Disponible gratuitement sur Arte, le documentaire L’expérience biosphère retrace l’aventure de Caroline Pultz et Corentin de Chatelperron du Low-tech Lab. Parti·es quatre mois dans le désert pour expérimenter un mode de vie low-tech, les deux aventurier·es donnent à voir un quotidien basé sur des technologies sobres et une attention particulière à l’environnement. De quoi se construire une « nouvelle vision d’un futur enviable » à l’heure de l’urgence climatique. Rencontre.
En janvier 2023, l’éco-designeuse Caroline Pultz et l’ingénieur Corentin de Châtelperron ont traversé l’Atlantique en bateau pour gagner le Mexique et installer au milieu du désert leur « biosphère », un lieu de vie pensé sur le modèle d’un écosystème et organisé autour de technologies sobres : les low-tech.
Un four solaire pour cuisiner, des dessalinisateurs pour récupérer de l’eau, un élevage de grillons et de la spiruline pour se nourrir… Pendant quatre mois, les deux aventurier·es ont expérimenté une « autre manière d’habiter la terre », sans produire de déchets, en divisant leurs besoins en eau et en électricité par dix et en cultivant l’interdépendance et la sensibilité avec leur environnement naturel.
« C’est vraiment le pouvoir des low-tech, nous rapprocher du vivant au quotidien et changer notre vision des choses. »
D’autres futurs
Car loin d’un imaginaire survivaliste à la Mike Horn, « Coco et Caro » ont bâti leur mode de vie sur l’interdépendance avec les autres espèces. Dans un univers hostile, aride et peuplé de crotales ou de coyotes, l’objectif était de créer un écosystème équilibré entre les plantes, algues, insectes et autres êtres vivants de la biosphère, tout en restant intégré dans celui du désert.
Et pas question de se contenter de survivre, le tout devait être « beau et agréable », pour permettre de se construire une autre idée d’un futur dans un contexte de dérèglement climatique. « Un futur qui nous plaît vraiment et prend en compte les limites planétaires. »
L’aventure est racontée dans un beau documentaire, L’expérience biosphère, réalisé par Laurent Sardi et disponible jusqu’en mai 2026 sur le site d’Arte. La préparation du projet et le choix des technologies sont également racontés dans une mini-série de cinq épisodes disponible en ligne.
Low-tech, un mouvement mondial qui rend l’écologie plus concrète ?
L’aventure du Low-tech Lab est lancée en 2014. L’association s’inscrit alors dans un mouvement mondial visant à diffuser rendre largement accessible les low-tech. En 2016, Corentin part à la rencontre de ces initiatives dans le but de leur donner la visibilité qu’elles méritent : ce sera le Nomade des Mers, un catamaran laboratoire d’un autre mode de vie. Résultat : six ans de navigation à travers vingt-cinq pays et quatre continents, qui ont permis d’inventorier et expérimenter des dizaines de technologies simples, durables et facilement appropriables.
Voir le projet Biosphère, c’est subvertir une partie des imaginaires dont nous avons tous·tes hérité, ceux de la conquête de l’espace, de « ces départs vers de nouveaux territoires et de nouvelles ressources », quand aujourd’hui il nous faut tourner notre regard sur de nouvelles façons d’habiter. Jusqu’à devenir une nouvelle culture centrale pour l’écologie ?
Caroline et Corentin préparent en tout cas l’étape suivante : la biosphère urbaine. Avec la complicité de la mairie de Boulogne-Billancourt, le couple s’est installé dans un appartement de 26 m2 pour continuer à explorer ce que peuvent donner ces modes de vie dans un quotidien en ville. Rencontre avec ces deux explorateur·ices du futur.
Qu’est-ce que vous retenez de cette aventure si particulière dans le désert ?
Corentin : On partait avec plusieurs objectifs, et notamment l’envie d’avancer sur le plan technique, d’expérimenter le quotidien dans la biosphère qu’on avait imaginée en amont, nourrie des low-tech qu’on a découverts sur le Nomade des Mers. Sur ce plan, on est plutôt satisfaits. Même si plein de trucs n’ont pas marché à la hauteur de nos attentes, on sait maintenant ce qu’il nous reste à améliorer.
« Les ragots qu’on se racontait le midi étaient sur les ratons-laveurs qui nous entouraient. »
Caroline : Ce qui nous a marqués, c’est à quel point cette expérience a changé notre rapport à notre environnement. La contrainte des low-tech, associée au fait que l’on n’était que deux, nous a fait développer une attention particulière aux espèces vivantes autour de nous. On a pu prendre le temps d’étudier ce qui nous entourait et de nous rendre compte à quel point le désert est gorgé de vie. Au-delà des crotales et des scorpions, on a vu des blaireaux, des renards, des coyotes, des hiboux, des abeilles… Les ragots qu’on se racontait le midi étaient sur les ratons-laveurs qui nous entouraient.
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C’est vraiment le pouvoir des dispositifs low-tech, nous rapprocher du vivant au quotidien et changer notre vision des choses. Ça nous a pas mal interrogés sur la manière dont sont prises les décisions politiques, toujours dans des espaces dénués de vie, sans attention aux ressources…
Corentin : On a aussi été très impressionnés par l’écosystème naturel, à quel point la nature était ultra-performante par rapport à ce qu’on voulait faire sur le plan technique.
