Le bilan carbone, une méthode dont s’est emparé la monde de la culture ces dernières années pour tenter de faire son autodiagnostic écologique. Mais dans quelle mesure les chiffres sont-ils fiables, exhaustifs, utiles à la cause environnementale ? Éléments de réponse avec l’équipe de We Love Green, qui réalise son propre calcul depuis près de 10 ans.
We Love Green revient du 2 au 4 juin au Bois de Vincennes. Toute la programmation et les informations pratiques sur le site du festival.
En 2022, le festival We Love Green a émis 16 kilos d’équivalent CO2 pour chacun·e de ses festivalier·es. C’est moins que les Vieilles Charrues, qui, d’après une étude du think tank The Shift Project, émet 50 kilos d’équivalent CO2 par visiteur·euse. Que signifient ces chiffres, et comment sont-ils élaborés ? En France, les méthodes de calcul du bilan carbone sont définies depuis 2002 par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe). Au début des années 2010, une partie du monde de la culture s’en empare pour faire son introspection. Avec toujours la même question : comment penser un concert, un festival ou une soirée en phase avec les défis liés à la crise climatique ?
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C’est dans cette démarche qu’en 2011, We Love Green commence à calculer son bilan carbone. D’après Marianne Hocquard, responsable du développement durable pour le festival, il s’agit d’un « outil interne pour identifier les émissions de carbone, comprendre d’où elles viennent et comment on peut agir pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles ». Une démarche essentielle pour un festival qui, depuis ses débuts, se pense comme un laboratoire d’initiatives éco-responsables.
Le poids des transports
Alors, quel bilan tirer de ces calculs élaborés depuis près de 10 ans ? Chez We Love Green comme dans presque tous les festivals de musique, le poste d’émission de CO2 le plus important est les transports, loin devant l’alimentation, les achats et l’énergie consommée sur site. Quand un festival s’implante dans une grande ville, bien reliée aux transports en commun, son bilan carbone est donc bien moins élevé qu’un festival isolé dans la campagne, où l’on se rend en voiture.
Les 3% de festivalier·es qui viennent en avion font exploser le bilan carbone des festivals
« Si dans un grand festival, 3% de festivalier·es viennent en avion, iels font exploser le bilan carbone de l’événement, et peuvent représenter 60% des émissions de carbone liées au transport des festivalier·es », analyse Samuel Valensi, co-responsable du secteur culturel au sein du Shift Project. D’après lui, les artistes et leurs équipes, même s’ils et elles sont bien moins nombreux que les festivalier·es, peuvent aussi avoir un impact considérable : « Des gros artistes comme Coldplay déplacent avec eux 32 semi-remorques sur les routes, et quand ils changent de continent, ils prennent l’avion avec. Résultat, dans certains festivals, les artistes émettent plus de carbone que les festivalier·es ».
Même si les domaines les plus émetteurs sont souvent les mêmes, tous les bilans carbone ne peuvent être comparés entre eux, car les données prises en compte sont variables, notamment d’un pays à l’autre. « Il y a des standards de calcul définis par l’ADEME, mais ils ne sont pas adaptés à chaque filière. Un festival, c’est très particulier, on construit presque une ville pour 3 jours, on fait intervenir des centaines de prestataires… Plein de questions se posent : pour les artistes, doit-on prendre en compte leur trajet pour venir au festival ainsi que le trajet pour aller à la date suivante ? », questionne Marianne Hocquard, qui rappelle que c’est « de toute façon un exercice partiel, une estimation qu’on essaye d’affiner d’année en année ».
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En partenariat avec le cabinet de conseil spécialisé ekodev, le festival a établi un outil interne de calcul, un tableur dans lequel il faut intégrer toutes les données de production pour connaître l’ensemble des émissions de carbone par jour et par visiteur. D’une année à l’autre, les données continuent à s’étoffer, prenant désormais en compte les hébergements des artistes et du public ainsi que l’empreinte numérique de la communication digitale. Par essence, le carbone reste un outil de mesure d’impact non exhaustif, qui se concentre sur les gaz à effet de serre sans prendre en compte l’utilisation des ressources (eaux, matériaux) ou encore les répercussions sur la biodiversité.
