Organisé dans l’Ardèche à Saint-Peray à l’initiative de Zaz, le Crussol Festival multiplie les initiatives pour préserver son magnifique site classé Natura 2000, le bien-nommé Théâtre de Verdure, réduire son impact carbone et sensibiliser son public à l’écologie. Rencontre avec Olivier Malinaud, directeur.
Il a été élu « festival le plus green de France ». Et ce n’est pas un hasard si le Salon Objectif Green et les Heavent Festival Awards ont récompensé le Crussol Festival l’année dernière pour son exemplarité éco-responsable.
Mobilier, comptoirs et loges construits et aménagés avec du matériel récupéré et upcyclé, énergie 100% renouvelable et boissons et nourriture en très grand majorité locales… Tout est mis en place pour limiter au maximum l’impact de l’événement ardéchois co-fondé par Zaz et installé dans une zone classée Natura 2000, que le festival a bien sûr à cœur de protéger et de magnifier. Une évidence pour la chanteuse qui a grandi dans les campagnes de l’Indre-et-Loire : « Ces odeurs, la terre, les animaux, ça a sans doute joué. Et ça donne envie de justice, que les gens se sentent bien, qu’il y ait un équilibre. »
Faire commun
Un rassemblement de ce genre, c’est également l’occasion de recréer du lien entre humains, de créer une communauté de mélomanes soucieuse de la planète et d’inspirer les festivalier·es dans leurs envies de changement d’habitudes, grâce notamment à un « Village des solutions ». Véritable festival dans le festival, il accueille des stands d’associations et des ateliers pour découvrir des manières de d’engager au quotidien.
Ce festival familial, proposant une programmation variée et festive (avec cette année Louane, Pierre de Maere, Julian Marley, Féfé, Hubert-Félix Thiéfaine, Keziah Jones ou Sandra Nkaké), est vu par son directeur Olivier Malinaud comme « un outil au service d’un projet de territoire, dans une logique de durabilité, et donc hyper local. À l’année, un travail est réalisé avec les écoles de la région pour les associer à certains spectacles. Avec, à nouveau, l’idée de favoriser la mise en réseau et véhiculer du sens autant que des émotions au plus grand nombre ».
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Dynamiser un territoire, respecter un paysage naturel, s’en émerveiller, inciter les partenariats entre acteurs locaux, être sensibilisé, soutenir un festival éco-responsable… Tout en passant un super week-end à danser et bien manger ? Il est tout à fait possible de cumuler tous ces objectifs selon Olivier Malinaud, avec qui Pioche! s’est entretenu quelques jours avant le coup d’envoi des festivités le 4 juillet à Saint-Péray, le petit village à 5 kilomètres de Valence accueillant le Crussol Festival.
L’un des points de rencontre importants du festival, au-delà des scènes musicales, c’est le « Village des solutions ». Qu’est-ce qu’on y trouve ?
Olivier Malinaud : Des ateliers didactiques et pédagogiques à propos du climat, de l’eau ou de la biodiversité, développés par des associations et des structures. On peut par exemple y retrouver des Fresques du climat ou de la biodiversité adaptées au format festival, et donc raccourcies à 10-15 minutes au lieu de 2 heures pour une Fresque classique, afin d’offrir aux festivalier·es des clés de compréhension ludiques sans non plus leur faire louper les concerts.
« On cherche à créer un lien, une communauté, autour de la musique et du chant »
On propose également des « siestes poétiques », à savoir des lectures de textes à écouter dans une sorte de sieste éveillée, allongé dans l’herbe, pendant 20 à 30 minutes. Ce sont évidemment des textes en lien avec les thématiques du Crussol, évoquant la nature ou la biodiversité avec poésie. Ou encore des « circle songs » : chacun chante, et un chef d’orchestre amène le groupe à petit à petit prendre conscience de l’autre, pour aller d’un début très cacophonique à une mélodie harmonieuse, unie.
C’est un moyen de créer un lien, une communauté, autour de la musique et du chant. Ce ne sont que quelques exemples, car au total nous accueillons une quinzaine d’associations locales et nationales sur ce Village des solutions. Et nous organisons également, hors les murs, des projections de documentaires au cinéma Agora de Guilherand-Granges comme Bigger Than Us de Flore Vasseur, qui emmène à la rencontre de jeunes militant·es du monde entier (le jeudi 4 juillet à 10h).
Avez-vous des exemples de changements de comportement provoqués par le festival ?
Olivier Malinaud : Il y a deux exemples que j’adore citer. D’abord, les relations – bien sûr, on ne va pas s’attribuer tous les lauriers, mais quand même une bonne partie – qui existent aujourd’hui entre le CNR, la Compagnie nationale du Rhône, et la communauté de communes Rhône-Crussel, donc le territoire. Le CNR est un énergéticien qui soutient le festival depuis le premier jour parce qu’on partage la même vision de vivre ensemble et de co-construction des solutions territoriales de demain.
