À Vilvoorde, en Belgique, le Horst Festival mêle architecture, musique et arts contemporains au cœur d’un ancien site militaire en bordure de la ville, rebaptisé Asiat Park. Pour réduire l’empreinte environnementale de l’événement, les organisateur·ices mettent l’accent sur le réemploi et la durabilité des scénographies. Et quand la fête se termine, une partie des scènes et du décor est mise à disposition des habitant·es sur le site ouvert toute l’année, créant peu à peu un morceau de la ville de demain. Rencontre avec Mattias Staelens, co-fondateur et programmateur scénographique du festival.
Décririez-vous le festival Horst comme un festival durable ?
Mattias Staelens : On ne prétend pas être « green », « écologiques » ou « durables ». On considère qu’organiser un festival n’est pas forcément durable en soi, et donc que faire en sorte qu’il le soit le plus possible est évident. Pour atteindre cet objectif, on crée notamment des scènes qui sont durables, de deux manières.
On envisage le festival pas seulement pour trois jours, mais pour plusieurs années
La première consiste à réutiliser des matériaux. Le fait de disposer d’un grand espace de stockage permet d’avoir beaucoup de matériaux à disposition. Chaque année, on invite des architectes, des artistes ou des collectifs à travailler avec nos matériaux en stock. On essaie également de réutiliser des matériaux de l’année précédente ou provenant du site du festival lui-même. On conserve aussi des scènes et des structures d’une année sur l’autre ou on les utilise comme base pour une nouvelle itération chaque année.
La deuxième façon d’être plus écologique ou durable est plus sociale. Il s’agit de construire des structures pour le festival qui seront ensuite utilisées à d’autres fins par et pour les habitant·es de Vilvoorde, entre autres. On envisage le festival pas seulement pour trois jours, mais pour plusieurs années. On gère l’Asiat Park toute l’année, pour une période de dix ans. On peut donc envisager des utilisations multiples des structures des scènes. Ainsi, des liens s’établissent entre le festival et d’autres personnes, activités ou communautés.
Avez-vous un exemple de scène construite de manière durable pour l’édition 2024 ?
Mattias Staelens : Cette année, la principale scène qui a été réalisée de cette manière est la Yellow Stage, en forme de décagone. Dans l’espace où elle est installée, il y avait l’année dernière une grande structure de toit en acier. On a réutilisé cette structure pour créer la scène, et un des panneaux du toit a été installé au-dessus du DJ booth. D’autres panneaux de toit ont été utilisés pour construire l’entrée public du festival.
La Yellow Stage deviendra également un terrain de jeu après le festival. Pour ce faire, on a peint deux semaines après le festival l’ensemble du sol comme les terrains de sport et on a fixé des balançoires et des anneaux de basket à la structure. On veut aussi installer des miroirs pour que des écoles et associations de danse puissent danser dans l’espace public.
Je pense qu’on l’utilisera comme scène pendant au moins deux ans et que ce sera un terrain de jeu pendant longtemps. Et on verra, peut-être qu’il y a d’autres endroits qu’on veut (ré)activer. Le fait qu’on gère le site nous donne la possibilité d’essayer quelque chose et de voir comment ça se passe. Si une scène fonctionne bien, elle peut rester, si ça ne fonctionne pas bien, on peut l’optimiser.
Y a t-il des scènes durables qui ont été créées lors de précédentes éditions du Horst et ont été conservées cette année ?
Mattias Staelens : Des années précédentes, il y a le pavillon Moon Ra, conçu en 2021 par l’architecte Leopold Banchini, pour lequel on a réutilisé les matériaux du pavillon créé l’année précédente par Fala Atelier. Il y a aussi la structure de la serre que Rotor est allé chercher en France et a remonté sur le site du festival. Nous invitons chaque année un nouvel artiste à conserver la structure, mais à repenser le design général. En 2023 et 2024, la couverture du toit a été réalisée par Serapis, qui utilise des matériaux récupérés auprès de travailleurs de la mer en Grèce, comme des big bags mis au rebut, des bâches de camion, du film plastique réutilisé, des mailles de merchandising recyclées.
Une scène qui restera à long terme est celle qu’on a créée en octobre 2023, un projet de club ouvert presque toute l’année. Pour ce faire, on a invité Jozef Wouters, un scénographe de théâtre, et Caroline Giesner, une artiste visuelle, à collaborer. Comme Jozef travaille dans le théâtre, il pense différemment l’espace que des scénographes « classiques » de clubs : il travaille avec beaucoup de tribunes sur lesquelles les gens peuvent monter, et il pense à la façon dont les gens circulent autour.
C’est un club permanent, mais on le loue aussi pour des événements commerciaux, et on l’ouvre également pour des événements sociaux : le mouvement de jeunesse local y organise ses événements. On a aussi programmé une fête pour une organisation locale de personnes en situation de handicap. Si vous pouvez garder une scène plus longtemps, vous avez la possibilité de l’ouvrir à toutes sortes d’organisations.
Vous essayez également de créer une durabilité non seulement pour les scènes, mais aussi pour les plus petits pavillons ?
