« Pas de retraité·es sur une planète brûlée… Retraites, climat, même combat ! » Des cortèges de manif à TikTok, le morceau « Planète Brûlée » est devenu un hymne de ralliement des contestations actuelles. Mais qui se cache derrière ce tube de l’année ?
Mini-frange, lunettes de soleil et rangers compensées, Mathilde semble tout droit sortir de soirée. C’est pourtant en plein milieu d’une manifestation contre la réforme des retraites que la militante écologiste de 25 ans, plus connue sous le pseudo « MC danse pour le climat », chaloupe avec entrain. Derrière elle, une banderole « Faites payer les pollueurs », et une farandole de drapeaux : CGT, Greenpeace, Oxfam, NPA…
Nous sommes en tête du cortège de l’Alliance écologique et sociale, un regroupement de syndicats et d’associations environnementales. Le char est confié au mouvement citoyen Alternatiba Paris, dont Mathilde fait partie. Par-dessus des boucles techno, le DJ lance le refrain : « Retraites, climat, même combat ! », immédiatement repris par la foule. Elle connaît la suite : « Pas de retraité·es sur une planète brûlée ! » « Planète brûlée », c’est justement le nom de ce morceau né dans la rue, qu’un succès inattendu a propulsé sur les plateformes de streaming et TikTok.
Car les vidéos de MC danse pour le climat ont fait le tour des journaux télévisés, des réseaux sociaux et même du monde, jusqu’à atterrir dans un late show américain. Interviewée par l’AFP, Mathilde parle de sa danse comme d’un acte de résistance, une façon d’« entrer dans la lutte par la joie ». Si c’est elle qui s’est retrouvée sous les projecteurs, sa démarche est avant tout collective — la militante le rappelle en arborant systématiquement, lorsqu’elle défile, un T-shirt floqué du logo d’Alternatiba.
L’antenne parisienne du mouvement dispose en effet d’un comité d’animation spécifiquement dédié à l’organisation de marches festives : Planète Boum Boum. Parmi ses membres clef, Rémi alias RemRemX n’est jamais très loin lorsque MC danse. Co-compositeur de « Planète Brûlée » et DJ au sein d’Alternatiba, il raconte pour Pioche ! les coulisses de Planète Boum Boum et la création du tube de manif le plus international… Depuis l’« Internationale » ?
Comment est né Planète Boum Boum ?
La partie animation a toujours été très importante pour Alternatiba, que ce soit au sein de cortèges ou lors d’actions de désobéissance civile. Ça répond à un besoin. Quand on organise un blocage, c’est essentiel d’avoir de la musique, de la danse pour tenir le coup… Ça renforce la solidarité. Le nom Planète Boum Boum est assez récent ; il est arrivé suite au buzz autour des vidéos de MC danse pour le climat. Il nous a paru nécessaire de créer une distinction plus claire entre l’équipe d’animation et Alternatiba, pour que les gens ne pensent pas qu’Alternatiba, c’est juste de la fête, alors que notre action est avant tout politique : durant la mobilisation contre la réforme des retraites, nous avions par exemple des cuisines qui préparaient des repas pour les éboueur·euses en grève.
Faire rimer fête et manifestation, c’est une manière d’amener les gens à s’engager ?
C’est notre objectif. On observe que pas mal de personnes nous rejoignent dans la rue parce qu’elles ont vu des vidéos et qu’elles se disent que l’ambiance a l’air chouette. Ces personnes vont passer quelques heures avec nous, elles vont entendre de la musique, mais aussi des slogans et des prises de parole. Elles vont être exposées à un message politique. Faire la fête, c’est une manière de rassembler, de mobiliser de façon très large. Pour nous, la joie n’est pas incompatible avec la détermination, voire la radicalité. C’est en accord avec le modèle de société que l’on défend, une société où l’on ne passe pas sa vie au travail, où l’on a du temps pour la créativité, la culture.
