En avril dernier, la filière des musiques actuelles se retrouvait à l’Académie du Climat de Paris pour découvrir la première étude d’ampleur sur l’empreinte carbone du live. Mais une fois le constat posé, que faire ? Entre inquiétudes et esprit collectif, récit de deux jours tournés vers le « passage à l’action ».
Au deuxième étage de L’Académie du Climat, alors que la pluie parisienne bat les carreaux de l’ancienne mairie du 4e arrondissement, la somptueuse salle des Fêtes accueille pour deux jours la fine fleur des musiques actuelles. Ces 16 et 17 avril, le Syndicat des musiques actuelles (SMA) et la Fédération des lieux de musiques actuelles (Fedelima) concrétisent l’une des étapes-phares de leur projet « Déclic » visant à « décarboner le live collectivement ».
Lancé un an auparavant, l’heure est désormais à la publication des premiers résultats de l’étude, conduite par l’agence Ekodev, et menée auprès de 18 structures participantes – salles de concert, festivals, tourneur ou production – représentatives de la filière. À l’avenir, ces bilans carbone pourront servir de référentiels, épargnant les structures similaires d’effectuer le coûteux exercice. En ce premier jour de rencontre, règne une atmosphère de remise des diplômes.
Le temps de l’action, c’est aussi le temps de la joie
L’assistance, une centaine de responsables de structure culturelle, d’administration publique, ou d’éco-conseiller·es, découvre au fil des diapositives une radiographie inédite de l’empreinte carbone des musiques actuelles en France. Et l’ampleur de la tâche à accomplir : salles de concert, festivals et sociétés de productions devraient diviser leurs empreinte carbone par cinq d’ici 2050, pour respecter les objectifs fixés par les accords de Paris.
À quelques semaines de la saison des festivals, ces Rencontres Déclic trouvent de fait le centre de gravité des tables rondes, ateliers et moments conviviaux à suivre, autour d’une question simple : maintenant, que fait-on ?
Le temps de l’action
Dans les détails, la présentation des conseiller·es d’Ekodev esquisse de premiers potentiels d’action, et cite quelques initiatives à déployer pour placer la filière des musiques actuelles à la hauteur de l’urgence écologique. Les initiatives Drastic On Plastic – accompagnant les festivals vers la fin du plastique à usage unique – ou Festivals en mouvement – visant à accélérer la transition des festivals vers les mobilités douces – témoignent des chantiers déjà amorcés. Une dynamique collective qui pourrait placer le secteur culturel comme moteur de la transition écologique de la société.
« Le temps de l’action, c’est aussi le temps de la joie » défend Séverine Morin, conseillère auprès de la direction générale du Centre national de la musique (CNM). Mais dans un secteur économique fragile – en 2023, près de la moitié des festivals sont en déficit –, touché par les contrecoups de la crise du Covid-19 et une baisse générale des subventions publiques, la transformation radicale exigée par la transition écologique a aussi de quoi inquiéter.
Au fil des deux jours de ces Rencontres, professionnels de la musique et de l’événementiel s’interrogent ainsi sur la place du secteur public. « Les pouvoirs publics doivent-ils financer les mobilités vers des structures privées ? » pointe en exemple l’éco-conseiller David Irle, plaidant pour faire de la mutualisation des coûts de transformation du secteur culturel un « véritable enjeu démocratique ».
Face aux inquiétudes soulevées, Karine Duquesnoy veut rassurer quant à l’engagement de l’État à horizon 2027. La haute fonctionnaire à la transition écologique au sein du ministère de la Culture rappelle que le dispositif Alternatives Vertes du plan d‘investissement France Relance est justement fléché sur ces questions – le projet Déclic en est d’ailleurs issu. La deuxième vague, Alternatives Vertes 2, a depuis été élargie aux questions de calculateur et de formation.
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« On souhaite avoir un rôle d’impulsion dans le changement des pratiques, ça c’est le terme gentil – coercition serait le terme méchant », explique encore Karine Duquesnoy. Cette stratégie du ministère dans l’effort collectif s’accompagne d’une formule clé : l’éco-conditionnalité douce. Autrement dit, « obliger les structures à se lancer dans une démarche pérenne de décarbonation tout en donnant les outils pour le faire ». Oxymore pour certain·es, seule manière d’embarquer les grosses industries culturelles pour d’autres.
Dialogues de sourds
Pourtant sur le terrain, les bonnes volontés se heurtent aux difficultés de communication et aux quiproquos. Et d’abord au sein des équipes, où technicien·nes et porteur·euses de projet restent souvent séparé·es par un fossé lexical. « On a besoin d’un dictionnaire pour se comprendre » plaisante Charlotte Rotureau, éco-conseillère au Bureau des acclimatations, rapporteuse de l’atelier organisé autour de l’énergie.
Entre les structures aussi, les résultats des bilans carbones font naître une logique de comparaison entre les « bons et les mauvais élèves ». Risque pour la dynamique collective ou logique d’émulation ? Certain·es s’attachent à souligner ces initiatives inspirantes pour d’autres : le parking payant au festival Château Perché pour financer les navettes gratuites, la mise en place de trains de nuit au Festival d’Avignon…
On a besoin d’un dictionnaire pour se comprendre
Reste un consensus : la nécessité de collaborer avec les secteurs dont dépendent les acteur·ices culturels. Jean Perrissin, ex-responsable développement durable du festival ardennais Cabaret Vert témoigne du parcours du combattant pour mettre en place des trains post-concerts, ainsi que son incompréhension face au « mille-feuille administratif » de la SNCF.
L’expression fait réagir le délégué général de l’association interprofessionnelle du ferroviaire Fer de Lance, François Meyer : « J’ai le sentiment que c’est pas si compliqué que ça, il s’agit simplement d’un dialogue régional ». Et pourquoi ne pas « mettre en place des pièges », propose David Irle, faisant alors référence à des projets-tests réunissant des acteurs de différents secteurs (office de tourisme, collectivités…), et dans lesquels chacune a des intérêts. Une premier pas vers un vocabulaire commun.
Et les artistes dans tout ça ?
Au cours de l’atelier organisé autour de la mobilité des artistes ressort l’anecdote d’une question posée par un festivalier curieux à un groupe de rock venu en festival à vélo : « que faites-vous en dehors de la musique ? » Sous-entendu, si ce groupe a le temps de tourner à vélo, c’est que sa carrière n’est pas des plus palpitantes. De quoi rappeler le poids des représentations sociales. « Est-ce qu’un·e artiste engagé·e est moins un·e artiste qu’un·e autre ? » déplore David Irle, rapporteur de l’atelier.
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Une discussion qui renvoie le secteur culturel, une fois de plus, à son rôle de transformateur des imaginaires collectifs. C’est le sujet de la dernière table ronde des Rencontres Déclic qui questionne l’adaptation de nos récits aux limites planétaires, la désirabilité d’une culture décroissante et la refonte de nos modes d’organisation. Aux grandes ambitions, Sébastien Wolf, guitariste du groupe Feu! Chatterton, préfère une forme d’humilité. « Les artistes sont seulement les vecteurs d’idées partagées avec le public ».
Alors, à la sortie de l’Académie du Climat, le plaisir de se retrouver se teinte d’une légère inquiétude. Car si la dynamique collective enclenchée avec les bilans carbone du secteur est encourageante, reste à les convertir en force pour s’attaquer au plus près aux priorités identifiées sur le terrain. Cela ne se fera pas sans faire bonne place aux leviers soulevés pendant ces deux jours : démocratie, dialogue, humilité.