. Une dizaine d’étudiants se sont rapidement manifestés pour m’aider à concrétiser ce projet. » La Bascule prend forme. Une vidéo est réalisée pour présenter le projet et inviter le plus grand nombre à rejoindre le mouvement. « L’écho a été énorme sur les réseaux sociaux. Plus de 800 personnes se sont manifestées », raconte Maxime.

Pour son quartier général, le collectif citoyen choisit le centre Bretagne, à Pontivy. « Un des membres nous a parlé d’une polyclinique désaffectée. On a visité le lieu et on a foncé. » La gouvernance du lieu ainsi que sa feuille de route sont établies avec l’Université du Nous. Très vite, le projet fait parler de lui. Nicolas Hulot, Noël Mamère et Joël Labbé se déplacent sur le site et plusieurs associations rejoignent le mouvement.
« Certains visent 2022 pour faire bouger les lignes, d’autres travaillent sur le long terme. »
Les parties prenantes de La Bascule viennent d’horizons divers mais se rejoignent sur un point : ce besoin vital de se rendre utile, vivre en communauté, partager, créer du lien. « En plus des étudiants, nous avons été rejoints par des jeunes diplômés, des quadra et des quinqua », raconte Maxime. Tous voient dans La Bascule un immense terrain d’expérimentation pour amorcer la transition écologique et sociale. « Certains visent 2022 pour faire bouger les lignes politiques, d’autres veulent travailler sur le long terme, sur l’être, sur l’intérieur. » Au quotidien, les membres de La Bascule mènent de nombreux programmes d’actions pour faciliter l’engagement collectif, amplifier la pression citoyenne en faveur des transitions écologique, sociale et démocratique, et faciliter l’entraide des porteurs de projets en organisant des ateliers collectifs et en accompagnant sur la durée. Surtout, La Bascule sert d’amplificateur des alternatives existantes au modèle actuel.
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Quelques mois plus tard, les pensionnaires de La Bascule quittent Pontivy et s’installent dans un ancien couvent à Plouray, dans le Morbihan. Maxime, quant à lui, se met en retrait, laissant le projet se développer au gré des initiatives positives de chacun. L’idée a même donné naissance à d’autres Bascules à Paris, Rennes et Bordeaux, au point de créer « un archipel ». Une école de la coopération et de l’engagement – Fertîle – a même été créée. Pensé à peine un an auparavant sur les bancs d’un amphi, ce système alternatif qui oscille entre écologie, solidarité et gouvernance partagée a trouvé bien plus qu’un écho étudiant. La Bascule est devenue un véritable réseau pour ceux qui veulent amorcer collectivement la transition.
Enrayer le système de l’intérieur
Pour Maxime, ce genre de projet à impact est vital dans nos sociétés contemporaines. « L’effondrement est en cours. Chez les jeunes, cette notion d’urgence est de plus en plus oppressante, explique-t-il. Tout le monde voit que les belles paroles des politiques ou des entreprises ne sont que trop rarement traduites par des faits. Les citoyens n’ont pas d’autres choix que de s’emparer de ces sujets. »
« L’effondrement est en cours, et l’urgence est de plus en plus oppressante. »
Ces sphères de pouvoir, Maxime de Rostolan les connaît. Il admet même sans détour faire du lobbying auprès du secteur public et privé pour « orienter le débat et la législation dans le bon sens ». Une position qui lui a valu quelques critiques. « Certains sont écolos sur les réseaux, d’autres sont écolos de profession. Mais personne ne bosse dans le privé ?, répond-il avant d’ajouter : il y a toujours cette histoire de puriste dans le milieu écolo. Mais le système que l’on combat a de multiples facettes. Chacun essaie de s’attaquer à un angle, et parfois on a l’impression d’être l’un contre l’autre alors qu’on lutte contre la même chose. »
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Dans En Avant !, Maxime raconte son passage au comité de transition alimentaire du groupe Carrefour. La première réunion de ce fameux comité, il s’en rappelle comme un moment mouvementé, particulièrement pour le PDG du groupe. « C’était le deal. Il voulait se faire bousculer. On ne l’a pas épargné. » En plus de Maxime, le comité était composé d’un agriculteur, d’une médecin-chercheuse, de la fondatrice d’OpenFoodFrance, du PDG d’une entreprise de yaourts et de bouteilles en plastique, d’une entrepreneuse à la tête d’une appli anti-gaspi et d’un grand chef restaurateur.
