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« On travaille toujours plus pour espérer obtenir le même résultat » : derrière Marsatac, un mille-feuilles d’actions 100% Marseille

par Jean-Paul Deniaud
12 juin 2025
Marsatac au Parc Borély

Marsatac se déroule à nouveau au Parc Borély, à Marseille

Ils ne sont pas si nombreux, ces festivals ancrés sur leur territoire, qui se transforment en de véritables outils d’action sociale sur leur territoire. Alors que Marsatac ouvre sa 27e édition ce week-end au Parc Borély, on a voulu creuser le sujet avec Béatrice Desgranges, fondatrice et directrice d’Orane, l’asso derrière le festival marseillais depuis 1998.

Car entre les difficultés économiques du secteur, un rapport au public plus individualisé, et des engagements sociaux et politiques plus assumés, c’est rien de dire que les métiers et les règles du game ont changé. Analyse et prise de hauteur, les deux pieds ancrés sur la « planète Mars ».

Milieu des années 90, à Londres. Posée sur l’herbe de Finsbury Park, Béatrice allume une clope. Elle a la vingtaine, et rêve tout haut d’un festival à la Glastonbury dans sa ville natale, Marseille. Ses potes Dro et Laurence abondent : il n’y a rien de tel dans la Cité phocéenne. De retour au pays, il faudra attendre l’explosion de la scène rap marseillaise, tirée par la locomotive IAM et son École du micro d’argent, pour que le rêve anglais se matérialise. L’asso Orane – du nom de la compagne de Pagnol – est créée en 1998 pour porter le premier festival Marsatac, en février 1999.

27 ans plus tard, le festival Marsatac « est la vitrine de tous nos savoir-faire et de tous nos engagements » commente Béatrice, toujours directrice d’Orane. Ateliers avec des artistes dans les collèges ou les centres sociaux avec la Marsatac School, accélérateur de la scène hip hop locale avec La Frappe, application Safer pour protéger les publics contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) dans les événements… Sans compter la transition écologique amorcée depuis 2008, le travail sur la prévention acoustique et une participation active dans de nombreux réseaux professionnels.

À lire aussi : Festival Marsatac : 25 ans de rap, d’électro et de mise en lumière de la scène marseillaise

« Au fond, les valeurs d’Orane n’ont pas changé depuis l’origine », affirme aujourd’hui Béatrice Desgranges. « Notre première édition, c’était par et pour les Marseillais. 100% Marseille, 100% hip hop, avec déjà l’envie de le faire fièrement et professionnellement, dans une certaine rivalité avec Paris. Les mêmes valeurs sont encore là aujourd’hui, de notre affiche artistique à l’accueil des publics : beaucoup de respect, de chaleur, pour que l’expérience soit la plus réussie. »

À quelques heures du coup d’envoi de la 27e édition de Marsatac, on a pris un temps pour évoquer la réponse d’un acteur culturel comme Orane, et le festival Marsatac, à cette époque polarisée, violente, continuellement « en crise ». Face aux colères, qu’elle dit « évidemment » légitimes, Béatrice Desgranges répond par la mesure et la prudence. Et revendique de se placer sur le temps long pour mieux faire sortir de terre des nouvelles branches d’activités, de nouvelles actions, au service de Marseille. Car, dit-elle, « pour moi, en faisant cela, c’est comme si on approfondissait nos racines ».

En tant qu’actrice culturelle en France, quelle est ta photographie de notre époque, du contexte actuel ?

Béatrice Desgranges : Je trouve que le monde s’individualise, et même se « superficialise ». Dans un moment où l’on est soumis à la violence et l’impunité de certains États vis-à-vis d’autres ou de certains peuples, je comprends que l’on ait besoin de s’en protéger. C’est humain. La crainte, c’est que l’on s’en détourne complètement. Ça, ça me touche beaucoup et ça me motive.

Parce que ce qui m’intéresse dans la fabrication d’un festival, c’est créer un lien, vivre des choses ensemble, faire se croiser des gens qui ne se croiseraient pas forcément. Et en même temps, c’est offrir une bulle de déconnexion pour se faire du bien, faire la fête. Ça a toujours été la promesse de Marsatac. Dans les courants esthétiques qu’on défend, rap ou électro ou techno, on a toujours fait le choix, de manière consciente, de la version ensoleillée, festive.

