Paysan, écrivain, journaliste, syndicaliste… Jusqu’à sa mort en 1951, Émile Guillaumin a passé sa vie entre la fourche et la plume. Sans jamais quitter son Bourbonnais natal, il a écrit pour porter les voix du monde rural qui l’entourait et améliorer la condition paysanne. Encore aujourd’hui, la vie de ce « paysan homme de lettres » continue de fasciner, et ses livres offrent des témoignages précieux sur la vie rurale du passé.
« Le père Tiennon est mon voisin : c’est un bon vieux tout courbé par l’âge qui ne saurait marcher sans son gros bâton de noisetier. Il m’a conté toute sa vie par tranches, elle n’offre rien de bien saillant : c’est une pauvre vie monotone de paysan, semblable à beaucoup d’autres. Il a eu ses heures de joies ; il a eu ses jours de peine ; il a travaillé beaucoup ; il a souffert des éléments et des hommes, et aussi de l’intraitable fatalité ; il lui est arrivé d’être égoïste et de ne valoir pas cher ; il lui est arrivé d’être humain et bon » – La vie d’un simple
Le roman La vie d’un simple transporte le lecteur au cœur de la France rurale du XIXe siècle. On découvre la vie ordinaire d’un métayer du Bourbonnais, rythmée par les saisons et les travaux dans les champs. Un témoignage fascinant écrit en 1904 sous la plume avertie d’un paysan, Émile Guillaumin. Entre les mariages, les mauvaises récoltes, les naissances, et les coups bas des propriétaires, La vie d’un simple raconte avec authenticité les misères et les petites joies du Père Tiennon et de sa famille.
Un paysan homme de lettres, chroniqueur du monde rural
Né en 1873 dans l’Allier, Émile Guillaumin n’a jamais quitté son village d’Ygrande et la culture de ses trois hectares de terre. Sans autres études que les cinq années d’école primaire, il a commencé à écrire très jeune, d’abord des poèmes en patois, puis des articles et des romans qui ont rencontré un succès national. La vie d’un simple a même été nommé au prix Goncourt 1904.
Jusqu’à sa mort en 1951, Émile Guillaumin s’est fait chroniqueur d’un monde rural boudé par la littérature classique de son temps. Sans complaisance, il a méticuleusement décrit la condition paysanne, asservie par le métayage et les caprices du climat, ainsi que la richesse des traditions et des savoirs de celles et ceux qui cultivent la terre. Dans Paysans par eux-mêmes, il publie ses correspondances avec une vingtaine de paysan·nes qui expriment de leurs propres mots leur attachement au territoire, leurs souffrances et leurs espérances.
« Pour combien la vie ne tient-elle pas toute dans un vallon comme celui-ci, – et même dans une seule des ondulations, dans un seul des replis de ce vallon ! Combien de gens, au travers des âges, ont grandi, aimé, souffert, dans chacune des habitations qu’il m’est donné de voir de mon grenier, ou dans celles qui les ont précédées sur l’étendue de cette campagne fertile, sans être jamais allés jusqu’à l’un des points où le ciel s’abaisse ! » – La vie d’un simple
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Ses écrits nous renseignent sur les transformations de son siècle. Les personnages de La vie d’un simple ne franchissent guère les frontières du Bourbonnais, mais le récit laisse entendre les échos lointains de la révolution de 1848 et des guerres de 1870. L’arrivée du chemin de fer, puis de l’automobile, l’industrialisation de la France, et l’exode rural qui l’accompagne bouleversent les campagnes françaises.
En 1910, Émile Guillaumin écrit l’histoire de Baptiste, un garçon rustique qui quitte sa campagne pour s’engager aux usines de Montluçon et offrir un meilleur avenir à sa famille. Baptiste et sa femme raconte le malheur d’un homme déraciné, éloigné de sa terre, de sa culture et de son mode de vie.
« Tout au long de décembre, Baptiste s’attendrissait devant des choses familières. L’arôme du foin sec lui semblait délicieux ; le bruissement de la litière foulée au pied chantait comme une musique à ses oreilles ; la senteur même de l’étable lui paraissait agréable. Le labour ! Il y prenait grand goût autrefois, à ce travail primordial de la culture, qui est à la base de la vie des hommes. » – Baptiste et sa femme
Ce fut l’obsession d’une vie : « Prouver aux gens de Moulins, de Paris et d’ailleurs que les paysans sont moins bêtes qu’ils le croient, qu’il y a dans notre façon de raconter une dose de cette « philosophie » dont ils font grand cas ». Dans l’entre-deux guerres, Émile Guillaumin ne signe pas moins de 900 articles, quasi-exclusivement sur le monde rural, publiés par des journaux locaux et nationaux.
« Aucun travail utile n’est bas, dégradant ou monotone lorsqu’il s’accompagne de réflexion, s’illumine de pensée » – Paysans par eux-mêmes
Améliorer la condition paysanne par l’éducation et la culture
Convaincu que les paysan·nes doivent s’unir et prendre conscience de leur condition, il participe à la fondation de la Fédération des travailleurs de la terre du Bourbonnais, un syndicat agricole défendant les métayers face aux grands propriétaires. Toute sa vie, il milite pour la création de bibliothèques rurales, l’éducation et l’accès à la culture, portant un projet humaniste d’émancipation des paysan·nes. Trois vers, récités en 1905 lors d’une réunion syndicale, résument à eux-seuls le projet de toute une vie :
« Sans désirs coûteux, sans envie
Vivre tout simplement sa vie,
Mais la garder inasservie. »