Alors que Budapest et le Sziget s’apprêtent à accueillir des centaines de milliers de festivalier·es venu·es du monde entier, Benjamin Martinie alias Tolt, créateur de contenus liés aux voyages bas carbone et fondateur de Hourrail !, rappelle qu’il est tout à fait possible de privilégier le train plutôt que l’avion pour aller applaudir les plus grandes têtes d’affiche. Une décision à l’impact considérable sur le bilan carbone des festivals.
Le plus gros impact carbone d’un festival, on le sait, ce sont les transports utilisés par les artistes, les équipes, et surtout le public, qui à lui seul représente la moitié de l’impact global. Et si certain·es spectateur·ices viennent en avion, les chiffres explosent : selon un rapport du Shift Project, il suffit que 3% de festivalier·es choisissent la voie des airs pour que ce déplacement représente plus de la moitié des émissions liées aux transports du public… Et donc un gros quart de l’addition totale.
Pour les festivals souhaitant concilier grand rassemblement et respect de la planète, le sujet des transports est donc capital. C’est le cas du Sziget Festival, accueillant dans les 70 000 personnes par jour sur son « île de la Liberté » au cœur de Budapest. Sa programmation tout comme sa renommée sont internationales, et ses festivalier·es viennent chaque année de plus de 100 pays différents. Si le Sziget tente de réduire au maximum son impact environnemental, 80% de ses émissions de CO2 proviennent encore du transport aérien.
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Alors comment motiver celles et ceux qui le peuvent à privilégier le train ? Pour le Sziget, cela passe notamment par la recommandation sur son site internet d’itinéraires en bus ou en train, et par la mise à disposition, au départ d’Amsterdam, de deux trains « Sziget Express » à l’ambiance survoltée. « Dans le futur, nous comptons étendre ce type de déplacement autour de territoires clés avec cette préférence pour le train et les mobilités douces, précise le festival. C’est pour nous la seule voie qui nous permettra de continuer à célébrer la musique, la culture et l’engagement de nos festivalier·es » souligne Tomas Loeffen, responsable marketing du Sziget.
En attendant le coup d’envoi de l’un des plus grands festivals d’Europe, rencontre avec Benjamin Martinie alias Tolt, youtubeur passionné de voyage, créateur de Hourrail !, média et centre de ressources dédié à la mobilité bas carbone… Et « Szitoyen » convaincu : après une première expérience réussie il y a deux ans, Tolt compte bien revenir au Sziget cet été. En train, bien entendu. Car prendre les chemins de fer et de traverse pour se rendre à un festival, ce n’est pas seulement responsable : c’est agréable.
Il y a deux ans, tu t’es rendu au Sziget en train. Peux-tu nous raconter ton périple ?
Tolt : On a pris le train de nuit Paris-Vienne, une chouette expérience. On a passé deux jours et une nuit à Vienne, avant de rejoindre Budapest et le Sziget. Cette année, j’aimerais passer par l’Italie et la Slovénie à l’aller, et pour le retour j’ai réservé un trajet Budapest-Prague-Bruxelles. Sziget s’intégrerait bien dans un voyage Interrail (titre de transport permettant la circulation illimitée sur les réseaux ferroviaires européens, ndr.) pour faire le tour des festivals d’Europe tout en découvrant de nouvelles villes.
D’ailleurs, Budapest vaut vraiment le détour : la vie n’y est pas très chère, il y a plein de super endroits pour sortir, de beaux monuments à visiter. Et j’ai vécu la teuf la plus incroyable de ma vie au Sziget. Entre la scénographie qui me faisait penser à Alice au pays des merveilles et l’ambiance, c’était exceptionnel. Il y avait des gens sur des échasses qui se baladaient, qui nous aspergeaient de confettis… J’en garde un souvenir hyper fort.
En tant que créateur de contenu inspirant sa communauté à privilégier le train, quel conseil donnerais-tu à un festival souhaitant inciter son public à choisir les mobilités douces ?