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Pour la première fois cette année, on associe le CNR, un partenaire privé, et la communauté de communes, autour d’une rencontre à trois avec Crussol, en ouverture du festival, animée par une artiste qui sait mettre l’ambiance. Cette rencontre est complètement différente des rencontres institutionnelles que l’on peut voir ailleurs autour des démarches territoriales. Vous avez aujourd’hui un lien entre le CNR et la communauté de communes qui n’aurait jamais existé sans le festival. Et ça, je trouve ça génial.
Un autre exemple que j’adore, c’est que quasiment tous les ans, on reçoit un ou deux témoignages de festivalier·es qui nous disent « merci, c’est génial ce que vous faites, je me posais plein de questions et vous m’avez aidé·e à décider, maintenant c’est parti », et qui nous racontent comment ils/elles sautent le pas pour changer de vie. Bien sûr, ce sont elles et eux qui agissent. Mais on est un vecteur.
Le site du festival est classé Natura 2000. Qu’est-ce que cela implique pour vous ?
On travaille en étroite collaboration avec les gestionnaires Natura 2000, et notamment les expert·es de l’université. On monte un pré-projet entre juillet et l’automne, et on l’affine en mai et juin en fonction des espèces présentes sur site. Notre principal défi, c’est la présence d’orchidées. C’est une fleur protégée dont le cycle de floraison va de mai à fin juin, et il faut laisser ce cycle se faire en entier sans la perturber pour qu’elle puisse ensuite sécher et que ses graines retournent au sol. Avec les gestionnaires de la communauté de communes, on regarde donc fin mai où sont les fleurs, et on choisit l’emplacement exact du festival en fonction.
Le but c’est d’inciter à remarquer cette nature extraordinaire, inviter à la prendre mieux en compte
Mais cette année, le printemps a été très pluvieux, l’été a tardé à arriver et les fleurs sont sorties en retard. On a donc changé les plans du festival moins de deux semaines avant l’ouverture des portes ! Le but c’est d’inciter à remarquer cette nature extraordinaire, inviter à la prendre mieux en compte chez soi, au quotidien. Cette préservation du lien entre Hommes et nature fonctionne : les relevés sur les orchidées ne montrent absolument pas de baisse de population depuis qu’on est là, voire une augmentation.
Entre l’augmentation des frais de production, des frais de sécurité ou des cachets des artistes, certains festivals sont en difficulté financière. Comment vous projetez-vous dans ce climat de fragilité économique – et politique – ?
On a la chance de développer d’autres projets, dont une artiste, Zaz, qui fait des tournées mondiales nous permettant de gagner de l’argent à réinvestir sur Crussol. On développe aussi des projets événementiels. Mais là, on arrive un peu au bout de nos capacités de support financier pour ce projet.
Ce festival, ce sont 95% de prestataires locaux, 98% de partenaires locaux, 75% de festivalier·es locaux. Bref, c’est un outil pour le territoire, et c’est important. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il va falloir faire des choix, que la fête est finie et qu’il va falloir penser autrement. Et faire ces choix, ce n’est pas si simple. Le risque est que les gens se replient sur eux-mêmes, ce qui se ressent aujourd’hui politiquement. Les festivals comme le nôtre peuvent être des outils qui font bouger des vies. En tout cas, nous, on y croit, donc on ne lâche rien.
Comment faites-vous pour compenser ces coûts supplémentaires ? Est-ce qu’ils se répercutent sur le prix des billets ?
Pas du tout ! Le budget du festival est environ d’1 million d’euros. Une grosse moitié vient des festivalier·es, entre les billets et les boissons, et le reste vient des partenaires privés, collectivités, mécènes et donateurs. On a la chance de pouvoir bénéficier de ce soutien qui est, encore une fois, très majoritairement local.
Une année, on a monté une édition du Crussol en Russie. On travaillait avec des producteurs russes sur une tournée, des personnes géniales et qui partagent nos valeurs, et on a donc organisé un festival citoyen chez eux. Une expérience incroyable. En bossant avec ces gens-là, on a bien vu que, à l’international, il n’existe pas de subventions publiques. Leur modèle économique doit être rentable avec trois partenaires privés et les recettes du festival. Cela mène à penser autrement.
Crussol Festival, du 4 au 6 juillet 2024 au Théâtre de Verdure du Château de Crussol à Saint-Péray (Ardèche) avec Louane, Pierre de Maere, Julian Marley, Féfé, Hubert-Félix Thiéfaine, Keziah Jones, Sandra Nkaké, Rouquine, Mon cher Guy, Alphée, Yaniss Ouda, Yaniss Croze, Joao Selva, Kimia et Savanah. Dernières places à acheter par ici !