Deux ans de représentations saluées par la critique, et un second Avignon, en juillet 2023, souvent complet. Les péripéties de la pièce de théâtre Coupures, et son village français en proie aux affres de nos démocraties contemporaines, séduisent le public, jusqu’à se voir bientôt adaptées au cinéma.
Après son succès aux théâtres parisiens de Belleville et de l’Œuvre, ponctué par deux Avignon quasi complets, la pièce Coupures est de retour à la rentrée au Théâtre des Béliers Parisiens, puis en tournée dans toute la France à partir de janvier 2024. À la fin de l’année 2023, entre 40 000 et 50 000 spectateur·ices auront applaudi cette comédie satirique abordant avec intelligence et légèreté « la place que le public occupe, ou plutôt celle qu’il n’occupe pas, dans le débat démocratique ».
Un succès bien mérité pour ce spectacle prenant place dans un petit village tiraillé par l’installation d’antennes 5G sur son territoire, né d’une résidence en 2021, et répétée « entre des tables de ping-pong et des fûts de bière » au Ground Control, dixit son co-auteur, et directeur de la compagnie La Poursuite du Bleu, Samuel Valensi.
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Autour de la pièce, on retrouve aussi un bouillonnement d’initiatives destinées à prolonger l’action et la réflexion collective au-delà des planches : prises de position de la compagnie, conférences sur la crise démocratique, mise en place d’une monnaie locale. Et bientôt une adaptation au cinéma. Rencontre avec Samuel Valensi, également co-metteur en scène et comédien de Coupures, mais aussi responsable du pôle Culture au sein du think-tank The Shift Project.
Comment expliques-tu le succès de Coupures ?
« Une de nos grandes fiertés, c’est qu’on arrive à toucher les jeunes. Environ un tiers de notre public a moins de 30 ans. »
Je pense qu’on est des profiteur·euses de guerre parce que parler d’écologie et de démocratie en ce moment, c’est quasiment s’appeler Rothschild pendant la Seconde Guerre mondiale. Je plaisante mais entre les débats sur les retraites, les crises écologiques et le fonctionnement perçu comme jupitérien des institutions, beaucoup de citoyen·nes s’interrogent sur la manière dont sont prises les décisions politiques.
Coupures aborde le sujet frontalement en interrogeant comment prendre des décisions à propos de nos biens communs. Que ce soit l’eau, l’énergie, la communication, l’alimentation ou la santé, on s‘est rendu compte avec la Convention citoyenne pour le climat que les citoyen·nes, dans leur grande majorité, sont plus courageux·ses – probablement parce que plus libres – que le monde politique. C’est une source d’espoir immense. Nous sommes capables, à l’échelle locale ou nationale, de faire preuve d’intelligence collective. En tout cas, c’est la sensation qu’on essaie de donner pendant une heure et demie dans une salle de spectacle.
Coupures a-t-elle vocation à être diffusée hors de Paris et d’Avignon pour aller toucher des publics différents ?
Samuel Valensi : Dans nos représentations à Paris et Avignon, on déploie déjà des efforts pour s’adresser à tout le monde. Une de nos grandes fiertés, c’est qu’on arrive à toucher les jeunes. Environ un tiers de notre public a moins de 30 ans. Ce n’est pas tous les jours le cas au théâtre. Et puis, c’est important pour nous de ne pas jouer que pour les privilégiés. On a distribué des centaines de places à des associations, comme Cultures du cœur ou Petits Frères des Pauvres, et on demande partout des quotas pour les personnes qui sont en situation de chômage, les bénéficiaires du RSA et les seniors.
À partir de janvier 2024, la pièce repartira en tournée en France, en Suisse et en Belgique pour toucher du monde un peu partout en région.
Un projet de film est dans les tuyaux ?
Samuel Valensi : Avec Paul-Eloi Forget, co-metteur en scène, ça fait longtemps qu’on rêve de faire du cinéma, mais on ne s’attendait pas à ce que ça vienne avec Coupures. Notre théâtre est très inspiré de l’image, autant dans l’écriture que dans la mise en scène. On aime énormément l’œuvre d’Albert Dupontel, ou celle plus ancienne de Frank Capra. Le film Woman at War de Benedikt Erlingsson est aussi une de nos grandes références d’écriture.