Démocratiser le bilan carbone
Le but du bilan carbone n’est pas forcément de connaître la quantité exacte de CO2 relâché, mais d’identifier les leviers d’action les plus conséquents
Au-delà de l’établissement des critères du bilan carbone, il peut être difficile d’obtenir toutes les données nécessaires auprès des prestataires et des festivaliers. « Il y a 10 ans, il était très difficile de collecter des données auprès des fournisseurs. Certains étaient incapables de donner le poids des amplis et des enceintes qu’ils transportaient », note Timothée Quellard, cofondateur du cabinet de conseil Ekodev. Pour plus de précision, en 2023, We Love Green a créé des outils de collecte de données spécifiques pour chaque prestataire, ainsi que pour le public et pour les équipes des artistes.
Au fil des ans, la pratique s’est généralisée, mais un long chemin reste à parcourir pour démocratiser le calcul du bilan carbone, notamment pour les petites structures. La Fédération des lieux de musiques actuelles (Fédélima) et le Syndicat des Musiques Actuelles (SMA) développent cette année le dispositif Déclic, qui doit permettre de réaliser 18 bilans carbones sur un échantillon de structures représentatives de la filière, avec l’aide de l’agence Ekodev. L’objectif : consolider les données existantes, dresser un état des lieux de l’impact carbone des concerts et festivals de musique en France, mettre à disposition de tous les données collectées et proposer un plan d’action pour réduire les émissions carbone par type de lieu ou d’événement. L’association ARVIVA a aussi développé un outil de Simulation d’Empreinte Environnementale pour le Spectacle, disponible gratuitement en ligne et adapté aux différentes structures du spectacle vivant, des compagnies de théâtre aux lieux culturels.
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Penser le festival du futur
Pour Rudy Guilhem-Ducléon, chargé de mission développement durable au sein du Collectif des Festivals, « le but du bilan carbone n’est pas forcément de connaître la quantité exacte de CO2 relâché, mais d’identifier la répartition des émissions, et donc où actionner les leviers les plus conséquents ». Comprendre : les chiffres sont importants, mais ce qui compte encore plus, c’est ce qu’on en fait.
C’est parce qu’on veut défendre les festivals et les émotions qu’ils procurent au public qu’on veut les contraindre à réduire leur impact carbone
Puisque la moitié des émissions carbone de We Love Green viennent des transports, l’équipe du festival met cette année en place des partenariats avec la SNCF, pour inciter les artistes à venir en train avec des tarifs préférentiels. Certaines équipes qui devaient venir en avion ont d’ailleurs accepté de changer leurs habitudes. Des bons d’achat pour des trajets en train sont aussi offerts à certains festivaliers via des jeux concours. L’alimentation sur site sera pour la première fois 100% végétarienne, une mesure qui devrait réduire par 4 les émissions liées à la nourriture.
Ce qui se joue ici, c’est la promotion d’un nouveau modèle plus vertueux, mais aussi la durabilité de l’offre culturelle. « Les énergies fossiles sont amenées à se raréfier dans les années à venir, et si les festivals continuent à dépendre autant d’elles, ils sont condamnés à disparaître », avertit Samuel Valensi, du Shift Project, avant de préciser : « C’est parce qu’on veut défendre les festivals et les émotions qu’ils procurent au public qu’on veut les contraindre à réduire leur impact carbone ».
Les données existent, reste à continuer d’imaginer les festivals du futur, des événements en adéquation avec leur territoire, reliés à un réseau de transport adapté, dont les artistes ne viennent pas d’un autre continent pour une seule date. Tout le contraire des mastodontes comme Tomorrowland, qui organise des « party flights » pour les festivalier·es venant en avion.
We Love Green revient du 2 au 4 juin au Bois de Vincennes. Toute la programmation et les informations pratiques sur le site du festival.