Les 9, 10 et 11 septembre 2022, le Sarcus donne rendez-vous pour la deuxième année de suite au Château de la Corroirie, en pleine nature, à quelques dizaines de kilomètres de Tours. Toujours plus écolo et déconnecté, le festival s’ouvre cette année à la scène internationale sans rogner sur ses valeurs : pour rejoindre les lieux, nul ne prendra l’avion.
Jamie Tiller, Bambounou, Les Fils de Jacob, Pugilist, Voiski, Lena Willikens… Un line-up à faire pâlir les plus grands festivals, dans un monastère entouré de forêts. Le tout avec interdiction formelle de dégainer son smartphone, pour renouer, le temps d’un weekend, avec l’essentiel. Au fil des années, l’équipe de Sarcus pousse toujours plus loin sa volonté d’allier musiques électroniques, patrimoine, arts visuels et numériques, en profitant d’un cadre naturel splendide sans risquer de l’endommager.
Cette année, le collectif ouvre pour la première fois sa programmation à des artistes internationaux, avec une prérogative claire : le 100% sans avion. Autre nouveauté : côté cantine, tout sera désormais végétarien, en plus d’être local et circuit court. Si les défis demeurent nombreux pour les festivals qui souhaitent réduire leur impact environnemental, du zéro déchet à l’autonomie énergétique, le Sarcus ouvre clairement la voie.
Loin d’une écologie de façade marquetée, Sarcus embarque artistes et festivaliers dans une aventure dont l’horizon fait saliver : oui, l’écologie peut être festive et le futur, désirable. Mais rendre cette utopie réelle, chaque année, le temps d’un week-end, est un travail titanesque. Noé Thoraval, co-fondateur et directeur artistique du Sarcus Festival, nous ouvre les coulisses des préparatifs.

La grande nouveauté de l’année, c’est l’ouverture de la programmation à des artistes internationaux, sans pour autant transiger sur vos engagements environnementaux. Du côté des DJs, de leurs agences, avez-vous senti des réticences ?
Noé Thoraval : Pour nous, même si cette décision implique des renoncements, la question du sans avion prime sur les choix artistiques. Et on y arrive, puisque 70 à 80 artistes seront présents, certains venant d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie… Les artistes que nous approchons sont eux-mêmes souvent sensibles aux enjeux environnementaux, nos valeurs nous aident parfois même à booker des artistes qui sont heureux de participer à un festival engagé.
Dans d’autres cas, il faut faire preuve de pédagogie, parce que cela va à rebours du star-system qui leur impose un rythme effréné. Mais c’est une part du travail que j’aime particulièrement, sentir qu’on devient des médiateurs sur les enjeux écologiques. Ça prend du temps, mais ça vaut le coup.
Même si vous élargissez vos frontières, le Sarcus reste un festival très ancré dans des valeurs locales. Concrètement, quel lien entretenez-vous avec le territoire ?
Certains membres de notre équipe sont originaires de Touraine, une partie de notre public fidèle est aussi du coin. On ne veut surtout pas être un festival de Parisiens parachutés. Concrètement, cela implique de prendre en compte, d’apprendre à connaitre le patrimoine et les acteurs locaux au fil des années. Ensuite, on tient fermement au circuit-court : nos prestataires sont tous situés à moins de 150km, avec le moins d’intermédiaires possibles. Humainement comme écologiquement, l’ancrage local est fondamental.
S’il y a un engagement qui vous démarque, c’est celui de la déconnexion. D’où est venue cette idée de lâcher les smartphones le temps du week-end, en avez-vous observé les bienfaits ?
« Quand il y a un moment un peu fou dans un set, voir
des gens qui sautent et qui dansent plutôt qu’une marrée
de téléphones qui
se lèvent pour filmer,
ça fait un bien fou. »
L’idée est d’abord venue d’une contrainte tout à fait pragmatique. Au départ, on était sur un lieu qui manquait de branchements. On a vu une très nette différence dans le public entre le premier jour, où les festivaliers avaient encore de la batterie et le second où tout le monde était à vide. Les gens lèvent soudain les yeux, font connaissance, dansent autrement…
Après cette expérience de déconnexion involontaire, j’ai découvert des discours comme celui de Tristan Harris qui alerte sur l’impact social des technologies, que j’ai vraiment constaté autour de moi, avec des copains qui deviennent accro, qui s’isolent… En 2018, je me suis dit que ce serait bien de proposer un week-end sans téléphone, parce que je pense que rares sont les gens qui se déconnectent trois jours d’affilée, juste pour voir si l’on peut vivre et s’amuser sans portable.
Ceux à qui cela plait le plus, c’est les artistes : quand il y a un moment un peu fou dans un set, voir des gens qui sautent et qui dansent plutôt qu’une marrée de téléphones qui se lèvent pour filmer, ça leur fait un bien fou.

Par ce genre d’expérience, vous pouvez aussi être acteurs de prise de conscience écologique chez les festivaliers, est-ce une volonté ?
Je connais des gens qui ont pris conscience de l’impact de l’avion par nos engagements, qui n’y avaient jamais réfléchi avant, et c’est super gratifiant. Mais cela se fait dans les deux sens : notre public est lui-même très engagé, nous interpelle sur des aspects qu’on n’avait pas pris en compte. Je pense que les musiques électroniques ont aussi une histoire politique qui n’est pas anodine, que cela nous confère un rôle, pas juste en tant qu’orgas ou artistes, mais en tant que communauté.

On peut agir comme des déclencheurs en faisant le lien entre fête et écologie : il y a des gens qui voient l’écologie comme contraignante. Là, on leur montre qu’en trois jours dans la nature à profiter du son et de la nature, sans portable, ils ont moins d’impact carbone que s’ils étaient restés chez eux. On montre que l’écologie peut aussi être une fête, qu’il peut y avoir un futur souhaitable.
Quels sont les défis qui demeurent pour les prochaines éditions ?
« Il y a des gens qui voient l’écologie comme contraignante. Là,
on leur montre qu’en trois jours dans
la nature à profiter du son et de la nature, sans portable, ils ont moins d’impact carbone que s’ils étaient restés chez eux. »
L’un des défis les plus difficiles à surmonter mais qui nous tient à cœur, c’est l’autonomie énergétique. On s’en approche un peu plus chaque année avec une scène qui fonctionne uniquement à énergie solaire, animée par Pikip. D’ici 2024, on aimerait également atteindre le zéro déchet.
Aussi, avec l’ouverture à l’international, on a peur que des gens prennent l’avion pour venir voir certains artistes, on a donc un travail de communication nouveau à faire et on met les artistes à contribution. Quand une artiste d’envergure internationale comme Lena Willikens fait 24h de trajet aller-retour pour venir au Sarcus, cela invite le public à se poser la question de son moyen de transport. Ce qu’on aime et vers quoi on tend toujours plus, c’est que le public nous fasse des suggestions, que ce soit sur la programmation ou pour réduire notre impact. Plus on peut aller vers la co-construction, mieux c’est !