Cyril Dion en concert ? Aucune erreur pourtant, c’est bien l’activiste réalisateur, auteur des films Demain (2015) et Animal (2021) que l’on retrouvera sur scène au Havre et à Paris dès ce week-end, aux côtés du guitariste Sébastien Hoog. Le co-fondateur du mouvement Colibris et de la revue Kaizen retrouve ainsi ce projet, démarré en 2019, où il révèle en musique ses textes et poèmes écrits depuis de nombreuses années entre deux manifs.
Ses inquiétudes, questionnements et révoltes intérieures griffonnés à longueur de petits carnets s’étaient vus publiés, dès 2014, dans un premier recueil chez la Table Ronde. Le second, À l’Orée du Danger, est à paraître chez Actes Sud le 2 mars, avant un premier album, prévu pour l’automne prochain chez Warner, toujours mis en musique par Sébastien Hoog. Un disque qui permet à ce touche à tout, activiste, réalisateur, ex-directeur de rédaction, auteur ou poète, de rejoindre un peu plus cet univers qu’il aime par dessus tout : la musique.
Voir Résistances Poétiques au Théâtre du Rond Point (Paris, 8e) le jeudi 3 février.
On connaît le Cyril Dion réalisateur, le Cyril Dion activiste ou militant, on connaît moins le Cyril Dion poète. Pourtant, vous écrivez de la poésie depuis vos 17 ans. Comment avez-vous exploré cet art ?
Cyril Dion : J’ai commencé l’écriture quand j’avais environ 13 ans, des pastiches de romans policiers assez lamentables. Puis je suis arrivé à la poésie adolescent par le rock des Doors et de Jim Morrison, que j’adorais, et j’ai exploré ce mode d’expression par d’autres auteurs. J’y ai trouvé une sorte de familiarité avec des choses que je traversais et je me suis mis à en écrire. C’était une façon de gérer ma sensibilité, cette impression de vivre tout un peu trop fort.
Cette question de l’aliénation, et de notre capacité à en sortir, traverse mon travail littéraire, mes romans ou mes poèmes.
La poésie a été un formidable moyen de construire un équilibre entre mon quotidien et ma sensibilité exacerbée. J’ai par la suite écrit en continu, jusqu’à publier un premier recueil (Assis sur le fil, ndlr.) en 2014, aux éditions de la Table Ronde. Personne ne me connaissait, c’est donc passé relativement inaperçu, d’autant que la poésie n’intéresse pas grand monde.
On vous a vu déclamer des poèmes sur scène, pour la tournée « Le chant des Colibris, l’appel du monde de demain » avec une quarantaine d’artistes, en 2017. Est-ce là qu’est né le projet Résistances Poétiques ?
J’ai d’abord fait une tournée en librairie qui m’a conduit à lire les poèmes, et j’ai vu que les gens étaient très touchés. La poésie est aussi un art de l’oralité, c’est comme ça que je m’y étais intéressé, par le rock. J’ai poursuivi cette expérience avec le Chant des Colibris, où je venais lire en fil rouge du spectacle des textes et des poèmes en musique.
Les artistes qui étaient là, Dominique A, Alain Souchon, Izïa, Arthur H, me disaient : « ben dis-donc, c’est chouette ton truc, tu ne veux pas en faire quelque chose ? ». On a alors construit ce spectacle avec Sébastien Hoog. Depuis, j’ai continué à écrire et un deuxième recueil va sortir, le 2 mars chez Actes Sud, avec des textes écrits à partir de 2014-2015. Ça s’appelle À l’Orée du Danger.
Parmi les thèmes traversés dans vos poèmes, la question écologique est évidemment très présente.
Inévitablement. L’art est une façon de donner forme à ce qui nous traverse, et pour moi, depuis une quinzaine d’années, c’est la question écologique. Et notre place dans cette société qui se dit libérale mais est très oppressive, où l’on est considéré comme un agent productif d’un système économique. Cette question de l’aliénation, et de notre capacité à en sortir, traverse mon travail littéraire, mes romans ou mes poèmes.
Depuis l’adolescence, j’ai le sentiment aigu que l’on est bien plus vaste ça, que ce petit maillon producteur-consommateur d’une grande chaîne, et que le sens de l’existence ne peut se réduire à ces trivialités politico-économiques. C’est cet écartèlement que je tente de mettre en scène dans mes poèmes. Et, aussi, cet écartèlement entre un corps et un esprit, les difficultés d’être incarné dans ce monde.
Ce sont encore ces thèmes qui me travaillent aujourd’hui. On a coutume de dire que les artistes passent leur vie à faire le même film, à écrire le même livre, ce n’est pas complètement faux en ce qui me concerne pour la littérature.
On retrouve dans vos textes une certaine universalité qui peut toucher le plus grand nombre. Est-ce quelque chose que vous cherchez en écrivant ?
