Jean-Michel Deiss est vigneron à Bergheim, en Alsace, à quelques encablures du Rhin. Mais ne lui dites pas qu’il est viticulteur. Au cœur du Domaine Marcel Deiss – du nom de son grand père fondateur d’un des plus grands domaines viticoles d’Alsace – Jean-Michel Deiss produit d’authentiques vins de terroir. Entretien avec un homme de la terre doublé d’un réformateur rêvant du retour à la « complantation ».
Lorsque Jean-Michel Deiss reprend les rênes du domaine familial en 1975, en conventionnel, il ne se doute pas qu’il va devenir le plus malheureux des vignerons d’Alsace. Quand les gens lui disent « Pas mal ton vin ! », il n’en dort pas la nuit, triste et insatisfait de son breuvage. Voilà le moteur de la révolte qui l’a conduit à peu à peu remettre en cause tous les préceptes viticoles de son temps.
« La monoculture n’est pas un état naturel ! »
Les années 80 voient changer radicalement son rapport au terroir et à sa manière de cultiver et d’appréhender la vigne. Son rapport au vin aussi. Il décide de recréer un écosystème plus naturel sur toutes les parcelles du domaine. « La monoculture n’est pas un état naturel. L’état naturel originel, c’est la forêt, proteste-t-il avant de citer Nietzsche : Là où se trouve l’arbre de la connaissance se trouve aussi le paradis. »
Inverser la doxa new world
En plus de placer le bio, la biodynamie (1) et l’agroforesterie (2) au cœur de sa démarche, Jean-Michel Deiss inverse radicalement le paradigme de la doxa « new world » – comme il le dit lui-même – des vignerons alsaciens, celle qui place systématiquement le cépage au cœur de l’identité d’un vin, laissant le terroir de côté, comme une influence latérale, la simple indication du lieu. Or, celui-ci est une somme d’influences décisives pour la vigne : géologie, climatologie, ensoleillement, réserves en eau, etc.
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Raconter l’incroyable diversité géologique alsacienne.
Pour remettre le terroir au centre de l’édifice, le vigneron commet alors l’hérésie majeure – celle du génie – dans un milieu très conformiste des vins d’Alsace : il décide de mélanger sur les mêmes parcelles plusieurs cépages parmi les 13 cépages traditionnels alsaciens (3), pêle-mêle, avec une ambition : permettre au terroir de les unir jusqu’à pouvoir les récolter ensemble, et revenir ainsi à une gestion « originelle », paysanne de la vigne. C’est la fameuse « complantation ». Un peu plus tard, il viendra compléter cet ouvrage avec les 47 cépages oubliés d’Alsace pour composer un alphabet viticole complexe de 60 signes, capable de rendre compte de toutes les nuances et de l’incroyable diversité géologique alsacienne.
Poésie & convictions
« La vigne, c’est comme une relation amoureuse. »
Aujourd’hui, le Domaine Marcel Deiss est toujours en mouvement. « Ne pas être en mouvement, c’est reculer », lance Jean-Michel, l’homme qui ne part pas facilement en vacances. « La vigne, c’est comme une relation amoureuse : si on ne s’en occupe pas, la relation s’estompe. » Ne vous y trompez pas : Jean-Michel Deiss n’est pas seulement un poète mais aussi un homme de conviction.
À tel point que, sous son impulsion, l’université de Strasbourg a créé le premier diplôme universitaire dédié à la dégustation géo-sensorielle. Ou l’association de la dégustation du vin à la connaissance du lieu qui l’a vu naître, et de celui ou celle qui l’a accouché. « Le vin doit avoir la gueule de l’endroit et les tripes de l’homme qui l’a fait… Au fond du verre, je veux retrouver le paysage du lieu où je suis », disait Jacques Puisais, créateur de l’Institut Français du Goût.
Place à la dégustation
Comme il est bien difficile de parler d’un vigneron sans avoir goûté son vin (ou plutôt celui de son terroir), nous nous sommes procurés deux quilles du Domaine Marcel Deiss : un Riesling 2018 (mono-cépage) et un Burg 2014 issu de la complantation des 13 cépages alsaciens traditionnels (3). Deux salles, deux ambiances.
Riesling 2018
Pour accompagner ce mono-cépage Riesling, c’est risotto shiitake aux amandes grillées. Résultat : un Riesling enchanteur avec ses beaux reflets cuivrés qui vient titiller des recoins oubliés du palais. On sent la vieille vigne et de jolies saveurs de tarte tatin, de citron et de poire confite.
Burg 2014
Ce vin, issue d’une parcelle féodale, est l’illustration parfaite des secrets alchimiques de Jean-Michel Deiss puisqu’il s’agit d’un vin provenant de la complantation de 13 cépages. Parmi les recommandations d’accords mets et vins de Marie-Hélène Cristofaro, épouse du vigneron et œnologue de formation, figure un foie gras poêlé aux pommes et noix de muscade. Le Burg 2014 est un vin complexe, d’une richesse de saveur inouïe. Robe jaune claire, ciselé à souhait avec des arômes de fruits mûrs tout en conservant une vraie fraîcheur.
Pour en savoir plus sur le Domaine Marcel Deiss, cliquez ici.
(1) Méthode d’agriculture d’origine ésotérique, principalement appliquée à la vigne, n’utilisant ni pesticides ni engrais chimiques et tenant compte du rythme des saisons, de la nature mais aussi des rythmes lunaires, planétaires et zodiacaux.
(2) Culture ou élevage associant la présence d’arbres à une autre production agricole temporaire.
(3) Auxerrois, Chardonnay, Chasselas, Gewurtztraminer, Muscat blanc à petits grains, Muscat Ottonel, Muscat rose à petits grains, Pinot blanc, Pinot gris, Pinot noir, Riesling, Savagnin rose, Sylvaner.