Début juin, le festival Horizons Open Sea réunissait 5000 spectateur·ices pour une joyeuse fête à Landéda, dans le Finistère (29). À côté de sa programmation éclectique, ce « festival littoral dédié aux musiques fusionnelles » s’est encore distingué par son sens de l’accueil. Artistes hébergé·es chez l’habitant·es, associations locales, rencontres insolites… De quoi « être heureux·se d’être quelque part ».
En arrivant devant un portail blanc dissimulé dans la verdure, Sylvie, bénévole chargée de l’accueil artistes au festival Horizons Open Sea, crie « Mariaaaaa ! » et gare sa voiture. Une personne arrive. « Je viens juste récupérer ta clef. Ça s’est bien passé ? ». Cinq minutes, le temps de débriefer sur la soirée de la veille et d’annoncer les nouveaux arrivants, et Sylvie repart.
Au sein du festival, Sylvie est « préposée aux hébergements ». Landéda, la commune du Finistère où se déroule le festival, elle y vit depuis toujours. Alors quand les bâtiments du leader des colonies de vacances UCPA, où étaient gracieusement logé·es les artistes, ont fermé en 2020 du fait de différends avec la municipalité, elle a repris la question de l’hébergement en main. L’esprit colo perdure autrement.
Chaque année, à partir de novembre, Sylvie reprend ainsi son tour du village. Famille, ami·es, voisin·es, tout le monde est mis à contribution pour héberger les artistes à l’affiche. Au total pour l’édition 2024, plus d’une centaine de nuitées devaient être trouvées. Mission réussie, et même au-delà des espérances, car l’un des hôtes a accepté qu’un concert secret se déroule dans son jardin le dimanche midi.
Jardins vue sur mer
Mais pour sa septième édition, le festival Horizons retrouvait surtout ses quartiers à l’Aber Wrac’h, l’un des trois estuaires du nord-ouest du Finistère. Le cadre participe de la magie autant que de la familiarité. Car si tous·tes les festivalier·es s’émerveillent de la vue, beaucoup connaissent les alentours. Un jeune festivalier raconte ainsi : « C’est un endroit où on va se balader tout le temps avec mes parents. Alors quand j’ai vu l’affiche du festival, je me suis dit qu’il fallait absolument que je vienne ».
Sur le site exceptionnel du Sémaphore, le vendredi et le samedi, étaient réparties deux scènes, la Douar, pour les lives, et la Glaz dos à la mer, pour les DJ sets. Une troisième dissimulée sous une grande tente, la Chill Out, était gérée par le collectif nantais Abstrack le vendredi et le collectif brestois Eternal Sun le samedi, et accueillait une programmation intimiste.
Le dimanche, le festival se déplaçait dans le jardin du port de l’Aber Wrac’h pour venir à la rencontre des riverain·es et commerçant·es et leur offrir une journée de festival gratuite. Au milieu des panneaux détaillant les circuits de randonnée – dont une intrigante Balade de l’Enfer – se dévoilaient la programmation de concerts et les activités proposées dans les stands. Une offre culturelle et une convivialité reçues avec enthousiasme par les habitant·es, très attaché·es à ce rendez-vous annuel.
Comme à la maison
Cette convivialité se retrouve aussi en coulisses où équipes, bénévoles et artistes peuvent manger ensemble sur de grandes tables en bois typiques des longères bretonnes. Mais comme à la maison, quelques bougonnements se font entendre au moment de découvrir le menu du samedi soir : « Malaise. J’ai envie de viande de ouf » maugrée Thomas, bénévole, devant les plats végétariens. Rebelote quand il faut passer à la vaisselle, dont chacun·e s’occupe à la fin de son repas : « Eh bah je les inviterais pas à faire la vaisselle chez moi, ceux-là » s’impatiente un technicien devant des bénévoles visiblement peu habitués à l’exercice.
Au-delà de l’enceinte du festival aussi, il y a quelques esprits grincheux. Le site d’Horizons tournant le dos au vent marin, nombreux sont les foyers à entendre les concerts. Au café du centre du village, le dimanche matin, on échange donc sur sa mauvaise nuit : « T’as bien dormi toi ? – Pfff. Chez moi c’est comme si les enceintes étaient dans la chambre. – C’est vrai qu’on a l’impression que le festival était chez les voisins ».
Une manière de pester qui semble inscrire encore davantage le festival dans le quotidien des habitant·es. Car, soutient Manuel Apprioual, programmateur et chargé de communication du festival, le festival est globalement très bien reçu à Landéda. Notamment grâce au dispositif d’hébergement chez l’habitant·e qui « change la manière dont les gens accueillent le festival : ça leur paraît moins extérieur ».
Ensemble
Cet ancrage local est renforcé par un vaste réseau de partenaires, au premier rang desquels la mairie qui met notamment à disposition deux hangars de stockage dans la commune et du mobilier. Le festival peut compter sur de nombreux autres partenaires : « On en gagne chaque année de nouveaux. La curiosité grandit. Les acteurs locaux ont envie de faire partie du réseau et ça crée des liens » raconte Marine, responsable logistique.
Au-delà de l’image de fête, les partenaires peuvent se targuer d’être associés à des activités créatives et responsables. Un atelier broderie était ainsi organisé fin mai à l’Ehpad des abers avec la « tatoueuse de textile » Eugénie, alias Le Génie Club, sur des vêtements vintage. L’activité ne s’arrêtait pas aux portes de l’institution : les résident·es étaient invité·es à récupérer leur création au festival le dimanche après-midi avec un comédien à l’animation.
« Ici on tisse les liens de l’intergénérationnel », s’exclame le comédien animant l’atelier de restitution. Autour de lui sourient la doyenne Augustine, 97 ans, mais aussi Georgette, Marcelle et Nicole, fières de leur tee-shirt aux motifs de cœur ou de soleil. « Le dimanche c’est très familial, ça se mélange beaucoup » confirme la responsable logistique.
Être quelque part
Sur scène aussi, l’accent est mis sur la diversité. « Chants bruts de femmes asturiennes, folk évanescente, gavotte augmentée, breakpop incandescente, house sautillante », annonce le dossier de presse : la programmation est aussi étonnante que les adjectifs choisis pour la qualifier et fait la part belle à la découverte. Manuel, le programmateur, y tient : « On programme des choses originales et qui sortent des sentiers battus ».
Si le dimanche après-midi, le groupe rennois Eris joue des chants bretons traditionnels attendus des festivalier·es, le samedi soir, le power rock occitan des Toulousain·es Feràmia électrise. Pour le morceau « Liberu », loup garou en occitan, le groupe entend bien transmettre la coutume : « C’est une danse traditionnelle, en gros vous vous mettez par deux et vous courez partout ». Fierté régionale, sens du décalage, énergie collective : voilà qui résonne chez le public breton.
« C’est important de ne pas niveler par le bas, atteste le programmateur. Il faut avoir confiance dans la curiosité des gens ». Une curiosité qui se teinte d’émotion pour l’une des têtes d’affiche du samedi, Aïta mon amour. L’hospitalité du festival se ressent alors jusque sur la scène. Soulevant son châle comme un drapeau, la chanteuse marocaine Widad Mjama s’attendrit : « On n’a jamais été aussi heureux d’être quelque part. Vous débordez de bienveillance. »