Quatre ans après son dernier album, 1958, Blick Bassy est de retour avec Mádibá, un album envoutant dédié à l’eau. À travers une série de fables poétiques, le chanteur camerounais chante pour célébrer « ce fil commun entre tous les vivants ». Pour Pioche!, il revient sur la composition de ce cinquième album et sur son engagement d’artiste.
Réputé pour la diversité de ses créations, Blick Bassy s’est emparé avec poésie des enjeux environnementaux en choisissant de placer son cinquième album sous le thème de l’eau. Cette fois-ci l’auteur-compositeur-interprète, aussi écrivain et metteur en scène, emploie sa sensibilité pour exprimer de ce qui nous unit au vivant, et alerter sur les problématiques d’accès à l’eau observés au Cameroun. « Il s’agit de témoigner une forme de respect, de se connecter avec le vivant, d’imaginer à travers ces titres un monde dans lequel nous pourrions vivre en cohérence avec notre environnement » explique-t-il.
Au croisement de la soul, du folk et de l’électro, Mádibá réunit une dizaine de chansons sous forme de fables, invoquant tour à tour la rareté, la nécessité, l’énergie ou la puissance vitale de l’eau. Le single Hola Mè, dévoilé le 22 mars dernier à l’occasion de la journée internationale de l’eau, donne un aperçu de l’identité musicale singulière de cet album, disponible le 26 mai prochain.
Pourquoi avoir choisi le thème de l’eau pour ce cinquième album ?
Blick Bassy : Après avoir fait 1958 qui est un album hommage aux indépendantistes camerounais, il était essentiel pour moi de comprendre ce qui pouvait pousser les humains à détruire leur environnement, à décimer les vivants ou même à assujettir d’autres humains à travers des formes d’impérialisme, de colonisation et de capitalisme.
« Il était essentiel pour moi de comprendre ce qui pouvait pousser les humains à détruire leur environnement »
En recherchant la réponse à ma question, de manière presque évidente, cela m’a conduit à me rendre compte que c’est parce que nous avons coupé le lien qui nous lie aux autres vivants. Nous avons oublié de jouer pleinement notre rôle de contributeurs, de passeurs et de récepteurs dans la chaîne du vivant. Nous ne nous rendons plus compte que nous avons besoin des autres et de faire partie de la chaîne pour survivre.
Car si l’autre est essentiel à notre survie, on ne peut pas le détester, on ne peut pas l’assujettir, on ne peut pas le décimer, on ne peut pas mettre en place des systèmes qui détruisent le vivant. Quand je parle de l’autre, je parle du vivant, quelle que soit sa matière et sa forme.
Et dans cette connexion au vivant, quel est le rôle particulier que joue l’eau ?
Blick Bassy : J’aime beaucoup dire que l’eau est aussi un élément vivant. D’abord, elle a la particularité de composer et d’exister dans chacun des vivants. De manière naturelle, elle fait alors le lien entre tous les vivants. Mais, c’est aussi une matière vivante et libre, détachée des autres, tout en faisant partie de la chaîne.
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Comment tout ça s’exprime dans cet album ? Comment chanter l’eau quand on est Blick Bassy ?
« Dans cet album, chaque morceau est composé comme une fable »
Blick Bassy : Pour pouvoir parler de cette problématique sans que les gens aient l’impression qu’on leur donne des leçons, sans qu’ils aient l’impression qu’on les oblige à comprendre ou à rentrer dans une bataille qui n’est pas toujours leur priorité, j’ai décidé de faire un album dans lequel chaque morceau est composé comme une fable.
Ça permet d’en parler de manière beaucoup plus apaisée, de manière poétique. Ça permet également de pouvoir peut-être toucher l’autre qui n’est pas prêt à rentrer dans une démarche qui lui semble peut-être brutale. C’est une manière d’entrer par effraction dans le cerveau des uns et des autres pour installer des informations, sans les heurter.

Tu peux nous parler d’une des fables qui est racontée dans cet album ?
Blick Bassy : Dans le morceau Bengue, je parle de la pluie à travers un vieillard qui raconte à son petit-fils que la pluie tombait il y a encore quelques temps derrière la maison, mais qu’elle ne vient plus parce que les hommes l’ont tuée. Elle ne vient plus, même quand on passe la journée à attendre…
Je rentre aussi dans la peau d’un oiseau avec le morceau Mètam, un oiseau qui cherche désespérément un point d’eau pour s’arrêter et s’abreuver. Mais à chaque fois, il se rappelle que tous les points d’eau où il avait l’habitude de s’arrêter ont complètement disparu.
Pour écrire ces fables, tu es parti de ce que tu as constaté au Cameroun ?
Blick Bassy : Oui, exactement. Le fait que non seulement des sources disparaissent, mais également qu’il y a de la pollution. Dans un autre titre, c’est le chat qui appelle tout simplement l’éléphant en lui disant : « Viens, nous allons aller bloquer le chemin aux humains. Ils ont l’habitude de passer par cette piste là. Allons leur bloquer le chemin pour qu’ils ne partent pas polluer la dernière source d’eau qu’il nous reste. »
« J’ai voulu parler du manque d’eau et des difficultés d’accès à l’eau potable »
J’ai voulu parler du manque d’eau, et particulièrement des difficultés d’accès à l’eau potable. Pourtant, c’est une ressource essentielle à la survie de chaque être humain. Avoir des gens qui n’y ont pas accès, c’est tout simplement avoir des gens qui sont en sursis, qui peuvent mourir d’un moment à l’autre. On ne peut pas faire comme si on ne le savait pas.
Il y a aussi le fait que lorsque les terres et les sources d’eau sont polluées, par ricochets, beaucoup de paysans partent de leurs villages pour aller en ville, dans des conditions encore pires, dans une promiscuité qui n’est pas organisée et qui n’est pas préparée.
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Et au-delà de ta musique, comment est-ce que tu t’engages sur ces questions en tant qu’artiste ?
Blick Bassy : Pour l’instant, je travaille avec l’ONG Water.org, et j’ai envie d’aller beaucoup plus loin, en travaillant avec des structures au Cameroun. Mon idée c’est d’utiliser mon art et ma notoriété pour soutenir des projets qui implémentent des points d’eau potables dans des régions rurales et urbaines du pays, en commençant tout d’abord par comprendre le rapport à l’eau des populations.
Avant d’agir, il est très important de comprendre le rôle social que peut jouer l’eau, de mener des programmes d’éducation à la gestion et à l’économie de l’eau courante, de faire découvrir les métiers autour de l’eau comme l’assainissement, le recyclage etc. C’est indispensable pour apporter une réponse vraiment adéquate à chaque contexte.
Mádibá, le cinquième album de Blick Bassy, est sorti ce 26 mai sur le label InFiné.