Et si l’impact d’un festival se mesurait aussi à l’aune des valeurs qu’il transmet ? C’est l’engagement des Nuits Secrètes, ce festival du Nord qui, au-delà des mesures éco-responsables, déploie depuis 20 ans son attachement au fait-maison et à un territoire rural délaissé. Pour son fondateur Olivier Connan, c’est donc d’abord une fierté d’y programmer, du 22 au 24 juillet, aussi bien Damso que Juliette Armanet, PNL ou Charlotte de Witte.
C’est une première historique pour la 12e circonscription du Nord. Le 19 juin dernier, un député du Rassemblement National est élu face à son opposante de la majorité présidentielle. Un petit séisme dans ces terres historiquement communistes. Alors, quand Olivier Connan, le directeur des Nuits Secrètes, basé à Aulnoye-Aymeries depuis 20 ans, parle d’impact de la culture sur le territoire, il ne s’agit pas de langue de bois.
La programmation du festival rappelle celle d’un We Love Green ou d’un Rock en Seine, en bordure de Paris. Pourtant, c’est dans cette ville d’à peine 9 000 habitant·es que joueront du 22 au 24 juillet Damso, PNL, Juliette Armanet, Orelsan, Charlotte de Witte ou Jamie xx. « Est-ce que dans ce genre de petites villes, les gens ont le droit à Orelsan ? C’est aussi ça qui se joue. Ce type d’événements, ça résiste à l’idée de France périphérique, d’être à la traîne, de n’être servis qu’après les métropoles. Et ça c’est complètement RSE » lance le fondateur des « Nuits ».
Convoquer l’exemplaire
Alors oui, beaucoup des quelque 60 000 festivalier·es viendront en voiture, même si la Région propose, depuis 18 ans, l’offre de train à 1€ pour rejoindre le site. Mais sur place, on ne trouvera plus de viande rouge, bannie d’une offre de restauration où sera proposée au moins 50% de choix végétariens. En coulisses, pas de Coca ni de Heineken. Pas non plus de frigo ou de « kit de bienvenu » dans les loges : artistes et technicien·nes se servent en produits bio et locaux à « l‘Épicerie commune » tenue par des bénévoles du coin.
Cette année verra aussi l’instauration des Nuits douces, un « safe space » avec sa propre scénographie et un accueil dédié à la réduction des risques (auditifs, stupéfiants, violences sexistes et sexuelles). « Un festival peut servir à ça, à convoquer des expériences et exemples à suivre ensuite. C’est valable pour les préservatifs comme pour la musique, la nourriture ou l’écologie » justifie le directeur de l’événement. « On est cohérent avec ce qu’on défend, à l’antithèse des festivals avec de la pub partout. C’est de l’impact social. »
Un festival dans le désert
L’impact social. C’est le point de départ de l’aventure, quand au milieu des années 80, une bande de potes s’amuse à appeler les numéros de téléphone au dos des vinyles pour inviter les groupes qu’ils aiment à venir jouer dans leur maison des jeunes. C’est l’époque Lang, l’ouverture des frontières, la mairie est – comme aujourd’hui encore – communiste. Le succès aidant, bientôt, on proposera au jeune Olivier Connan de rafraîchir la fête locale du 15 août, de la tourner davantage vers la jeunesse.
Défi relevé, avec l’envie d’en garder l’esprit populaire, authentique, avec sa fête foraine au milieu, et organisé par les gens du coin. Gratuit, le festival bénéficie des crédits de la Ville pour inviter des « stars » : Tiken Jah Fakoly, Hubert-Félix Thiéfaine, Marcel et Son Orchestre. De quoi tenir cette utopie un peu folle d’organiser un beau festival dans le Nord, au cœur de l’été. « On nous a dit que tout le monde serait en vacances. Mais on sait bien que tout le monde ne part pas en vacances » se souvient le fondateur, natif d’Aulnoye-Aymeries.
Je suis un habitant comme un autre, j’essaie de me débattre avec les contradictions de ce monde
Depuis, cet ancrage local fort est resté. Et s’est même consolidé grâce aux Parcours Secrets – ces concerts surprises organisés dans des lieux méconnus de la région (une grange, un ancien tribunal, un château…). « Ce sont des preuves d’amour à ma région, l’Avesnois, sa ruralité, ses paysages, ses sites qui ont bercé mon enfance, explique Olivier Connan. J’ai eu envie d’amener les gens dans ces lieux qui me touchent, et d’y inscrire un événement ou un concert, pour le sublimer. »
Pas question par contre de devenir une agence de développement touristique pour la région. « Mon métier, c’est d’organiser la rencontre entre un·e artiste, une équipe et un public. Si cela a des bienfaits pour l’économie locale, que ça valorise les produits locaux, tant mieux, mais ce ne doit pas être fait dans le sens inverse, au risque de nuire à l’artistique. »
N’en déplaise au député
Les Parcours Secrets, historiquement accessibles en bus aux vitres teintées, pour garder le mystère de la destination, se dévoileront cet été aussi à pied et à vélo. Résultat d’une des réflexions nées à la faveur du Covid.
« Je suis un habitant comme un autre, j’essaie de me débattre avec les contradictions de ce monde. Et forcément ça impacte mon métier et celui de toute l’équipe sur des questions d’inclusion et de durabilité » explique encore le directeur des Nuits Secrètes. Une agence a été sollicitée pour former les équipes aux questions de responsabilités, et trouver des solutions aux enjeux écologiques. Résultat, une réduction de 40% de l’impact carbone du festival attendue pour 2022.
Alors, si l’idée d’un festival en croissance paraît aller à rebours des exigences climatiques, c’est aussi à l’aune des valeurs déployées que l’on mesurera son impact. « Il y a chez nous quelque chose du fait maison, de fait local, qui montre au public que l’on peut faire les choses différemment, et servir à cette prise de conscience environnementale. Finalement, on continue à incarner les valeurs de solidarités locales qu’il y avait dans les années 80 chez les Cocos. » N’en déplaise au nouveau député.
Retrouver toute la programmation des Nuits Secrètes, du 22 au 24 juillet à Aulnoye-Aymeries (Nord).