Au-delà du buzz des manifs, Mathilde Caillard alias MC danse pour le climat incarne un certain renouveau des mouvements climat. Une écologie qui s’appuie sur la techno ou les réseaux sociaux pour politiser d’autres espaces, amener de la joie dans les luttes, et créer de véritables alliances avec d’autres mouvements sociaux. Rencontre.
On a vu émerger MC danse pour le climat et son personnage sur Instagram et TikTok lors des manifestations contre la réforme des retraites. Lunettes noires, danse techno, chants politiques, elle nous a fait l’effet d’une déflagration parmi les figures émergentes de ce que l’on nomme parfois un peu simplement la « génération climat ». Comme un nouveau souffle après la fin des grandes marches pour le climat. Et un symbole du travail militant qui semble à nouveau s’adresser aux gens « là où ils sont », en épousant les codes de l’époque.
Comme une synthèse de ce savoir-faire, la soirée Saint Val en train qu’elle co-organise ce 17 février à la Cité Fertile, avec son label-collectif Planète Boum Boum et Alternatiba Paris, mais aussi Sud Rail et l’alliance écologique et sociale, pour « déclarer sa flamme au fret ferroviaire ».
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D’une enfance dans une famille militante à l’Assemblée nationale, comment en arrive-t-on à composer un morceau de techno pour soutenir un syndicat de cheminots, tout en étant écolo ? En donnant la parole à celle qui se définit avant tout comme une « techno-activiste », on constate surtout qu’une nouvelle culture écologique est en train d’émerger, semblant réconcilier fin du monde et fin du mois sans rien renier de sa capacité à faire danser les foules.
2024, année du « techno-activisme » ?
Comment devient-on MC danse pour le climat ? Presque un personnage iconique d’internet, avec ses millions de vues, à mi-chemin entre les clubs techno et les manifs contre la réforme des retraites ?
Mathilde Caillard : J’ai créé ce personnage sur les réseaux sociaux en 2020 parce que, comme beaucoup de militant·es, j’adore faire la teuf. Je suis souvent la personne qui danse la première, celle qui désinhibe le groupe, la « sans-gêne » de la danse. Dès qu’il y a un peu de musique, en pleine journée, devant tout le monde, je m’en fous. La danse me ressource.
« On essaye de créer de la viralité pour faire émerger des sujets dans le débat public »
Pendant les manifs contre la réforme des retraites, avec la grande alliance écologique et sociale qui réunit des syndicats et des assos écolos, on avait un camion sono qui crachait de la grosse techno dans les rues. Un pote m’a filmée un jour pour rigoler, pendant que je dansais. À la base, la vidéo n’était pas du tout destinée à être diffusée. Une amie m’a dit « tu vas casser internet avec ça ». J’ai créé un compte TikTok pour l’occasion, je ne l’ai rouvert que quelques jours plus tard. On avait pété le million de vues. C’était n’importe quoi.
Ça me rassure de me dire que MC danse pour le climat, c’est un personnage, que ce n’est pas entièrement moi, qu’il y a aussi Mathilde Caillard en retrait, qui observe et qui peut avoir des moments de doute ou de timidité. Mais quand je suis MC, je suis comme sur scène, c’est une figure un peu décalée, qui véhicule l’image de quelqu’un de très sûr de soi, avec quelque chose d’hyper revendicateur dans son être.
Pour revenir sur ton enfance, j’ai lu que tu venais d’une famille militante, tu es en quelque sorte « tombée dedans » quand tu étais petite ?
Je viens effectivement d’une famille très politisée à gauche. Depuis petite, mes parents m’emmenaient dans les manifs. La première, ça devait être contre Le Pen en 2002, j’étais en poussette. Les marches à l’église St Bernard contre la loi CPE… Les grands moments de la gauche des années 2000 quoi. Mais la petite particularité de mes parents, c’est qu’ils étaient écolos, ce qui restait très minoritaire à l’époque.
