« C’est un trou de verdure où chante une rivière »… Ces vers de Rimbaud résonnent immédiatement lorsque l’on met les pieds dans la vallée du Bec, en Normandie. Là où, à quelques pas de l’Abbaye Notre Dame du Bec et du village du Bec Hellouin (labellisé parmi les plus beaux villages de France), Perrine et Charles Hervé-Gruyer ont fait – sans le savoir – vœu de permaculture en s’installant en 2003. Rencontre avec les pionniers et l’avant-garde de la permaculture.
Perrine et Charles se sont installés dans la vallée du Bec en 2003. Lui avait passé plus de 20 ans à sillonner les océans à bord d’un « voilier école » ; elle était juriste internationale pour une grande entreprise en Asie, avant de reprendre des études de psychothérapeute. Rien ne les conduisait donc ici, à ceci près que Charles est normand, et connaissait cette vallée secrète depuis longtemps…
« Au début, la logique n’était pas du tout de créer une ferme, mais plus un rêve d’auto-suffisance. Un potager, faire sa lessive, récupérer l’eau… Être vigilant dans toute notre conscience. Car déjà à l’époque, nous avions conscience des difficultés de la planète, notamment à la lecture de toute une littérature anglo-saxonne », explique Perrine.
D’une simple longère et à force d’acquérir des parcelles dont ni les agriculteurs ni la SAFER ne voulaient – car situées en fond de vallée, sur de la caillasse – la ferme du Bec Hellouin s’érige aujourd’hui en véritable centre de recherche sur la permaculture, et bien au-delà.
La révélation
« Charles aimait tellement ça qu’il avait envie d’en faire son métier. En 2006, il a donc pris le statut d’agriculteur », raconte Perrine. Commence alors l’odyssée vers un écosystème global et vertueux en permaculture.
La première saison s’avère difficile. « On a abordé cela avec beaucoup de naïveté. On pensait que c’était la même chose de faire son petit potager et de faire du maraîchage, admet Perrine. On avait suivi aucune formation officielle… Mais à la limite, tant mieux car on n’a pas été formatés. » Pour faire de ce fond de vallée le jardin d’Eden qu’il est aujourd’hui, Perrine et Charles développent, presque ex nihilo, tout un écosystème de culture vertueuse en permaculture.
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Rapidement, ils appliquent leurs propres règles : travailler à la main, avec le moins d’énergies fossiles possible, en traction animale, en bio, est surtout avec un bon sens paysan et une capacité d’observation aiguisée. « On a eu de la chance que ça marche, car les fonds de vallée ne sont pas fertiles. Les premières années, la terre réagissait bien. Mais ce n’est pas tant la richesse du sol qui posait problème, mais sa profondeur. »
La création
« La permaculture, c’est du design. C’est à dire un cadre économiquement viable, écologiquement durable et dans lequel l’homme va progresser et dans lequel tu vas intégrer des techniques. Et ce système, tu le construis en appliquant des règles que tu as observées dans la nature : c’est du bio-mimétisme. Ces principes de fonctionnement déjà présents dans la Nature, tu les appliques, tu utilises le moins d’énergie fossile mais aussi le moins d’énergie humaine tant que faire se peut », révèle Perrine comme on récite un évangile.
« Dans un système en permaculture, tout est toujours en mouvement. »
Concrètement, dans un système de permaculture, chaque élément remplit plusieurs fonctions, et chaque fonction est remplie de plusieurs éléments. Les déchets des uns sont les ressources des autres. « On quitte le règne du linéaire qui préside dans notre société, et notamment dans la chaîne de production industrielle où l’on part d’un point A pour arriver au point Z. Si un boulon casse au point L, tout s’arrête, il ne se passe plus rien. Dans un système en permaculture, tout est toujours en mouvement », continue Perrine.
Depuis leur installation, Perrine et Charles ont planté plus de 10 000 arbres, recréé des haies, des mares et des îlots de biodiversité pour, in fine, reproduire un écosystème naturel. Recréer la Nature. Mieux : l’améliorer. Car la ferme du Bec Hellouin a vu petit à petit arriver de nouveaux locataires, côté faune comme côté flore. « Il y a maintenant plein d’oiseaux, pleins d’insectes, etc. Et c‘est tant mieux, tout cela s’équilibre », exulte Perrine.
