Certain·es partent en forêt pour se promener, d’autres pour enregistrer un album. C’est le cas de Toh Imago, dont le second disque Refuge, façonné entre sa campagne isarienne et la forêt de Mormal, mêle habilement chants d’oiseaux, bruissements de rivière, nappes de synthé et boîtes à rythmes.
Article réalisé en partenariat avec InFiné.
Les thématiques fortes sont au cœur de la musique de Thomas Hennebicque, alias Toh Imago. Son premier album Nord Noir (2018, InFiné) s’emparait de celle des mines du Nord, où le grand-père du producteur fut jadis contremaître. Les bruits de machines, issus pour certains des fonds sonores du centre historique minier de Lewarde, y jouxtaient des cadences techno sévères. Le disque, remarqué, lui ouvrira les portes des clubs et festivals.
On aurait cependant tort de circonscrire Toh Imago à cet univers dur et souterrain. Il l’illustre en 2022 lorsqu’il signe l’identité sonore du Louvre-Lens. Allant chercher le point d’équilibre entre le patrimoine industriel de la région et le caractère familial du lieu, l’habillage agence mélodies électroniques et enregistrements d’ambiance réalisés dans le parc attenant au musée.
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C’est en continuant d’explorer cet entre-deux, cet espace liminal entre studio et territoire, que Toh Imago a conçu Refuge — un second album qui doit autant à l’introspection du confinement qu’à l’exaltation de longues excursions en forêt. Avec, toujours, ce lien profond au Nord natal, dont les noirs terrils arborent désormais des pommiers verdoyants.
Quel a été le point de départ de ce nouvel album ?
Toh Imago : Le confinement de 2020. Le titre du disque, Refuge, vient de là, car ce fut un moment où écouter et produire de la musique représentaient pour moi une sorte de refuge intérieur, mental. Une façon de me protéger de ce qu’il y avait autour. Étrangement, je me suis mis à composer une musique beaucoup plus positive, moins sombre que ce que je faisais avant. Il y avait un besoin de positif.
J’ai voulu faire un album immersif qui puisse peut-être servir de refuge aux gens qui l’écouteraient.
J’ai la chance d’habiter à la campagne, dans un hameau de l’Oise, depuis maintenant plus de 10 ans. Le confinement a donc aussi été l’occasion d’une reconnexion avec mon environnement. C’était le printemps, les bas-côtés débordaient de fleurs, alors qu’en temps normal tout était taillé…
J’ai voulu faire un album immersif qui serait le condensé de tout ça, et qui puisse peut-être servir de refuge aux gens qui l’écouteraient.
Plus encore que la nature, c’est la forêt qui se retrouve au centre de Refuge. Comment s’est dégagée cette thématique ?
Toh Imago : J’ai été invité en résidence par le festival Les Nuits Secrètes, à Aulnoye-Aymeries. À côté de chez eux, il y avait la forêt de Mormal, le plus grand massif forestier du Nord. Avec mon ingé-son, on a eu l’idée de prendre des pistes de synthétiseur que j’avais enregistrées au préalable, et de partir en forêt avec une petite enceinte Bluetooth pour diffuser les sons en plein air et les réenregistrer derrière.
Tout est musique, à partir du moment où tu l’écoutes avec attention.
La réverbération des arbres, c’est quelque chose qu’on ne peut pas vraiment recréer en studio. On a aussi pris le temps d’enregistrer des sons d’ambiance à Mormal, avant de tout mélanger sur l’album, de façon à ce qu’il n’y ait plus vraiment de limite entre les sons artificiels et naturels.
J’ai aussi été inspiré par le livre Une histoire de la forêt de Martine Chalvet. L’autrice y explique qu’à l’époque des Romains, la forêt représentait une sorte d’anti-civilisation, le lieu où se réfugiaient les barbares. Aujourd’hui, elle continue d’être un refuge pour les gens en dehors de la société ou en lutte ; je pense notamment aux ZAD.
Contrairement à la mine, dont le bruit s’impose à nous, il faut parvenir à se mettre en retrait pour « entendre » la forêt. Est-ce que ton travail sur cet album a renouvelé la façon dont tu écoutes ton environnement ?
Toh Imago : Je faisais déjà du « field recording » (enregistrements de terrain, ndlr) avant ; cette approche te fait prendre conscience que tout est musique, à partir du moment où tu l’écoutes avec attention. Mais il est vrai que nous sommes un peu des intrus·es en forêt : on arrive avec nos bruits, nos odeurs d’humains, et on perturbe les animaux sur place. À Mormal, il fallait toujours que l’on se pose un certain temps avant de commencer à entendre des choses nouvelles.
Nous avons aussi constaté qu’il était très dur de s’enfoncer suffisamment dans la forêt pour ne plus avoir de pollution sonore « humaine », que ce soit une route, une tronçonneuse… C’est d’autant plus dur qu’il y a de plus en plus de zones réservées à la chasse. Cette privatisation des forêts est préoccupante, mais peut-être le confinement a-t-il permis que les gens s’en rendent davantage compte en partant en balade.
Musicalement, Refuge troque les sonorités techno “dures” auxquelles on a pu t’associer, pour une ambiance plus apaisée — bien que toujours très entraînante. Comment s’est opérée cette évolution ?
Toh Imago : Pour le premier album, je m’étais vraiment focalisé sur le son des machines et des synthétiseurs ; maintenant, j’intègre beaucoup plus de samples. Cela m’a amené à aller chercher des sons issus de cassettes VHS de mon enfance, des films de vacances enregistrés par mes parents. Ce sont des rires, des bribes de dialogues… Quand on a eu une enfance plutôt heureuse, ça peut aussi être ça, le refuge, et j’aime bien trouver une façon de ramener ces moments formateurs dans ma musique.
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Par ailleurs, même si je me suis fait connaître avec de la musique plutôt « club », j’ai toujours admiré les artistes capables de faire le lien entre cela et des choses plus planantes, comme The Chemical Brothers. Sur cet album, j’ai renoué avec des sonorités qui m’inspiraient lorsque j’ai commencé à produire : Boards of Canada, The Future Sound of London… Je crois que c’est un peu la musique que j’ai toujours rêvé de faire.
Écoutez l’album Refuge de Toh Imago, sorti le 20 janvier sur InFiné.