Je ne me suis approprié cet engagement que plus tard, en étudiant la théorie politique et les sciences sociales. J’ai commencé à avoir un rapport plus personnel à la politique, sans passer par mes parents. Et la techno est venue en parallèle, pendant mes études, comme beaucoup j’ai commencé à beaucoup sortir en club, à aller à Berlin.
« Il faut être humble et aller là où les gens sont »
Je n’étais pas encore militante mais après la démission de Nicolas Hulot, en 2018, je suis allée dans les Marches climat avec mes parents. Ma sœur est entrée à Alternatiba Paris et a commencé à faire de la désobéissance civile. Moi j’étais dans mon truc, dans mon couloir, je ne la comprenais pas vraiment.
Puis j’ai lu le rapport du GIEC, je me suis renseignée et je me suis rendu compte que c’était moi qui étais à côté de mes pompes. J’ai eu beaucoup d’éco-anxiété, et j’ai commencé à militer politiquement à mon tour.
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Tu dirais que ça a été un déclic personnel ? On entend beaucoup cela quand les gens parlent de leurs engagements et de leurs parcours.
Non, la dimension collective a été primordiale. Ça a été fort de me rendre compte que je n’étais pas seule face à mon angoisse et à mon envie de tout changer. Quand on commence à réfléchir ensemble, à agir, on refait du lien, on se renseigne sur le sujet, on débat avec des gens qui ne sont pas d’accord avec nous. À ce moment-là, je ne savais pas exactement ce que je voulais faire, mais je me suis dit que c’était cet engagement qui allait vraiment animer le reste de ma vie.
Ce n’est pas si courant de relier la musique techno, TikTok et un engagement autour des questions écologiques ? C’est une stratégie, c’est pensé ?
Le fait de passer par la techno, par TikTok, d’investir d’autres espaces, c’est aussi une volonté de s’adresser à d’autres gens. Au sein du mouvement climat, il y a parfois ce truc prétentieux de se dire que les arguments seront tellement brillants, fondés, bien ficelés avec des chiffres que les gens viendront à nous parce qu’il y a de la lumière. Il faut aussi être humble et aller là où les gens sont.
On essaye de créer de la viralité, des bangers pour faire émerger des sujets dans le débat public, ce sont nos armes pour se faire entendre sans être à des positions de pouvoir ou dans les espaces médiatiques dominants. Peut-être qu’on va se louper, que ça va être chelou ou qu’on va être ridicules, mais au moins on essaye.
« Les clubs et les lieux de fête sont des espaces de libération pour pleins de gens »
Tu y trouves des liens avec les mouvements techno ?
Historiquement, la techno est née dans des milieux très politisés. Même si elle est entrée aujourd’hui dans la culture populaire, on essaye de renouer avec cette histoire-là, à travers des textes, des messages politiques, un truc un peu frais, un peu jeune. Le son Planète Brulée de notre collectif Planète Boum Boum, issu d’Alternatiba Paris, passe en club, il touche des gens qui ne sont pas forcément sensibles à nos sujets.
Les clubs et les lieux de fête sont des espaces de libération pour plein de gens. J’étais dans le Sud de l’Italie cet été, j’ai rencontré des jeunes super sympas dans un club. Ils / elles passaient leur vie là-bas, notamment les personnes un peu queer ou qui ont un peu voyagé. Ce club c’est un peu leur lieu à eux. Un espace d’émancipation. En reprenant les codes parfois un peu dark de la techno berlinoise, c’est comme s’ils / elles retrouvaient un espace de reconquête de leur vie.
C’est drôle parce que quand j’ai vu surgir ton personnage, ça a fait écho à des traditions militantes dont je suis issu, où le chant occupe une place centrale dans la lutte, au même titre que la manif ou des actions plus coup de poing comme ça a pu être le cas avec les luttes paysannes du plateau du Larzac, avec les luttes pour l’avortement, etc. C’est une impression que tu partages ?