La formation
« Au tout début et jusqu’à 2009, nous n’étions qu’agriculteurs. Après 2009, on a commencé à faire des formations, un week end par-ci, par-là. » Des formations au début assez intimistes. Et sur 50 personnes que le duo formaient, il y en avait une dizaine qui avaient un vrai projet, et deux au mieux qui arrivaient à s’installer dans les 5 ans.
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« Seulement 10% des porteurs de projets s’installent vraiment. »
« Seulement 10% des porteurs de projets s’installent vraiment. C’est compliqué, il faut se former, Souvent, les projets sont fantasmés, et les gens n’ont pas conscience de tout le parcours que cela représente. Notre rôle, c’était à la fois ne pas briser les rêves et remettre les pieds sur terre des gens qui venaient nous voir. Les gens sont intellectuellement préparés, mais leur vie familiale n’est pas préparée, le corps n’est pas préparé, la psyché et la résistance psychologique ne sont pas préparés. C’est un mode de vie dont on n’a plus l’habitude, sauf à la rigueur pour les personnes qui vivent en milieu rural, qui ont grandi à la ferme et qui savent ce que c’est physiquement. Il y a un lien avec la terre, la météo. Et nous, néo-ruraux, on a oublié ça. »
La recherche
Puis, vint le temps de la recherche. « Des ingénieurs sont venus nous voir, notamment un ingénieur qui avait fait son premier stage au Mexique où il avait vu des micro-fermes en permaculture. Il trouvait ça intéressant. Mais il nous a demandé si le modèle était viable économiquement. »
De 2011 à 2015, la ferme du Bec Hellouin est devenue le théâtre d’une étude intitulée « Maraîchage biologique et performance économique », en partenariat avec l’INRA et AgroParisTech. Une étude (disponible ici) qui a confirmé que la permaculture était un modèle hautement productif et qu’il était possible de produire autant de valeur économique sur 4 500 m2 que sur une installation de plusieurs hectares en agriculture conventionnelle. « Small is beautiful ». L’efficacité économique du modèle de la micro-ferme était prouvée.
« L’idée était d’arriver à modéliser la ferme de demain, c’est-à-dire un écosystème solidaire dans une grande exploitation. »
Aujourd’hui, le ferme du Bec Hellouin a abandonné la vente directe à la ferme (pratiquée pendant de longues années), pour se consacrer à 100% à la recherche. « L’idée, c’est d’arriver à modéliser la ferme de demain, c’est-à-dire un écosystème solidaire dans une grande exploitation de 120 hectares par exemple où l’on trouverait une dizaine de producteurs spécialisés : un éleveur, un maraîcher, un apiculteur, un producteur laitier et fromager, un herboriste, un arboriculteur, etc. Ces personnes mettraient en commun leurs savoir-faire tout en restant chacune responsables de leurs initiatives et de leurs résultats », continue Perrine. Le tout en s’appuyant sur la permaculture comme vision design de la production alimentaire en faveur de l’autonomie des territoires.
Et demain ?
« On l’a vu avec le premier confinement. C’était une catastrophe en terme d’autonomie alimentaire. Les 10 premiers jours, les gens se rendaient au supermarché puis se sont rendu compte qu’il existait des producteurs locaux près de chez eux. Le problème, c’est que les producteurs locaux ne pouvaient pas vendre sur les marchés mais seulement en vente directe. Le problème, c’est que tous n’ont pas de magasin à la ferme… Certaines solutions ont été mises en place, mais de façon limitée » se désole Perrine.
Un système d’approvisionnement alimentaire sans dessus dessous, complètement braqué sur une logique économique et pas du tout dans une logique d’alimentation des territoires.
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« À la ferme du Bec Hellouin, nous allons consacrer les années à venir à étudier la résilience des petites fermes : quelles que soient les crises, ces entités continueront à produire et alimenter le territoire. Nous cherchons à concevoir des projets alliant plusieurs productions afin d’assurer la souveraineté alimentaire du territoire. Nous voulons modéliser ce type de ferme puis les proposer aux territoires et leurs élus. »
« C’est un trou de verdure où chante une rivière », et où Perrine et Charles construisent, pas à pas depuis 2003, un nouveau modèle alimentaire basé sur la permaculture. Vertueux en tout point, viable économiquement, auto-suffisant, résilient et réparateur pour la Nature.
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