C’est en visio, forcément, que nous nous sommes entretenus avec Raphaëlle Macaron, jeune autrice et illustratrice libanaise qui a sorti à la rentrée dernière Les Terrestres avec Noël Mamère : six reportages au cœur du monde d’après la transition écologique.
Raphaëlle Macaron est un moyen de transport formidable. À l’heure où la transition écologique ressemble plus à une impasse qu’à une quatre voies sensationnelle, elle emprunte, avec sa bande dessinée Les Terrestres, les chemins du possible. Accompagnée du vieux routier Noël Mamère, elle y suit les pistes creusées par ceux qui ont fait le choix d’une vie en cohérence avec leurs convictions. De la ZAD de Notre-Dame-des-Landes jusqu’au village en transition de Langouët, elle découvre ces modes de vie, bien éloignés de sa Beyrouth natale et de sa vie parisienne. Avec ce regard neuf, elle livre avec Les Terrestres « un livre d’initiation, d’éveil aux questions écologiques ».
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« Tu ne peux pas demander à des gens qui se font bombarder de mettre l’écologie au premier plan. »
C’est ce décalage qui lui a plu quand Sophie Caillat des Éditions du Faubourg lui a proposé le projet. « Moi, je ne savais pas qui était Noël Mamère, donc j’ai googlé le nom, j’ai demandé à mes amis qui étaient un peu fascinés par le personnage. C’est surprenant comme duo, c’est un peu absurde. » En tant que Libanaise, on peut difficilement lui reprocher de ne pas connaître le présentateur d’Antenne 2 passé ensuite à la politique chez Les Verts. Au niveau écologique, elle se présente plutôt comme une personne normale. Attentive, oui, mais « non, on ne peut pas dire que j’étais militante ». Pourtant, elle a connu jeune les joies du passage à l’action. « Ma mère nous a éduqués très tôt à ces questions là. La scène qui débute le livre est véridique : elle nous faisait faire des sessions de nettoyages de plages régulièrement. Mais même là, et c’est ce que j’ai voulu mettre dans le livre, tu te retrouves confrontée à une obligation de cohérence absolue dans tous tes choix : parce que si tu ramasses du plastique sur une plage, il ne faut pas le ramener en 4×4. Et c’est ce qu’on faisait. »
De son aveu, le Liban des années 2000 n’était pas forcément le contexte idéal pour se former aux problématiques environnementales. « Au Liban, il y a une question de priorité. Même si c’est bizarre de dire ça parce que, s’il y a le réchauffement climatique, on va tous crever. Mais tu ne peux pas demander à des gens qui se font bombarder de mettre l’écologie au premier plan. »
Le coup de crayon sincère
Passée par les Beaux-Arts de Beyrouth, l’ALBA, puis le Canada dont elle détient la double-nationalité, elle débarque en France il y a quelques années grâce au Passeport Talent. « Ma carrière s’est faite principalement en fonction des papiers que je pouvais obtenir. » Arrivée ici, elle flippe. « Au début t’as l’impression que c’est hyper difficile, tu dis oui à tout. Et à un moment, tu réalises ce que tu veux vraiment et ça fait un effet boule de neige parce que tu fais les trucs que t’aiment et donc tu les fais mieux et tu rencontres les gens qui aiment les mêmes choses que toi, et voilà. » Et la voici à 30 ans sur la route avec un vieil écologiste dont elle n’a jamais entendu parler, à aller mettre les pieds dans la boue de la transition écologique à la française.
Cette extériorité, sa jeunesse, ses failles, elle les met au service d’un récit où elle a choisi de mettre en avant sa « normalité ». L’idée était de « ne pas prêcher uniquement les convaincus. Ça aurait beaucoup réduit l’audience. » Alors, bien forcée, elle se met au premier plan. « Honnêtement, je n’étais pas hyper à l’aise de me mettre en scène, ce n’est pas quelque chose que j’apprécie forcément. Mais je me suis dit qu’il y avait très peu de personnes comme Noël Mamère ou les gens que j’ai rencontrés, et beaucoup plus de gens comme moi, des gens qui sont plus ou moins écologistes. » Comme le lecteur, Raphaëlle Macaron ne sait pas tout, elle écoute et apprend. « Ce qui est intéressant dans ce livre, c’est la différence de génération, de culture de parcours, et tout ça pose des questions. C’est ça qui m’a poussé à me mettre en scène. »
« J’avais envie de secouer Noël Mamère et de lui dire : arrête d’être tellement diplomate, dis moi seulement si on va tous crever. »
La transition écologique rend-elle heureux ?