Mattias Staelens : Comme on est également commissaires d’une exposition d’art pendant le festival et au-delà, on essaye d’appliquer les principes de durabilité pour les œuvres d’art ou autour d’elles. Pour l’édition 2024, un bon exemple est la collaboration avec l’artiste indienne Afrah Shafiq. Son œuvre est un jeu vidéo autour d’une colonie de fourmis. Pour l’installer, elle a réalisé un pavillon basé sur le mode de construction d’une colonie de fourmis. Elle a collaboré avec BC Materials de Bruxelles et ses étudiant·es d’Aix-la-Chapelle. Ils ont fabriqué les murs avec des briques d’argile, qui pourront se dissoudre sous l’effet de la pluie une fois que le pavillon sera démonté. Elles sont protégées par des panneaux de paille, eux-mêmes fixés sur une structure extérieure en bois, réutilisée à partir du sol d’une scène de l’édition 2022. Ce pavillon restera là pendant plusieurs années.
On a également invité les artistes d’Every Island à concevoir une installation artistique à côté de l’entrée. Elle deviendra un espace de repos et une fontaine pour les personnes qui empruntent la piste cyclable reliant Bruxelles et Anvers, qui borde le site du festival. Les artistes ont également inclus un grand bloc de terre dans la structure qui contient de nombreuses graines de fleurs et de plantes. Grâce à l’eau de la fontaine et de la pluie, il se va se dissoudre dans l’environnement et, ainsi, le verdir. Quelque chose qui a été enlevé au site va y créer quelque chose de nouveau.
La transmission des savoirs et des expériences est un aspect essentiel du festival
Quel est le processus qui vous a amené à créer des scènes durables ?
Mattias Staelens : Avant d’arriver à Vilvoorde, on organisait le festival près du château de Horst – d’où le nom du festival, près de Louvain, et on n’avait pas la gestion du site pour toute l’année. Penser les scènes comme des architectures temporaires faisait partie de notre projet, et on avait besoin de quelques années pour comprendre comment les rendre plus durables. Parce que tous les festivals, et c’est aussi notre cas, commencent par construire les infrastructures dont ils ont besoin et les démontent ensuite. Sur notre précédent site, on les a gardées trois mois de plus. Mais on devait toujours rendre le terrain ensuite, ce qui ne permettait pas de penser comment concevoir des scènes durables.
« Penser les scènes comme des architectures temporaires faisait partie de notre projet »
Ce n’est qu’en arrivant à Vilvoorde, où on a pu établir des liens avec les communautés locales et où on gère le site sur 10 ans, qu’on a pu décider des scènes et des matériaux à conserver ou non. De plus, on a maintenant beaucoup d’entrepôts pour stocker les matériaux, sur environ 800m2, ce qui facilite grandement cette possibilité de penser durable.
Comme on ne peut pas utiliser tous les éléments que nous stockons, on invite des étudiant·es ou des collectifs émergents à venir travailler avec ces matériaux. C’est par exemple le cas de Club Derive, qui nous a emprunté des grands pans de tissus deux semaines avant le Horst 2024. De la sorte, on permet aux processus de créations de scènes durables de prendre vie au-delà du festival.
Quelles sont les proportions d’éléments loués, de matériaux réutilisés et d’éléments neufs ?
Mattias Staelens : Je pense qu’on loue principalement entre 50 et 60 % de ce qui est installé pour le festival. Ensuite, on emploie peut-être 20 à 30 % de matériaux réutilisables. Et on achète de nouveaux matériaux, à hauteur de 10 à 20 %. On loue les lumières, le son, mais aussi les échafaudages. Pour les toits des bars, on loue les poutres en bois d’une entreprise de construction, qui sont utilisées pour faire des coffrages pour le béton. Sur la structure de l’entrée des publics, les colonnes oranges qui ont été installées sont généralement utilisées sur les chantiers de construction pour jeter les gravats.
Donnez-vous la contrainte d’intégrer des matériaux réutilisés aux architectes qui conçoivent les étapes ?
Mattias Staelens : Ce n’est pas une condition, mais on les encourage à y accorder de l’importance. On ne veut pas leur dire d’utiliser un matériau spécifique et de le rendre durable. On leur explique qu’il s’agit d’une valeur importante pour nous et qu’il est essentiel que les scènes soient construites par des bénévoles. Les scènes sont donc principalement des constructions non professionnelles, réalisées avec du travail manuel et des outils non lourds. Bien entendu, un ingénieur structure veille à ce que la construction tienne bien et soit sûre. De plus, on dispose d’une équipe de coordination expérimentée, comme des architectes ou des personnes qui ont réalisé de nombreuses constructions DIY.
Parfois, la création de scènes par des volontaires uniquement n’est pas possible, comme par exemple dans le cas de la structure en acier réutilisée pour créer la Yellow Stage, déplacée à l’aide d’une grue. Cela génère des ateliers intéressants, au cours desquels les bénévoles peuvent apprendre des entreprises. Cette transmission des savoirs et des expériences à des personnes bénévoles est aussi un aspect essentiel de la durabilité de la construction des scènes, et du festival plus largement.