« On ne peut pas nier la réalité, être totalement insensible à l’écologie. »
Autour de la table, l’un crie « pour les agriculteurs, écrasés par les prix d’achat du distributeur », une autre « dézingue le modèle économique et social des supermarchés, pour vanter les initiatives coopératives intégrées au tissu local », une troisième relève « l’insanité des dates limites de consommation (DLC) pour les produits secs et rappelle l’évidence du vrac », un dernier « peste sur la disparition des saisons dans les rayons et la domination du plat préparé ». De l’aveu du militant, le PDG de Carrefour « est sorti chancelant » de cette réunion.
Quand on demande à Maxime si l’exercice ne relève pas de la posture de la part d’un grand groupe privé aux mains d’actionnaires qui, eux, s’évitent tout comité de transition, il répond : « C’est justement à ce PDG d’être l’intermédiaire, de transmettre les doléances d’une société civile qui est à bout. Mais l’Histoire est avec nous. Il y a 10 ans, l’écologie était une possible opportunité de marketing. Aujourd’hui, on ne peut pas nier la réalité, être totalement insensible à ces questions. » L’optimisme pour cap.
Faire fleurir les pépinières
En plus de vouloir faire comprendre à certains que le monde dans lequel ils se complaisent ne tourne plus vraiment rond, Maxime ne manque pas une occasion de se retrousser les manches pour imaginer de nouveaux modèles. « Demain se construit ici et maintenant, sinon quand ? », interroge-t-il. Pour lui, l’environnement est « le paravent de notre propre condition » et « les dégradations qu’on inflige à la nature sont le reflet des tensions qui nous déchirent ».
« Demain se construit ici et maintenant, sinon quand ? »
Soucieux d’apporter une nouvelle pierre à l’édifice des « lendemains qui chantent », Maxime travaille depuis plusieurs mois sur un nouveau projet : Communitrees. L’idée est de créer des pépinières participatives pour que chacun participe à l’agroforesterie, ce chantier titanesque qui ne peut plus attendre. « Il faut créer des pépinières pour irriguer les territoires de plantes », argue-t-il. Dans un esprit à peu près semblable à La Bascule, Maxime propose de mettre en place des lieux communautaires où chacun pourrait travailler avec des acteurs du territoire pour récolter les semences, produire les plans, identifier des parcelles dans lesquelles il faut planter, organiser des chantiers de plantation et, bien sûr, entretenir ce qui a été planté.
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« Ce projet répond en tout point au besoin de notre société de régénérer les écosystèmes, d’inventer une économie centrée sur le vivant. » Car, le modèle économique de Communitrees repose sur les financements publics. « C’est à l’État de payer ! C’est à lui d’assurer les conditions de vie et de survie du vivant. » C’est justement là où, pour l’instant, ça bloque. « En juillet dernier, on m’a reçu à l’Elysée en me disant que c’était une super idée, qu’ils allaient parler au Président de la République. » Et puis, plus rien. « Pendant six mois, je les ai harcelés. Je leur ai fait des notes, j’ai envoyé des SMS à mes contacts. J’ai même écrit des poèmes ! » *
Aujourd’hui, Maxime se trouve une nouvelle fois face à ce système si difficile à faire bouger sans la fameuse carotte du profit. Une politique de l’autruche pour un État qui s’est pourtant engagé à diminuer de 40% ses émissions de gaz à effet de serre dans dix ans. Loin de baisser les bras, Maxime s’active maintenant en coulisses auprès des collectivités territoriales, qui ne cessent pourtant de voir leurs finances fondre.
En avant
« La lassitude politique est totale, jamais contredite par un nouveau venu. »
Dans ses différents projets, Maxime s’est frotté à plusieurs reprises à l’appareil étatique et à ses décisions souvent contradictoires. Car depuis plusieurs décennies, élections et désillusions se croisent et s’entrecroisent de façon répétitive, quelle que soit la couleur. « Je suis complètement raccord avec les gens qui se lassent de ce système politique. Les seules victoires qu’on a pour l’intérêt général sont des désastres qu’on évite de justesse, comme Notre-Dame-des-Landes. La lassitude est totale, et jamais contredite par un nouveau venu. »
Loin de baisser les bras, Maxime continue, avec ses armes, de pousser des projets en faveur de l’intérêt général tout en composant avec les règles du système pour tenter de le changer. « C’est un travail d’équilibriste qui peut déplaire à certains, avoue-t-il. Mais ne nous mentons pas : il faut de la radicalité, il faut de la décroissance. Ça va faire mal, certaines décisions vont en emmerder plus d’un, mais on n’a pas le choix. » Alors, En avant !
*Edit : Les poèmes ont fini par payer puisque Maxime de Rostolan rencontre Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, pour évoquer avec lui le projet Communitrees le 03 février