Les chants, la danse, la fête, les cortèges qui dépotent avec du son hyper cool où on a envie de se retrouver… Tout ça participe aussi à créer des mouvements sociaux désirables. Le système contre lequel on se bat met des milliards dans la publicité, dans des messages qui convainquent les gens qu’ils s’épanouiront personnellement en étant plus riches que le voisin, que le dernier iPhone va donner un sens à la vie.
« Lorsqu’on chante ensemble, quand on partage ces moments, ça nous porte. Il y a un truc qui se joue, qui recrée du lien »
On doit aussi lutter contre l’individualisation. Le système capitaliste ultra-libéral crée une paupérisation de la population qui fait que chacun·e est dans un petit étau. C’est de plus en plus difficile de créer du collectif, de reprendre du pouvoir d’agir, de se dire que ce qui nous arrive n’est pas une fatalité.
Donc si on n’arrive pas à réenchanter un peu les luttes, à réenchanter le monde qu’on veut voir advenir, à créer du désir, à créer de l’envie, on est cuit·es. Alors si on ramène de nouvelles personnes, ou si on redonne juste aux gens l’estime d’eux-mêmes, de la force, une capacité à se dire qu’ils ont un pouvoir d’action sur les choses, que rien n’est une fatalité, on aura gagné un peu des trucs.
Pourquoi Macron ou les patriotes nous font chier avec la Marseillaise ? Parce que lorsqu’on chante ensemble, quand on partage ces moments, ça nous porte. Il y a un truc qui se joue, qui recrée du lien, de la fraternité, de la solidarité, par la voix, par le corps, par la musique.
Avec ton collectif et ces chants, vous avez l’impression de créer quelque chose de nouveau ? Tu cites parfois des mouvements sud-américains qui ont pu t’inspirer, comme les luttes pour le droit des femmes au Chili.
Je me méfie toujours des effets de nouveauté, c’est souvent simplement qu’on ne connaît pas assez l’histoire militante. Je reste assez humble là-dessus. Je sais qu’il y a eu dans les années 1970-1980 des alliances entre syndicats et écolos, avec déjà de la musique, de la danse, de l’art, des références à la culture populaire.
J’ai été beaucoup touchée et émue par la force du chant et de ces immenses chorégraphies dans les luttes féministes, au Chili, en Argentine. Ce sont des images qui inspirent, qui nourrissent, forcément. Mais je n’en avais pas forcément conscience au moment où j’ai commencé à militer. J’ai découvert un peu plus tard ces images de femmes dans la rue en Iran, l’histoire de la lutte des sardinières en Bretagne…
Et puis dans mon histoire familiale, il y a une grande place accordée aux bals, à la musique, aux luttes. Mes grands-parents se sont rencontrés grâce aux congés payés. On m’a beaucoup parlé des bals pendant la guerre, mon grand-père paternel était chef de chœur. J’ai toujours été entourée de gens qui chantaient ensemble.
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Et cette techno, ce décalage vers d’autres codes ouvre aussi la voie à la jonction des luttes, on le voit avec l’évènement sur le fret ce samedi, et les liens étroits qui sont en train de se nouer avec les syndicats de cheminot. C’est fort de faire ça.
À la manif syndicale d’octobre, Rémi (alias Remrem X de Planète Boum Boum, lire notre entretien) savait qu’il y aurait beaucoup de cheminots dans le cortège. Il a fait une petite chanson spéciale, On veut du fret ferroviaire. Les cheminots ont tellement kiffé que le syndicat Sud-Rail a financé un enregistrement studio et un clip.
Le son devient un véritable outil de rébellion pour dire clairement : la SNCF n’est pas à vendre. Il y a des cheminot·es qui se disent chaud·es pour diffuser le morceau dans certaines gares, dans les trains. On est allé·es les retrouver en Normandie le mois dernier, c’était très chouette. On a pu créer des liens d’amitié, de camaraderie qui sont très précieux.