Bien sûr, certaines personnes critiquent ce mode d’action, nous disent d’arrêter de faire les guignols… Mais nous sommes tout aussi critiqué·es lorsque nous allons organiser un blocus, il y a toujours des gens à qui ça ne convient pas. Et puis, il y a cette vision un peu viriliste, selon laquelle tant que tu n’es pas sur les barricades avec tes gros bras à lancer des pavés, tu n’es pas un·e vrai·e militant·e. Mais plein de personnes n’ont pas l’envie ou la forme physique pour être « au front » — la révolution, c’est aussi créer des espaces inclusifs au sein desquels tu peux te sentir en sécurité en manif, avec une bonne énergie.
Au sein de Planète Boum Boum, comment préparez-vous vos animations ?
Déjà il y a un gros travail sur les slogans, les reprises de chansons. Comment faire passer des messages complexes à travers une formule simple ? On fait des sessions de brainstorming, on retravaille des classiques pour coller à l’actualité… « Pas de retraité·es sur une planète brûlée » et « retraites, climat, même combat », par exemple, c’est de nous. Sur les dernières manifestations, on a réfléchi à des slogans en rapport avec la Brav-M, notamment la pétition demandant leur dissolution qui a été écartée par l’Assemblée Nationale alors qu’elle avait recueilli plus de 200 000 signatures. On a repris « Stach Stach » des Bratisla Boys en remplaçant les paroles par « Où est la pétition de la Brav-M ? Dissolution de la Brav-M ! », avec une chorégraphie où les manifestant·es cherchaient un peu partout pour la pétition.
On conçoit aussi un plateau d’artistes et d’intervenant·es pour le char, en alternant musique et prises de parole. C’est organisé comme un line-up, avec des thématiques et des temps forts en fonction des lieux devant lesquels on passe.
On te voit souvent derrière les platines du char d’Alternatiba — comment es-tu devenu DJ de manifestation ?
J’étais militant avant d’être DJ — ça fait à peine six mois que je mixe ! Mon boulot, c’est de trouver des sons dont l’énergie colle bien avec celle des slogans. En gros, je passe des boucles de beats, et les autres chantent par-dessus. C’est très artisanal, même si ça commence à prendre un peu d’ampleur. Nous avons récemment été invité·es à mixer à la fête de l’Huma et organisons une soirée « techno gréviste » avec le collectif Inverti·es le 28 avril. Et bien sûr, il y a eu le buzz autour du morceau « Planète Brûlée », avec les vidéos de MC danse pour le climat.
MC danse pour le climat, et donc « Planète Brûlée », c’est 180 millions de vues sur Tik Tok. Grâce à ce réseau, on observe que des slogans dépassent avec une facilité déconcertante le cadre du cortège de manifestation, comme lorsque le rappeur Kaaris entonne « On est la CGT, vous êtes la CGT » en concert. A quel point aviez-vous anticipé cette viralité ?
On espère toujours qu’un slogan sera repris, mais on ne s’attendait pas du tout à ça. Le buzz tient certainement au morceau lui-même, mais surtout à la danse de Mathilde. Elle a donné des entretiens à des journaux espagnols, allemands, italiens, dans un late show américain… Sur un de nos derniers cortèges, nous étions suivis par la BBC. Ça nous a permis de diffuser notre message et d’attirer le regard des médias sur la mobilisation contre la réforme des retraites en France… En manifestation, on rencontre des gens qui ont été attirés par ce qu’ils ont vu en vidéo. C’est un levier essentiel pour mobiliser les jeunes, qui sont par ailleurs déjà sensibles aux enjeux de justice sociale et climatiques. L’enjeu, pour nous, c’est de les amener à agir, à participer à d’autres formes de mobilisation.
Comme les vidéos de Mathilde tournaient énormément sur les réseaux sociaux, nous recevions des centaines de messages nous demandant de sortir le son. On l’a donc enregistré au propre et mis en ligne. Depuis, les gens nous envoient des vidéos de clubs ou de soirées où les gens chantent « Taxez les riches ! ». C’est chouette, ça amène du politique dans des cadres où il n’y en a pas forcément. Et on prévoit de continuer dans cette lancée ; nous avons un son techno avec le slogan « grève générale » qui tourne pas mal en ce moment, et une personne nous a contactés parce qu’elle souhaiterait pouvoir le passer à son mariage cet été ! On va tout faire pour que le morceau soit sorti d’ici-là.