Faire rentrer l’intime dans un problème global est aussi un moyen de ne pas évacuer l’inquiétude inhérente aux questions écologiques. « Il me fallait un véhicule pour porter les peurs et les angoisses des gens normaux, des gens comme moi. Prétendre que ça n’est pas angoissant, c’est la première erreur, parce que c’est angoissant. Faire semblant qu’on est à l’aise avec un monde qui s’effondre, ça ne va pas. Il fallait que ce soit moi qui porte ces peurs, partagées par un très grand nombre. » C’est ce qui ressort dès les premières pages des Terrestres. L’initiation voulue est aussi un face à face parfois violent avec le chantier énorme qui nous attend. « Il y a un moment où j’ai vraiment pété un câble et je l’ai mis dans la BD, parce que c’était un moment très important pour moi. J’avais envie de secouer et de lui dire : arrête d’être tellement diplomate, dis-moi seulement si on va tous crever ou pas ? » La question, brutale, reste en suspens à la fin du livre. « Le truc qui n’est pas léger, c’est qu’il n’y a pas de réponse. Je me souviens, je disais à Noël : ”j’ai hâte de terminer le reportage pour connaître la solution à nos problèmes.” Mais il n’y en a pas. Enfin, il y en a plein, qui sont plus ou moins efficaces mais il faut que tout se conjugue dans un effort collectif. »
Pour l’instant, on en est au stade de micro-tentatives. Les actions décrites dans Les Terrestres sont comme des bouées de sauvetage lancées depuis le Titanic, dérisoires et pas faites pour tous. « Les gens que j’ai vus font ces choix parce qu’ils peuvent le faire. Mais il faut pouvoir acheter un terrain en campagne, il faut pouvoir construire une maison. C’est très bien que les gens qui peuvent le faire le fassent, mais il faut aussi considérer les possibilités de chacun. » La situation est donc un poil compliquée, et atteint fortement Raphaëlle Macaron, tout au long du livre. « Le sommet de l’impuissance que j’ai pu ressentir, c’était à La Ferme Légère, où je me rendais compte de la force et du courage de ces gens. J’ai demandé au mec, Marc, qui avait fondé le truc, s’il avait l’impression que c’était bien, que ça servait à quelque chose. Et il m’avait répondu : ”non, ça me sert juste à moi, à me regarder dans le miroir le matin”. C’est la réponse la plus honnête et la plus honorable du monde, mais c’est désespérant, parce que ça ne servira à rien. »
Le regard tourné vers le Liban
« Je t’avoue que mon rapport à l’espoir n’est pas facile. Mais j’en ai un peu, quand même, sinon je n’aurais pas fait ce livre. » Dans toute cette noirceur, la lumière surgit de ces diverses initiatives, de ces issues de secours fabriquées en autonomie par des individus aux quatre coins de la France. Malgré un impact concret négligeable, ces modes de vie « sont absolument des futurs possibles. Ce sont même des futurs inévitables. Ce sont des rêveurs, oui, mais aussi des gens très pragmatiques, très réalistes. » Pour se donner de la force, elle tourne son regard vers son pays, le Liban.
Au moment où Raphaëlle Macaron finit ses reportages, le Liban est en feu. « C’était très fort pour moi le contexte dans lequel j’ai fait le livre parce que la révolution a commencé pile au moment où nous finissions nos reportages et où je devais commencer à fabriquer la BD. » Elle y fera même un aller-retour pour apporter son soutien aux manifestants. Ce qui n’est pas sans la bouleverser. « Il y a eu la crise sans précédent au Liban qui a beaucoup teinté la façon dont je regardais ce livre et les gens qui sont dedans. Il y a une note d’espoir parce que j’ai l’impression que le Liban est un laboratoire de l’effondrement, il est en train de s’effondrer. Mais après l’explosion , il y a eu beaucoup d’entraide, d’initiatives personnelles, collectives : on tient trop à notre pays pour le laisser à des escrocs. Ça donne de l’espoir parce que tu vois un vrai soulèvement, de vraies choses qui aboutissent, tu vois tous les bâtiments qui sont en train d’être reconstruits et que tout ça est le fait d’initiative citoyenne, privée et internationale. » Alors, elle s’y met elle aussi, vendant pour près de 92 000€ de ses posters au bénéfice de Impact Lebanon et des ONG sur place. Ça lui a prouvé que « l’illustration, le dessin, pouvaient avoir une vraie portée. »
Un engagement qu’elle porte désormais le plus possible dans son travail. Les Terrestres malgré l’angoisse dont il témoigne, peut aussi être une pierre à l’édifice de la transition écologique. « À la fin du livre, il n’y a pas de conclusion, il n’y a pas de fin heureuse. Mais, je me sens bien plus sensible qu’avant, il y a des choses dont je ne m’apercevais pas, des choses que je ne connaissais pas. Je suis bien plus attentive à ma consommation, ce que je consomme et quand. J’essaie le plus possible de mettre ça dans mon travail. Faire cette BD était déjà un geste écologiste. Moi, dessinatrice, expatriée, qui prend l’avion pour aller voir sa famille, et bien j’essaie de faire des choses à ma taille. Faire une BD, ce n’est pas grand chose, mais c’est peut-être pas si mal. » C’est même déjà beaucoup.