On ne pense jamais aux gens qui vont nous lire lorsqu’on écrit de la poésie. Le cinéma demande de l’anticipation, une construction, on se pose un tas de questions, même si on essaie que les choses nous échappent pour gagner en profondeur. La poésie, c’est l’inverse, c’est un jaillissement, quelque chose de très instantané.
La poésie a tendance à naître de l’écartèlement, de moments où j’ai besoin de trouver une soupape à toute cette pression, à toute cette trivialité à ce quotidien, pour y conférer un sens supérieur.
Certains passent des jours à retravailler leurs poèmes, mais ce n’est pas mon cas, je laisse une grande place à la spontanéité. Et ce sont des poèmes relativement courts. Je suis très heureux si une forme d’universalité s’en dégage, parce que c’est tout ce que l’on espère atteindre lorsque l’on crée, mais ça m’échappe vraiment, et je cherche à faire en sorte que ça m’échappe.
Comment avez-vous sélectionné les textes qui construisent du spectacle ?
On a enregistré cet été un album qui sortira chez Warner au mois d’octobre. Sébastien Hoog orchestre et produit, comme il l’a fait pour les albums d’Izïa ou de Jeanne Cherhal, et a beaucoup enrichi l’orchestration en allant vers des sonorités plus électroniques, plus urbaines.
On a mis en musique de nouveaux textes, et construit une narration, une progression. On a alterné ceux qui avaient un potentiel musical, qui se rapprochaient de chansons, et d’autres plus narratifs, comme les textes sur Detroit ou sur les écrans, par exemple. On a aussi voulu faire quelque chose d’accessible à un public qui n’est pas forcément féru de poésie, et qui me connaît pour mon engagement, que ce ne soit pas le grand écart absolu.
Vous avez dit sur scène qu’il était difficile d’amener les gens à écouter de la poésie. La poésie seule n’aurait pas suffit ? La musique était le liant nécessaire ?
Si peut-être, mais ça me permet aussi d’assouvir mon fantasme de rocker. Pour se moquer de moi, ma femme dit souvent que je fais des films pour y mettre de la musique, c’est peut-être aussi le cas des spectacles de poésie. La musique fait vraiment partie des choses les plus importantes dans ma vie. Faire dialoguer la musique et les mots, et ajouter l’expérience poétique, ça me paraissait totalement naturel. Et puis, Seb m’a dit un jour : « Pour que l’on se voit, il faut monter des projets ensemble ». Donc voilà, on se crée des projets pour se voir.
Quelle place à la poésie dans votre quotidien bien rempli aux multiples casquettes ?
La poésie a la chance de pouvoir être interstitielle. Ce qui est plus difficile pour moi là, c’est la littérature. Je suis censé rendre un second roman chez Actes sud, et j’ai beaucoup de difficulté à trouver l’espace pour me concentrer, et aller au bout de l’idée que j’ai depuis quelques années. La poésie a contrario peut jaillir au milieu de tout un tas de choses. Elle a tendance à naître de l’écartèlement, de moments où j’ai besoin de trouver une soupape à toute cette pression, à toute cette trivialité à ce quotidien, pour y conférer un sens supérieur. C’est vraiment le moyen pour moi de trouver un équilibre. J’ai toujours mon petit carnet.
Et comment est-elle perçue par les militants qui vous entourent ?
Je crois qu’ils s’en foutent pour l’instant. C’est plutôt un truc un peu folklorique que les gens aiment bien mettre au bout des présentations, « et il est aussi poète ! », sans bien savoir ce que ça veut dire et ce que ça recouvre. Mais c’est rigolo.
Qu’avez-vous pensé du film Don’t Look Up, le dernier succès de la plateforme Netflix au casting XXL inspiré de notre inaction climatique ?
J’ai adoré. Et je pense avoir été l’un des premiers à l’avoir vu en France. Comme j’adore Adam McKay, on s’est levés aux aurores le 24 décembre avec mon fils, et à 9H15 on était devant Netflix.
Je me suis retrouvé à montrer des cartes du réchauffement climatique pour montrer ce que ça donnerait à +4°C, raconter l’extinction de masse des espèces. Et après, on continue comme si de rien n’était. On fait des sourires, et on passe à autre chose.
Pendant tout le film, je n’ai pas arrêté de me dire que c’était brillant, qu’il réinvente le genre, et permet à un public qui en a un peu soupé des documentaires d’avoir accès à ces questions. Et avec maestria, puisqu’il fait le portrait de notre société, et de notre incapacité à gérer cette information du changement climatique, sans se contenter de critiquer les politiques ou les médias, mais aussi les activistes et les scientifiques dans une certaine mesure. C’est rafraîchissant. C’est horrible, mais comme je le vis déjà tout le temps, ça m’a plutôt fait jubiler que mis la tête dans le seau.
