Comment les festivals de musique historiques abordent-ils leur transition écologique ? À Marseille, le festival Marsatac veut donner l’exemple en implémentant, année après année, de nouvelles initiatives – plus ou moins ostensibles – visant à réduire son impact environnemental et à s’engager en faveur de son territoire. Sa 25e édition, du 16 au 18 juin prochain, ne fera pas exception.
En 1999, date de sa première édition, le festival Marsatac accueillait 2 500 personnes – il en attend cette année près de 40 000 au parc Boléry. Festival historique du hip-hop français – bien que son affiche se soit nettement diversifiée –, l’événement est rarement cité pour ses engagements. Pourtant, le changement d’échelle du festival Marsatac s’accompagne depuis 15 ans d’une réflexion active sur son impact, avec l’initiation en 2008 d’un projet “durable et solidaire”.
Derrière ces belles paroles se cachent des engagements très concrets, comme la réalisation dès 2009 d’un bilan carbone ou la signature de la charte “Drastic on Plastic” – des initiatives que l’on retrouve par exemple chez We Love Green, un point de référence des festivals écolos.
Avec la création du dispositif “Safer” en 2021, centré autour d’une application destinée à lutter contre le harcèlement et les violences sexistes en festival (et désormais implémentée dans plus de 70 événements), l’association Orane, organisatrice du festival Marsatac, confirme que sa réflexion ne se limite pas aux seuls enjeux environnementaux.
En 2022, elle crée un poste dédié à la responsabilité sociétale des organisations (RSO), avec pour objectif de renforcer les actions du festival sur les questions économiques, sociales et environnementales. Avec pour objectif, notamment, de sensibiliser les jeunes festivalier·es, majoritairement âgé·es de 18 à 25 ans.
Comment ? En cherchant le juste équilibre entre éducation et divertissement. Sans oublier de prendre en compte les spécificités du territoire : de l’exceptionnel patrimoine naturel du parc des Calanques à la richesse culturelle de la cité phocéenne et de ses habitant·es. Pioche! a abordé le sujet avec Johan Dupuis, responsable RSO d’Orane et Eric Akopian, fondateur de l’association Clean My Calanques et partenaire du festival Marsatac depuis plusieurs éditions.
Quelle forme prendra la collaboration entre Marsatac et Clean My Calanques durant l’édition 2023 du festival ?
Johan : les équipes de Clean My Calanques seront présentes aux entrées du festival pour faire de la sensibilisation au sujet des déchets, de la même façon qu’elles peuvent le faire aux abords du Vélodrome. Il y aura aussi un stand dans l’espace “Récréation”, où se retrouvent toutes les assos avec lesquelles on travaille cette année, comme UNICEF, Petits Frères des Pauvres, l’AFEV…
À la sortie du festival, il y aura un deuxième temps de sensibilisation, avec des paniers de basket au-dessus des poubelles, pour inciter les gens à ne pas jeter leurs déchets n’importe où… On va aussi essayer d’organiser une prise de parole sur scène, chaque jour, afin de bien faire passer le message. Et enfin, il y aura des actions de nettoyage du site avec des bénévoles en fin de week-end.
Le fait qu’ils nous aient vus avec le rappeur SCH, par exemple, ça crée un lien, une connexion
Eric : Notre enjeu, c’est de toucher des gens qui pensent que l’écologie et l’amusement, ce sont deux choses séparées. Les prises de parole et la sensibilisation, c’est bien, mais ça ne fonctionne que jusqu’à un certain degré, surtout dans un contexte festif.
Une fois passées les portes du festival, les gens se disent “OK, je m’amuse, il n’y a plus rien d’autre qui compte.” C’est un peu pareil au stade Vélodrome. Les gens savent que c’est leur stade, mais ils se disent, “c’est une autre ambiance, je laisse mon cerveau de côté”. On peut observer ces comportements chez tout le monde, sans question d’âge ou de catégorie sociale. C’est ça qu’on essaie de changer, on veut montrer qu’on peut s’amuser sans faire un carnage.
D’où les actions ludiques, comme les paniers de basket, ou les récompenses : les festivalier·es qui ramènent un gobelet rempli de mégots repartent par exemple avec une réduction de 50% sur un burger. C’est cette carotte qui amène à un premier geste, et une fois que le premier geste est fait, tout le reste devient plus simple.
Johan : Il y a clairement deux temps séparés. Lorsque les festivalier·es sont dans une file d’attente, on peut se permettre de marteler des messages. Mais en tant qu’organisateur·ices, nous avons aussi la responsabilité de faciliter au maximum la vie des festivalier·es qui viennent pour se consacrer à la fête. Tout doit donc être fluide, en anticipant le nombre de poubelles, les points de tri, l’affichage, etc.
Clean My Calanques emploie des méthodes très actuelles pour mobiliser des bénévoles, que ce soit avec la reprise du tube “Bande Organisée” – devenu “Cleaner Organisé” –, en s’associant pour des actions de nettoyage au groupe Facebook “Memes Marseillais” ou carrément à l’influenceuse star EnjoyPhoenix. En 2023, comment peut-on réinventer les actions de sensibilisation ?