« Les alliances permettent de mélanger les cultures militantes et de casser des gros clichés qu’on peut avoir les uns sur les autres »
Ce sont de vrais exemples d’alliances qui ne sont pas des convergences. Ce n’est l’invisibilisation d’une cause au profit de l’autre, c’est n’est pas une espèce de fondue où tout est mélangé et on ne sait plus ce qu’on défend précisément à la fin. C’est vraiment une alliance : chacun met des moyens au service des autres, on se soutient et chacun garde sa propre patte.
Ça permet aussi de mélanger les cultures militantes et de casser des gros clichés qu’on peut avoir les uns sur les autres. Entre la culture syndicale et celle du mouvement écolo parisien, ce n’est pas exactement pareil quand même. Mais il y a plein de choses qu’on apprend ensemble.
Par exemple, sur cette séquence autour du fret, nous on arrive avec notre connaissance des réseaux sociaux, de la techno et eux ils partagent toute une culture militante, avec leurs techniques, leur histoire, etc. Et le 17 février, à l’occasion de la St Valentin, on organise cette teuf à la Cité Fertile pour mélanger tout le monde : la Saint Val en Train.
Tu penses que ça correspond à un renouveau du mouvement climat ?
Je pense que le mouvement climat est face à une nouvelle période, une nouvelle ère qui s’ouvre. Il y a eu le truc hyper enthousiasmant de 2018, jusqu’au Covid, où on était porté avec la vague verte aux Européennes. L’enjeu c’était : on ne parle pas assez du climat, il faut qu’on en parle. C’était assez consensuel, et ça a fonctionné. Mais désormais, l’enjeu c’est d’agir, plus que jamais. Ça ne veut pas dire que le sujet climat est bien traité par les médias, mais on a beaucoup progressé depuis 2018.
Il y a un autre constat, c’est la paupérisation, avec 400 000 personnes supplémentaires qui sont passées sous le seuil de pauvreté pendant le premier quinquennat Macron, une compression des salaires, des inégalités qui n’ont jamais été aussi criantes. Tout ça amène un contexte politique différent, qui questionne le mouvement climat.
Il faut maintenant affirmer une écologie anti-raciste, pour s’éloigner des récupérations de l’écologie à base de territoire national ou de fermeture des frontières. On doit prôner la libre circulation des personnes, partout dans le monde, et particulièrement pour celles et ceux qui fuient les conséquences du réchauffement climatique causé par les pays du Nord.
C’est comme ça qu’on en arrive à la question de la justice sociale, et que le mouvement climat fait progressivement sa mue. L’écologie ne peut pas juste être des potagers et du bio dans les centres-villes, et des pots d’échappement et des miettes pour les banlieusards. On ne peut pas juste augmenter le prix de l’essence sans développer les infrastructures de transport en commun.
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« On a besoin d’un certain réalisme de la part du milieu écolo, notamment sur la question du service public »
C’est nouveau aussi de parler des services publics, de leurs importances en essayant de rendre ça cool, en tout cas du côté des mouvements climat ?
C’est vrai que le fret ferroviaire n’est pas le sujet le plus sexy, mais on s’en fout. Le transport de marchandises en train, c’est tellement important. On parle beaucoup de l’A69 et des routes dans le milieu écolo, et la majorité des projets routiers sont sur des axes de transport en camion, c’est ce qui les justifie. Donc si on développait le fret ferroviaire, ces projets perdraient leur raison d’être. Il faut réussir à articuler tout ça, et visibiliser ce genre d’enjeux.
On a besoin d’un certain réalisme de la part du milieu écolo, notamment sur la question du service public. Il faut se poser les questions : que veut dire conserver un outil de travail ? Comment comprendre ce qui se passe dans les zones rurales et périurbaines ? Il y a un grand besoin de se réancrer dans la réalité des gens et de tisser des liens avec d’autres mouvements.