Tolt : Sur Hourrail comme sur mes réseaux ou dans mes vidéos, j’utilise assez peu l’argument de l’écologie, considérant qu’aujourd’hui tout le monde sait que le train est moins impactant. Même si ça nous arrive parfois de le rappeler, parce qu’il est vrai que les gens sous-estiment l’importance des transports dans l’impact carbone d’un festival, je préfère mettre l’accent sur le plaisir de voyager autrement.
Le but est de rendre le train sexy
Mais plus concrètement, pour changer les habitudes de son public, un festival peut avoir recours à plusieurs méthodes. La principale, c’est la facilitation, à savoir prémâcher le travail : présenter l’itinéraire simplement, indiquer où réserver un billet de train, communiquer clairement sur l’existence d’un espace sécurisé pour garer son vélo ou, parce qu’après un festival les gens ont peut-être la flemme de pédaler 80 km, mettre en place un service pour déposer les vélos à la gare.
Ensuite, il peut y avoir des incitations financières ou des dotations, comme des boissons gratuites ou un tarif préférentiel sur la place. J’ai par exemple participé l’an dernier au rallye à vélo de Pete The Monkey, organisé par le collectif de DJ Gogo Green. Un moyen très cool de se rendre sur le festival depuis la gare d’Yvetot sans utiliser de voiture, avant d’être accueilli par une haie d’honneur et des consos offertes. Même si ça reste encore assez confidentiel – on devait être une trentaine –, la démarche est intéressante et envoie un beau signal. Quelle que soit la méthode employée, le but est de supprimer les barrières psychologiques, voire de rendre le train sexy.
À ton avis, pourquoi le train paraît si peu sexy ?
Tolt : Il y a beaucoup de clichés à déconstruire. Les gens pensent que le train, c’est toujours plus cher, et toujours plus long. Mais ça, ce n’est pas toujours vrai. On oublie souvent les coûts cachés d’un voyage en avion (le taxi ou le RER pour aller à l’aéroport, les suppléments bagage…). Et il y a encore un dernier coût, qui n’est jamais pris en compte : celui qui pèse sur la société, lié aux conséquences du réchauffement climatique.
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Ensuite, sur la question du temps, bien sûr que le train va mettre plus longtemps que l’avion pour des destinations lointaines qui nécessitent des correspondances. Mais ce n’est pas du tout la même expérience. Pour reprendre l’exemple de ce voyage au Sziget, je n’ai pas simplement passé 3h30 dans un avion : j’ai découvert Vienne, je suis allé au resto, j’ai vu des potes, on a fait la teuf, et je suis arrivé en plein centre de Budapest, où j’ai pu me balader avant d’aller au festival. Oui, ça peut être plus cher ou plus long de prendre le train (et encore, pas toujours), mais on revient avec beaucoup plus de souvenirs.
Hourrail !, qu’est-ce que c’est ?
Tolt : Le média de référence du voyage bas carbone. Nous avons trois missions. La première est de faciliter la mobilité bas carbone et aider les gens à trouver toutes les informations dont ils ont besoin pour voyager sans détruire le vivant. La deuxième est de faire bouger les imaginaires du voyage pour le rendre davantage compatible avec les limites planétaires. Et enfin, de fédérer la plus large communauté possible de voyageur·euses soucieux·ses de protéger le vivant : un an après notre lancement, on compte déjà plus de 400 000 abonnés en cumulé sur tous nos réseaux.
L’une de nos missions est de faire bouger les imaginaires du voyage
On a également lancé une carte des festivals avec Pioche!, en partant du constat que le plus gros impact carbone d’un festival était le déplacement de son public. C’est une toute première version, pour laquelle on s’est associé avec les festivals qui partagent nos valeurs. À terme, on voudrait faciliter la réservation de train, mais aussi fournir toutes les informations nécessaires au « dernier kilomètre », à savoir le trajet entre la gare et le site du festival. Cette carte recenserait un maximum de festivals européens, leurs engagements éco-responsables et des itinéraires clairs. Car c’est le gros enjeu du train aujourd’hui : il n’existe pas de billetterie réunissant toutes les compagnies ferroviaires européennes, ce qui ne facilite pas la tâche des festivalier·es.
Pour découvrir la carte des festivals accessibles en train, rendez-vous sur le site de Hourrail !.