Eric : Il faut essayer de s’adresser à des personnes différentes – se cantonner à parler aux écolos, aux convaincu·es, ça ne servira à rien. Les influenceur·euses sont des personnalités qui peuvent toucher des millions de personnes très rapidement et nous donner une légitimité auprès des plus jeunes. Évidemment, elles ne sont pas parfaites – mais personne ne l’est.
Allez expliquer ça aux minots entre deux concerts…
Tout ce qu’on leur demande, c’est de passer un message à leur audience, sans en faire trop, sans être relou. Ce matin encore, j’étais dans un collège pour une sensibilisation, et le fait qu’on nous ait vus avec le rappeur SCH, par exemple, ça crée un lien, une connexion. Ils se disent “c’est une personne comme moi, il ne va pas venir nous faire la morale”.
Johan : Les artistes ont certainement leur rôle à jouer, ils et elles peuvent véhiculer des messages de façon beaucoup plus directe. Au niveau du festival, nous caressons l’espoir de tourner de courtes vidéos avec eux et de les diffuser sur les écrans avant leurs prestations, mais il faut vraiment y aller avec des pincettes. On les sollicite déjà beaucoup, et leurs tournées ne sont pas exemptes de défauts sur le plan écologique, donc c’est un sujet sensible.
Réussir à ne pas être moralisateur, parvenir à contextualiser, à savoir de quoi on parle… C’est hyper compliqué. Nous-mêmes, nous avons déjà du mal à calculer correctement notre empreinte carbone, avec les transferts d’impact, etc. Allez expliquer ça aux minots entre deux concerts… La priorité, en festival, c’est de comprendre que ce que l’on a dans la main, que ce soit un gobelet, une bouteille ou un emballage, ça a un coût pour la planète. Point barre. Vous le mettez dans la bonne poubelle et on s’occupe du reste. Mais par pitié, faites déjà ça.
Eric : Il faut aller à l’essentiel et c’est déjà très bien. Quand on intervient à la fac, en après-midi, lorsque tout le monde est sobre, alors oui, on peut parler d’empreinte carbone et de réduction des déchets à la source. Et c’est la clé : le meilleur déchet, c’est celui qui n’existe pas.
Mais tu ne vas pas expliquer ça à un mec bourré en festival. Il faut arrêter d’être utopiste : tu ne ressors pas du festival Marsatac en étant Greta Thunberg. Si l’on croit qu’il faut être parfait pour remettre le pied à l’étrier, ça va bloquer. C’est pour cela que certaines assos n’arrivent pas à trouver de nouveaux moyens de communiquer. Tout l’enjeu est là – pour mobiliser plus de monde, il faut décloisonner le discours et déculpabiliser les gens.
Quels sont les enjeux propres à Marseille et à ses acteurs culturels lorsque l’on parle d’écologie ?
Johan : Bien que nous soyons la seconde ville de France, nous accusons un gros retard sur les transports en commun. C’est assez symptomatique d’avoir des lignes de tram qui se superposent aux lignes de métro. La voiture est encore reine, rien n’est fait pour le vélo ; on se rend compte dans nos études d’impact pour le festival Marsatac que le transport des publics pèse très lourd dans la balance, bien que nous soyons au cœur de la ville. Et sur la gestion des déchets, nous ne sommes pas non plus en avance…
Après, tu ne ressors pas du Marsatac en étant Greta Thunberg
Eric : Un levier dont on peut se servir, c’est la proximité de la mer et des Calanques. On est juste à côté, donc on ne peut pas se permettre de polluer autant, et on peut montrer ça aux gens : ce qu’ils jettent par terre finit dans la mer ou sur les plages, juste sous leurs yeux.
Tout ne se joue évidemment pas au niveau individuel – nous sommes une des villes où l’on paye le plus d’impôts pour le service, et on en est encore à devoir chercher des poubelles en ville pour jeter ses déchets. Alors le tri, on n’y est pas encore… Ce qui est rassurant dans un sens, c’est que même les événements qui font du greenwashing ont compris que les ramassages en fin de festival, ça ne suffit pas. Tout le monde comprend qu’il faut diminuer le nombre de déchets à la base.
Johan : Certains acteurs du territoire, dont nous faisons partie, essaient de répondre à cet enjeu en renforçant la mutualisation, afin d’éviter de produire des choses supplémentaires. Cette année, par exemple, nous avons deux bars à eau avec des cubes de récupération d’eau. Dans un premier temps, tout ce qui ne va pas dans le verre des festivalier·es va aux parcs et jardins, car il n’est plus autorisé d’arroser le parc Boléry. Ensuite, plutôt que de garder ces bars au chaud pendant un an, nous allons les prêter à d’autres festivals.
Pour l’instant, ça se fait par les contacts, de manière un peu artisanale, mais nous réfléchissons à mieux structurer tout ça en faisant appel à un opérateur tiers, un peu comme ce que fait la Réserve des arts. Ça aussi, ça participe à la réduction des déchets. Et je crois que c’est à l’image de Marseille : on finira, je l’espère, par avoir une réponse à l’échelle du territoire, mais ce seront toujours les opérateurs et les citoyen·nes qui feront les choses en premier. La réponse viendra toujours du terrain.
Festival Marsatac, du 16 au 18 juin au Parc Borély de Marseille – Retrouvez la programmation et les infos pratiques sur le site du festival.