C’est sous un joli ciel bleu – voilé par le retour des grues cendrées – qu’apparaît la discrète pancarte du château Cazebonne, propriété située en terre de Graves au sud-est de Bordeaux, à Saint-Pierre-de-Mons. Rencontre au cœur de la vigne avec Jean-Baptiste Duquesne, propriétaire du domaine et fondateur du mouvement « Bordeaux Pirate ».
En 2016, c’est bille en tête que Jean-Baptiste Duquesne (enfant du pays et fondateur du célèbre site de recettes de cuisine 750g) rachète le domaine viticole du château Cazebonne. Une seule lubie : rendre à nouveau le vignoble bordelais attractif aux yeux des consommateurs grâce à la biodynamie et aux cépages oubliés.
Du Bordeaux bashing à Bordeaux Pirate
« Quand je demandais à mes amis – qui sont curieux et éclectiques, – pourquoi ils ne buvaient pas de Bordeaux, ils répondaient : c’est chiant le Bordeaux », confie d’emblée Jean-Baptiste. Toujours pareil, trop boisés et tanniques, à boire dans vingt ans, industriels… Les griefs adressés par les nouveaux consommateurs envers les vins bordelais s’accumulent façon liste de course à en faire pâlir les terres girondines.
« Mes amis me disaient: c’est chiant le Bordeaux. »
C’est qu’aujourd’hui, les nouvelles générations de buveurs de quilles sont moins des « buveurs d’étiquette » (comme on dit dans le jargon pour désigner les consommateurs qui ne s’intéressent qu’aux vins de prestige), que des buveurs de belles histoires. Le nouveau consommateur, en plus de vouloir a minima des vins issus de vignes bio, en biodynamie ou même des vins 100% naturels, aime qu’on lui raconte des histoires, notamment celles des vignerons.
« Concernant Bordeaux, tout le monde connaît au moins quelques noms de châteaux ou appellations célèbres, mais personne ne connaît de vins de vignerons. » Pour faire simple, les étiquettes ont depuis bien longtemps effacé les hommes et les femmes qui font le vin. Ceux-ci se retrouvent alors condamnés à faire du haut de gamme, ou pire, du Bordeaux de supermarché.
De là est née l’idée du mouvement Bordeaux Pirate. L’objectif est clair : fédérer et mettre en lumière les vignerons du bordelais qui font bouger les lignes pour reconnecter le vignoble aux attentes des consommateurs.
Laisser s’exprimer la terre
« On reconstitue le vivant, et les résultats sont prodigieux ! »
C’est donc au château Cazebonne que Jean-Baptiste Duquesne, corsaire du bordelais, met en musique ses convictions. Par la biodynamie tout d’abord, pour réintroduire le vivant dans les sols. « Après la guerre, on a dit aux agriculteurs : tu n’as plus besoin de t’occuper de ton sol, on va te faire une liste de produits que tu vas acheter et avec ça, ça va pousser. On a simplifié le vivant, explique-t-il. Une plante, si tu lui fous de la potasse, de l’azote et des engrais, elle va pousser. Donc t’achètes des sacs d’engrais et tu fais pousser tout ce que tu veux. » Une approche dite « conventionnelle » qui fait des dégâts, vidant les sols de tous ses nutriments et de toute sa vie.
Après avoir racheté la propriété en 2016, Jean-Baptiste décide de convertir toutes les parcelles du château Cazebonne en biodynamie. L’idée ? Reconstituer les réserves carbone des sols, en travaillant notamment avec des couverts végétaux entre les rangs de vigne : des légumineuses pour fixer l’azote, des céréales, des blés et des orges pour apporter du carbone, etc.
« On réalise des mélanges qui nous permettent de combler les carences du sol, parcelle par parcelle. Cela fait quatre ans qu’on fait ça et qu’on reconstitue le vivant. Les résultats sont prodigieux. Et ça change tout : chaque année, nos raisins sont meilleurs ! » exulte Jean-Baptiste.
L’autrefois dans l’air du temps
« On nous serine avec le merlot et le cabernet sauvignon, mais comment c’était autrefois ? »
Et puis il y a l’obsession des cépages oubliés (et parfois interdits), pour dépoussiérer l’image des vins de Bordeaux. Et réinterpréter l’histoire. « Quand je suis arrivé dans le bordelais, je me suis dit : on nous serine avec le merlot et le cabernet sauvignon, mais comment c’était autrefois ? J’ai lu tous les livres contemporains, et jamais il n’est décrit l’encépagement réel d’autrefois. On ne décrit que les cépages autorisés dans l’AOC… Pourtant, l’encépagement actuel date des années 60. Il y a un siècle, le merlot était un cépage secondaire. Aujourd’hui il est dominant… Et il y avait encore une cinquantaine de cépages différents dans les vignes avant le gel de 1956… »
En creusant l’histoire du vignoble bordelais et en déterrant de vieux cadastres, Jean-Baptiste – qui finalise justement un livre intitulé Bordeaux, une histoire de cépages – recense plus de 50 cépages oubliés, peu à peu abandonnés pour des raisons liées parfois aux maladies importées par les cépages américains (phylloxéra, oïdium, black rot, etc), mais surtout par l’effet de standardisation de l’émergence des AOC qui ne tolèrent que quelques cépages dans leurs cahiers des charges.
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« On est dans un retour à la diversité des goûts. »
Alors il a replanté. Saint Macaire, Gros Verdot, Gros Cabernet, Béquignol, Petit Péjac, Jurançon Noir, Penouille, Pardotte, Sauvignonasse, Blanc Verdet, Blanc Auba… Une liste de cépages aux allures de bestiaire fantastique que Jean-Baptiste réintroduit petit à petit pour explorer à nouveau la magie du vivant et ses effets positifs sur le goût du vin.
« C’est ça l’air du temps : on est dans un retour à la diversité de goûts. Et vous êtes là parce que mon histoire n’est pas comme les autres. Et si mon histoire n’est pas comme les autres, les amateurs vont acheter mon vin », conclut-il avec espièglerie et bienveillance. Un nouveau récit du vivant qui fait avancer l’homme, le terroir et la planète dans le bon sens. Pour le plus grand plaisir de nos palets.
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