Face aux inondations et aux sécheresses à répétition, la Friche Belle de Mai de Marseille s’apprête à accueillir une micro-forêt et des dispositifs de récupération d’eau de pluie à grande échelle. Fidèle à son ADN artistique, l’institution trentenaire prend soin d’adosser ces expérimentations à des actions socio-culturelles. Une voie pour faire entrer l’art et les citoyen·nes dans la fabrique de la ville.
Cet automne, Marseille s’est réveillée plusieurs fois les pieds dans l’eau. Comme dans bon nombre de villes en France, les épisodes de fortes pluies ont transformé des rues en torrents, inondé des immeubles et paralysé certains quartiers de la ville comme le Vieux-Port.
Installée dans une ancienne manufacture des tabacs du centre-ville, la Friche la Belle de Mai n’est pas épargnée par ces inondations fréquentes. Avec ses 45 000 m2 quasi-exclusivement recouverts de bitume, le lieu culturel est exposé aux défaillances du système « tout tuyaux » qui guide la gestion des eaux urbaines depuis la fin du XIXe siècle.
« Il n’y a pas de recette miracle, il faut désimperméabiliser les sols, faire de la place au naturel »
Pour y faire face, cette petite « ville dans la ville » joue la carte de la végétalisation. En installant des jardins, des potagers et bientôt une micro-forêt, la Friche veut réduire la pression sur les systèmes d’évacuation et améliorer le cadre de vie des habitant·es. Une démarche qui exige, au passage, de fédérer largement autour d’une autre gestion de l’eau en ville.
C’est tout le sens de la rencontre organisée par le LaboFriche entre deux déluges, au mois d’octobre, estampillée d’un mot d’ordre accrocheur : « De la ville entonnoir à la ville éponge ». Un moment d’échange entre associations, citoyen·nes, artistes et pouvoirs publics (Agence de l’eau, Ville, Métropole et Région) pour mettre en lumière les solutions et coopérations qui se tissent sur le territoire marseillais.
Place au végétal
Et les intervenant·es du jour s’accordent sur un point : face aux pluies diluviennes qui surchargent les réseaux d’évacuation, jusqu’à entraîner des déversements d’eaux non traitées directement dans les milieux naturels, la priorité est de gérer l’eau « là où elle tombe ». Pour cela, « il n’y a pas de recette miracle, il faut désimperméabiliser les sols, faire de la place au naturel », explique Perrine Prigent, adjointe au maire de Marseille Benoît Payan, déléguée à la place de l’eau dans la ville et à la ville résiliente.
À Marseille, la Friche la Belle de Mai répond à l’urgence par la « redirection écologique »
À la Friche la Belle de Mai, ce constat s’est traduit depuis plusieurs années par un plan de végétalisation du site. Un effort qui a réduit de 99% à 94% les espaces imperméabilisés de l’ancienne manufacture. « Au-delà de l’enjeu de l’eau, on veut aussi améliorer le cadre de vie des habitant·es du quartier en devenant un espace refuge en cas de fortes chaleurs », précise Yann Loric, directeur technique de la Friche.
« La micro-forêt sera un espace d’accueil, autant pour la biodiversité que pour les citoyen·nes »
Dans cette dynamique, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui régit le lieu s’est récemment associée avec la Ville et à des volontaires de la Jeune chambre économique de Marseille autour d’un projet de micro-forêt. L’association de jeunes citoyen·nes prévoit ainsi la plantation sur 300m2 d’un écosystème dense, composé d’espèces locales, inspiré par la méthode du botaniste japonais Akira Miyawaki.
« Ce sera un espace d’accueil, autant pour la biodiversité que pour les citoyen·nes : la plantation sera ouverte à tous·tes, des ateliers de sensibilisation seront organisés et les artistes s’imprègneront de cette forêt pour la sublimer », se projette Audrey Devedeux, bénévole à la Jeune chambre économique de Marseille et co-porteuse du projet.
« On n’est pas n’importe où, on est à la Friche »
Mais pour végétaliser un espace urbain, il faut de l’eau. Car en miroir des inondations à répétition, le spectre de la sécheresse règne également sur la cité phocéenne. C’est à cet endroit qu’interviennent Jean-Luc Brisson et Stéphane Manildo. Avec leur œuvre Les 40 voleurs de pluie, financée par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, les deux artistes résidents de la Friche la Belle de Mai proposent de détourner l’eau des réseaux d’évacuation pour la mettre au service des espaces verts du site.
« Aujourd’hui, la règle, c’est d’évacuer l’eau le plus vite possible, sans que personne ne la voie partir. Nous, on veut faire exactement l’inverse », annonce Stéphane Manildo, également architecte, paysagiste et initiateur du collectif Les Arts de la Crue. Leur dispositif collecte ainsi une partie des eaux de pluie du toit-terrasse de 8 000 m2 dans des jarres en terres cuites, dont la rondeur et la finesse détonnent au milieu du décor de béton brut. De quoi symboliser la préciosité de la ressource qu’elles stockent.
Car au-delà de la solution technique qui permet d’arroser une roseraie, et peut-être à terme d’alimenter les sanitaires, ce projet s’adosse à un récit et une esthétique qui interrogent notre rapport à l’eau. « On veut aussi utiliser les dimensions plastiques de l’eau, entretenir les imaginaires et le rapport intime que chacun·e peut avoir avec cet élément, développe Stéphane Manildo. Parce qu’on n’est pas n’importe où, on est à la Friche ».
Apporter une touche culturelle
Assurément, ces initiatives résonnent avec le tableau brossé par les intervenant·es du jour. Mais lorsque Nadine Florence, cheffe de projet sur la prévention des inondations à la Métropole Aix-Marseille-Provence, rappelle l’urgence de « restaurer le grand cycle de l’eau en milieu urbain », et Perrine Prigent celle de « repenser la place de la voiture en ville », tout le monde a bien conscience de l’humilité imposée par l’ampleur des enjeux. D’autant que, comme bien souvent dans la culture, certains projets tels que la micro-forêt peinent encore à réunir tous les financements nécessaires et reposent en partie sur l’engagement de citoyen·nes bénévoles.
À lire aussi : Blick Bassy : « J’ai voulu chanter sur l’eau et notre rôle parmi les vivants de manière poétique »
« Notre objectif, c’est surtout que ce type de projet s’égraine, qu’il touche des citoyen·nes et en inspire d’autres », reconnaît à cet égard Audrey Devedeux. De son côté, Yann Loric estime que c’est principalement la « manière de faire » qui fonde la légitimité de la Friche sur des sujets a priori éloignés de son ADN culturel. « La Friche a une longue expérience de gouvernance partagée : on va systématiquement chercher les points de vue des habitant·es du quartier, des artistes, des politiques, des financeurs… »
L’institution culturelle apparaît ainsi décisive pour enrichir les stratégies d’adaptation au dérèglement climatique d’une « touche culturelle » : impliquer les premier·es concerné·es dans les décisions, créer des espaces de coopération entre pouvoirs publics, inviter les artistes à interroger les représentations collectives… En bref, faire entrer l’art et les citoyen·nes dans la fabrique de la ville.
La programmation des prochains temps d’échange de La Friche La Belle de Mai est à retrouver en ligne.