« Le rapport s’est fortement individualisé entre le public et son artiste. »

Dans ce monde où les choses paraissent se déliter, ça me donne encore plus de conviction sur ce qu’est un outil festival. C’est bien ce qui me rend triste quand je vois la difficulté que nous traversons, les festivals, aujourd’hui, depuis les années 2020, la remise en question de nos modèles économiques, notre capacité à attirer, à trouver un équilibre financier.

Justement, quelle est ta photographie du monde culturel ?

C’est d’abord la professionnalisation du secteur des festivals. On est passé du projet d’une bande de jeunes pour les jeunes du territoire, à une activité ultra professionnalisée. Toujours avec une expérience collective, mais où tout devient partie intégrante du métier. Jusqu’à parfois créer de la contrainte.

Je suis bien sûr fière que les festivals permettent d’être sensibilisé à l’environnement, de faire attention à celles et ceux qui nous entourent dans la bienveillance, avec la sécurité et la prévention nécessaire. Mais nos métiers se sont considérablement alourdis. C’est aussi propre à notre époque, à nos outils : la perte de l’oral, tout écrire par SMS, mails, WhatsApp. Besoin de confirmer, de se border. Le moindre échange est partagé à 25 personnes. J’imagine que c’est aussi ce qui conduit à tant de reconversions vers des choses plus simples.

À lire aussi : Marsatac 2024 : comment avancer sur l’accessibilité des festivals ?

Ce qui renforce la difficulté, c’est aussi l’effervescence des festivals. Il y a 27 ans, on s’est lancé parce qu’il n’y avait presque rien. Aujourd’hui, il y a deux festivals par week-end. Et un public qui bâtit sa relation à la musique et aux artistes à travers le stream et les réseaux sociaux, sur un téléphone. On vient voir celui ou celle qu’on connaît, sur les horaires où il passe. Le rapport s’est fortement individualisé entre le public et son artiste.

Et ça va dans les deux sens. L’artiste s’auto-produit, gère sa propre com sur ses réseaux sociaux, est éminemment engagé dans la production de ses spectacles. Il est moins en lien avec l’écosystème festival et presse, qui se délite. Avant, on avait de la chance d’être programmé sur un festival pour donner de la visibilité à son projet. Aujourd’hui, même si ce maillage reste important dans le développement d’une carrière – 80% des revenus des artistes viennent du live – on voit aussi des projets développés dans la SMAC du coin enchaîner sur une salle à 10 000, puis faire un Bercy, et après un Vélodrome.

Sur les cachets, où en est-on ? Est-on proche de la limite acceptable pour la survie des festivals ?

Personne ne se rend compte de l’abnégation dans laquelle on est quand on porte un festival indépendant et associatif. Je ne sais pas quel est le point limite. Marsatac, jusque-là, c’était trois soirées de programmation. Cette année, c’est seulement deux soirées, avec le même budget artistique.

« On travaille toujours plus, en fait, pour espérer obtenir le même résultat. »

Donc, on se bat, on se réinvente, on fait les choses autrement, on rajoute d’autres volets. On fait une programmation de 10 dates hors-les-murs à produire (le Off de Marsatac, ndlr.), à programmer, à boucler, à promouvoir, pour stabiliser le modèle économique et la trajectoire qui est la nôtre. On travaille toujours plus, en fait, pour espérer obtenir le même résultat.

Ce mille-feuilles d’activités, c’est aussi une nécessité économique ?

Oui, bien sûr. L’augmentation des cachets des artistes, on la constate depuis 2014. Entre temps, on a développé le champ de l’éducation artistique et culturelle (EAC), en posant les premières briques de notre programme Marsatac School, dès 2018. Ce n’était pas tant économique au départ que le souci d’intervenir auprès de la jeunesse dans les quartiers politiques de la ville, pour y amener la question de la sensibilisation et de la création artistique.

En 2019, on porte le dispositif La Frappe. Pour faire émerger des jeunes artistes du hip hop marseillais, on met en résidence une promotion d’artistes à qui on commande un show, qu’ils jouent exclusivement sur Marsatac. On monte aussi des projets de création à l’international, au Mali, à Beyrouth… De fil en aiguille démarre la Marsatac Agency, pour mettre nos compétences au service d’artistes en émergence, en 2021.

Je dirais que la première pierre a été posée en 2008. Pour nos 10 ans, on a créé la charte « Pour un Marsatac durable et solidaire » – c’était tout à fait pionnier sur notre territoire – grâce à laquelle ont démarré nos engagements en matière d’éco-responsabilité, et a lancé notre bilan carbone en 2009, suivi d’un plan d’action. Plus tard, la vague #MetooMusique nous a amené à imaginer Safer, en 2021, un dispositif pour accueillir les public en toute sécurité, que l’on a mis à disposition des autres.