« J’espère qu’on va pouvoir être de grands artistes avec les plus petits véhicules possibles. »
On travaille avec Chapka Films et Windy Production autour d’un projet porteur d’une démarche écologique et sociale qu’on souhaite très forte. Au sein de la Poursuite du Bleu, on garantit la parité hommes-femmes au plateau, l’égalité de salaire à tous les postes, on propose une monnaie locale autour de la pièce… On espère poursuivre ces engagements autant que possible dans la réalisation du film.
La grande surprise, c’est que les productrices nous ont proposé la réalisation. Alors on aimerait faire un tournage ultra local, faire tous les repérages en transport en commun, limiter les inégalités de salaire sur le plateau de tournage, etc. On veut proposer une manière sobre de réaliser un film, sans altérer la créativité. J’espère qu’on va pouvoir être de grand·es artistes avec les plus petits véhicules possibles.
Tu es aussi responsable du pôle culture du think-tank The Shift Project, à l’origine du rapport Décarbonons la culture (2021). À travers cette double casquette, perçois-tu une évolution dans le secteur culturel face à l’urgence écologique ?
Samuel Valensi : Suite au Covid, à l’été très chaud qu’on a eu en 2022 et aux prises de positions d’acteurs comme ARVIVA ou Music Declares Emergency, le secteur s’est progressivement mis en mouvement. Aujourd’hui, plus personne ne se demande « pourquoi il faut le faire ? ». Tout le monde est tourné vers « comment on le fait ? ».
« Aujourd’hui, plus personne ne se demande pourquoi il faut le faire. Tout le monde est tourné vers comment on le fait. »
Avec le Shift Project, on a eu des victoires importantes. Les principaux syndicats du spectacle vivant, de la musique ou de l’édition ont pris position sur le sujet, et dans leurs feuilles de route, on retrouve beaucoup d’éléments de langage portés par le rapport Décarbonons la Culture : ralentissement, mutualisation, éco-conception… Même chose du côté du ministère de la Culture.
Ces dernières années, on a formé des élu·es à tous les échelons politiques imaginables, de la ministre et son cabinet aux élus locaux. C’est une victoire très symbolique, à voir si elle sera suivie d’effets.
Quelle est la prochaine étape ?
Samuel Valensi : Il faut être lucide, il manque encore une grande pierre à l’édifice. Les inégalités sont cruciales en matière d’impacts et nous n’avons pour l’instant embarqué ni les plus gros producteurs ni les artistes les plus visibles qui forment les modèles de réussite. Ils/elles sont pourtant indispensables si on veut avoir un véritable impact sur les 20-30 prochaines années.
« Dans la compagnie, on rêve d’une tournée à la voile. L’enjeu c’est de montrer qu’on peut grandir autrement. »
Si toutes les compagnies et les lieux de taille petite ou moyenne font leur mutation écologique mais que, dans le même temps, celles et ceux qui touchent le plus de publics se promènent en jets privés et semi-remorques, nous ne pourrons pas parler d’une victoire culturelle. Le modèle de réussite restera déconnecté du vivant, nous n’aurons pas changé de rêve. Il faut désormais montrer que la sobriété peut être synonyme de joie et de réussite. Dans la compagnie, on rêve d’une tournée à la voile et on y travaille avec Sailcoop. L’enjeu c’est de montrer qu’on peut grandir autrement.
On croit souvent que c’est le progrès technique qui dictera la création artistique de demain. Mais c’est toujours l’émotion qui prime. La technique peut y contribuer mais elle ne la dicte jamais. Elle a même tendance à créer du formatage. On peut s’ennuyer devant des scénographies monumentales et pleurer devant la captation d’un concert unplugged d’Éric Clapton.
Pour embarquer les artistes, le Shift Project a créé par exemple un groupe de réflexion avec des auteur·ices qui se réunissent régulièrement pour s’interroger sur les récits qu’ils/elles portent. Si on arrive à changer les modèles que nous portons dans nos récits et nos productions, on peut faire aspirer à autre chose. C’est en tout cas un rêve que j’ai.
Coupures est au Théâtre des Béliers dans le cadre du Festival d’Avignon, jusqu’au 29 juillet. Il reprendra à Paris, au Théâtre des Béliers Parisiens à partir du 25 août et en tournée dans toute la France à partir de janvier 2024. Plus d’informations sur le site de la Poursuite du Bleu.