Quelles ont été vos inspirations ?
Corentin : On a regardé du côté des expériences des agences spatiales – le nom biosphère vient de là d’ailleurs. Elles se rapprochent beaucoup de ce que l’on a voulu faire, c’est-à-dire créer des niches écologiques dans lesquelles l’humain peut se réinscrire pour répondre à ses besoins de base, même si l’objectif n’est pas du tout le même. Les expériences de la NASA visent à coloniser d’autres planètes alors qu’il s’agit de réapprendre à habiter celle-ci.
Caroline : Au niveau de l’esthétique, on s’est pas mal inspirés de Dune, mais beaucoup de choix ont aussi découlé de paramètres techniques : on a suspendu la tente parce qu’on ne savait pas quel sol il y aurait, on a utilisé des matériaux biosourcés…
Dans le documentaire, vous expliquez votre volonté de vous « construire une vision du futur qui (v)ous plaise vraiment ». Qu’est-ce que ça veut dire ?
Corentin : L’expérience est née de l’envie d’inventer d’autres manières de vivre. On a quand même l’impression qu’on s’est trompé de futur jusqu’ici, avec des promesses high-tech qui inspirent beaucoup de personnes mais qui ne répondent pas aux enjeux écologiques.
« On a quand même l’impression qu’on s’est trompé de futur jusqu’ici »
Le fait de dépendre de notre écosystème, de toutes les autres espèces vivantes, ça nous a transformés, on a aimé cette manière de vivre et ça nous a donné un chemin vers lequel aller. On a vraiment ce besoin de se recréer un imaginaire d’un futur qui nous plaît vraiment et qui prend en compte les limites planétaires.
Caroline : On ne se sent pas forcément légitimes à proposer un programme politique alors que beaucoup de personnes le font déjà bien. De notre côté, on va plutôt trouver la solution en partant de la technique, de nos expérimentations, on ne fait pas encore de grandes théories. Ce qui nous intéresse c’est que les gens essayent des choses dans leur quotidien, trouvent ce qui leur convient le mieux.
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Après l’expérience du tour du monde avec le Nomade des Mers, il y a cette aventure de survie dans le désert. Comment vous appropriez-vous la figure de l’aventurier·e dans votre travail sur les low-tech ?
Corentin : J’ai toujours eu cette appétence pour l’aventure, j’aime sortir de ma zone de confort, essayer de nouvelles choses… Mais je pense que cette volonté d’exploration doit toujours répondre à des enjeux de son époque.
À une période, c’était partir vers de nouveaux territoires et de nouvelles ressources, mais aujourd’hui, ce n’est plus du tout d’actualité. Les seuls qui restent dans cet état d’esprit, ce sont les Elon Musk, les milliardaires qui veulent explorer l’espace. Sauf qu’aujourd’hui, le vrai enjeu c’est de savoir comment on va vivre demain, c’est ça la vraie aventure.
Comment va se passer la prochaine étape de votre projet, la biosphère urbaine à Boulogne-Billancourt ?
Caroline : Avec cette expérience, on a envie de montrer qu’on peut être en ville en ayant un mode de vie low-tech qui ne génère pas de déchets et qui rentre dans les 2 tonnes d’émission de CO2 par an et par personne (soit l’empreinte carbone moyenne pour limiter le réchauffement climatique global à 1,5°C d’ici la fin du siècle, ndlr).
« Aujourd’hui, le vrai enjeu c’est de savoir comment on va vivre demain, c’est ça la vraie aventure. »
Corentin : C’est exactement pour ça qu’on a voulu ancrer la prochaine expérience à Boulogne-Billancourt, en région parisienne, qui est une des zones les plus densément peuplées au monde. On a un appartement de 26m2 en plein cœur de la ville qu’on aménage avec des low-tech et on noue des liens avec une vingtaine d’acteur·ices locaux : une ferme, une épicerie, une pépinière… Cette fois-ci, on se projette en 2040, pour 4 mois.
Au Mexique, on a fait le choix de simplifier l’expérience en retirant la composante « humain » pour valider les technologies, mais là, on veut vraiment créer un écosystème qui est aussi social. On y va étape par étape.
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Caroline : On veut aussi observer les liens qui peuvent se tisser avec d’autres acteur·ices de l’écosystème humain, les nouveaux modèles économiques à organiser, d’autres formes d’échange et d’interdépendance… À l’issue du projet, on aimerait mettre en place une forme de plaidoyer sur les lois et normes qui empêchent d’avoir un mode de vie low-tech en ville.
Et en parallèle, il y a un programme de sciences participatives, avec des personnes qui répliquent des parties de cette biosphère urbaine pour collecter un grand nombre de retours d’expérience. Nous, ça fait plusieurs années qu’on travaille avec ces low-tech, mais on a aussi envie de voir comment ça fonctionne chez les autres.
Et pour finir, on sait que vous aviez une enceinte dans le désert, quelle était la B.O de votre aventure ?
Caroline : Notre playlist était bien fournie, mais je dirais Homeward de Trevor Kowalski. Un morceau de piano qui nous a accompagnés dans l’installation de la biosphère.
Découvrez le documentaire L’expérience biosphère : 120 jours dans le désert sur le site d’Arte jusqu’au 27 mai 2026, et suivez la suite des aventures de Corentin et Caroline à Boulogne-Billancourt par ici.