À lire aussi : À Marseille, le festival Marsatac fait sa transition en bande organisée avec CleanMyCalanques

Toutes ces initiatives sont issues de réflexions quasi quotidiennes avec l’équipe et dans mes mandats et actions au sein de réseaux professionnels : le Centre national des variétés (CNV) à l’époque, devenu le Centre national de la musique (CNM), au Syndicat des musiques actuelles (SMA) dans lequel je suis élue, au Cofees. Cette question du collectif est un moteur, et le sens de ce que l’on fait. Y compris avec les riverains. On souhaite que le festival soit respectueux de son environnement et s’implante avec harmonie dans ce territoire urbain.

Ce rôle d’utilité publique, voire d’expertise, d’animation du territoire et de coopération, est-il pris à sa juste valeur par les collectivités, donc les subventionneurs ? On a l’impression d’une inadéquation entre le modèle économique de l’acteur culturel, et l’ampleur des sujets sur lesquels vous vous engagez.

Cela participe de la reconnaissance d’Orane et du projet porté par l’asso, bien évidemment. Tous ces volets montrent le rôle qu’a joué Orane et Marsatac sur son territoire, de manière pionnière sur la question de l’éco-responsabilité en 2008, innovante et inédite sur les VSS avec Safer dès 2021, sur la question de la réglementation sonore… Cela fait comprendre combien, chez Orane, nous défendons ces sujets avec la sincérité, la qualité et l’exigence qu’on s’impose à nous-mêmes.

Et c’est le sens de notre action depuis 1998. Ce côté 360 donne de la force au projet, le rend incontournable, valeureux, et participe de son ancrage fort au territoire. On n’agit pas seulement en apportant une contribution musicale et festive, mais aussi sur le champ de l’EAC, de l’émergence artistique, de la prévention, sur le champ économique. Et à l’endroit de la transmission, au sein des équipes, pour faire monter en compétence les personnes au sein de la structure.

Les subventions représentent de 20% à 22% de notre budget. C’est à l’image de nos engagements au service des politiques publiques. Je le revendique et ça a du sens. En guise de perspectives, Orane est lauréate d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour porter un lieu de pratique et de diffusion artistique sur le haut de la Canebière. Soit l’endroit où est né le hip hop à Marseille. Exploiter ce lieu demain, c’est aussi s’autonomiser et cultiver notre indépendance, dans un contexte où les financements publics de la culture sont mis à mal.

L’époque tend à repolitiser la culture, dans ses discours et ses postures. Comment le vit-on chez Orane ?

On débat beaucoup avec les équipes du sens de ce que l’on fait. Au moment des législatives, on a pris la parole contre le projet de société défendu par l’extrême droite, pour faire savoir que derrière nos actions, on mène aussi un projet de société inclusive, diverse, respectueuse de l’altérité, dans laquelle chacun et chacune doit pouvoir avoir sa place. C’était notre responsabilité. Il fallait mettre des mots sur ce qu’on fait tous les jours au quotidien. Et on l’a vu, ça a fait du bien au public.

« Derrière nos actions, on mène un projet de société inclusive »

Bosser pour la jeunesse en 2025, lui offrir des espaces dans une société qui leur en laisse de moins en moins, travailler les esthétiques qu’on travaille, c’est déjà un acte politique. Le projet est aujourd’hui reconnu par la puissance de ses engagements, mais sans que ce soit un outil politique. Car sur ce territoire complexe politiquement, et très concurrentiel en matière d’événements, où les instances peinent à faire la différence entre l’engagement d’un festival et la cupidité d’un autre, il faut être prudent.

C’est aussi ce que je partage avec les équipes, qui peuvent vite aller dans la colère. Cette responsabilité de s’inscrire sur le temps long, c’est aussi une certaine forme de transmission. Parce que ce trajet-là, mieux vaut le vivre avec le plus de gens possible. Demain, on ouvrira les portes de notre équipement pour y accueillir encore plus de monde. Comme le festival, ce sont des endroits précieux. Et des perspectives qui me donnent de la force pour, justement, soigner le chemin.

Retrouver toute la programmation et les infos sur la 27e édition de Marsatac, les 13 et 14 juin au Parc Borély, Marseille.

Tags : FestivalInterviewPolitiqueVille

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