Vous êtes-vous aussi retrouvé dans cette position de l’activiste sur un plateau télé où l’on rigole ?
Ah mais complètement ! Dans des talk shows où l’on passe après un fait divers, où l’on est coupé par des pubs ou des chroniques un peu rigolotes qui n’ont absolument rien à voir. Où l’on est face à des intervieweurs d’émissions quotidiennes qui ont une série de questions préparées à l’avance, et où même si on a annoncé quelque chose de terrible, la question d’après sera la même.
Je me suis retrouvé à montrer des cartes du réchauffement climatique pour expliquer ce que ça donnerait à +4°C, raconter l’extinction de masse des espèces. Et après, on continue comme si de rien n’était. On fait des sourires, et on passe à autre chose. C’est un peu fou, parce qu’on se dit que cette information est tellement énorme qu’il faut bien qu’on en fasse quelque chose. Mais d’une certaine manière personne ne sait quoi en faire. C’est pour ça que le film est intéressant. C’est que nous-mêmes, sur le plateau, on oscille entre jouer le jeu et faire comme Leonardo Di Caprio, être gentil, parler doucement, calmement, et l’envie, comme le personnage de Jennifer Lawrence, de hurler. Mais si je hurle, je vais paraître hystérique et ça ne servira à rien non plus.
#DontLookUppic.twitter.com/qP9Ffx3t0z
— Caisses de grève (@caissesdegreve) January 5, 2022
On pourrait se dire que c’est un peu désespérant parce que le film nous renvoie à une situation d’impuissance, mais nous sommes dans une situation d’impuissance. Vraiment. Donc c’est important d’en prendre acte et de savoir ce qu’on fait à partir de là.
Lorsque l’on voit le succès populaire de vos films, de Don’t Look Up, et les études montrant qu’une majorité dans le monde a conscience du réchauffement climatique, peut-on penser que la bataille de l’opinion est en train d’être gagnée ?
Ça va dans les deux sens. Le film a aussi du succès parce que la question du réchauffement climatique émerge de façon très puissante depuis plusieurs années. Et elle émerge parce que ses conséquences sont devenues tangibles pour tout un chacun. On a vu les incendies, les sécheresses, les inondations, les glissements de terrain, on ne peut plus faire comme si ça n’existait pas. C’est ce qui a engendré les mobilisations des jeunes, fait émerger la figure de Greta Thunberg. Le film embrasse ce mouvement et lui donne une résonance encore plus forte. On peut être à peu près certain que le sujet ne va pas disparaître, et est en train de s’installer de façon durable.
Vous avez appelé, avec Charles Berling, Emily Loizeau, Thomas Piketty et d’autres personnalités, à une candidature unique à gauche dans Le Monde ce week-end. Lorsque l’on entend les positions des uns et des autres, les refus de participer à la Primaire Populaire, on a un peu l’impression que cet appel est un cri dans le désert. Vous croyez encore à une candidature unique ?
Comme pour le changement climatique, ce n’est pas parce qu’on crie dans le désert qu’il ne faut pas crier, déjà. Si les candidats continuent à voir que leurs candidatures ne décollent pas du tout dans les sondages, ils vont à un moment se poser la question, les circonstances les y contraindront. Là, on essaie de leur faire comprendre que c’est dans leur intérêt, même en termes de vote.
Si tous les candidats qui portent l’écologie et la justice sociale considéraient aujourd’hui que la situation est si grave qu’il faut dépasser leurs candidatures individuelles et organiser une grande coalition, ça aurait un retentissement extraordinaire. Beaucoup de ceux qui ne croient plus en la probité des responsables politiques et ne vont plus voter se diraient : « enfin des gens qui font passer l’intérêt général avant leurs intérêts personnels ». Cette histoire aurait une capacité d’entraînement très importante. Or, pour le moment, ils ne le voient pas, ou ils sont encore prisonniers d’un système boutiquier et d’impératifs économiques où un parti politique a besoin des élections pour lever des fonds, avoir des adhérents, une visibilité.
Mais je ne pose pas la question de savoir si j’y crois ou non. J’espère faire tout ce que je peux pour que les choses aillent dans le sens qui me paraît être le plus juste. Si ça marche, ça marche, et si ça ne marche pas, on essaie d’autres stratégies.
Pierre Larrouturou, Anne Hessel et une dizaine de militants ont même entamé une grève de la faim pour appeler les candidats de gauche à s’unir pour l’élection présidentielle. Que pensez-vous de cette action ?
C’est une stratégie différente. Ils essaient de trouver tous les moyens possibles pour continuer à mettre la pression, donc pourquoi pas. C’est courageux en tout cas.
Assister au concert de Résistances Poétiques au Théâtre du Rond Point (Paris, 8e) le jeudi 3 février.
Précommander le recueil de poèmes de Cyril Dion, À l’Orée du Danger, à paraître le 2 mars chez Actes Sud.