À Paris, le vendredi 26 mai dernier, des centaines de militant·es se sont rejoint·es devant la salle Pleyel, à Paris, pour bloquer l’assemblée générale de TotalÉnergies. Pioche! a suivi les danseuses du collectif Minuit 12 venu performer au cœur de l’action. En mêlant habilement art et activisme, elles proposent une nouvelle forme d’engagement plus sensible et joyeuse.
« Je ne suis pas sûre qu’on arrive à danser ». Au milieu d’une foule d’activistes colorée de banderoles et de pancartes aux slogans percutants, Jade Verda retrouve ses amies Justine Sène et Pauline Lida. À quelques mètres de là, la salle Pleyel, cernée de cars de policiers, se prépare à accueillir l’assemblée générale de TotalÉnergies. Bras dessus, bras dessous, les militant·es forment une barrière humaine pour bloquer l’entrée des actionnaires. Les chants et les prises de parole résonnent depuis l’aube, dans une atmosphère électrique, chargée de gaz lacrymogène. « Les policiers ont brisé la vitre et embarqué le chauffeur du camion censé apporter la sono » rapporte Jade, médusée par le dispositif policier mis en place pour l’occasion.
Comme les 700 militant·es présent·es, Jade, Pauline et Justine ont répondu à l’appel d’une coalition d’organisations, dont Alternatiba, Extinction Rebellion, Attac, Greenpeace et les Amis de la Terre, dénonçant la responsabilité climatique du groupe pétrolier français – le « plus grand pollueur de France » selon les pancartes. Pour les trois danseuses, cofondatrices du collectif Minuit 12, leur présence sonne comme une évidence. « On vient pour faire front avec nos corps, pour opposer la danse à la violence de la police et des actionnaires » explique Jade.
En mars 2022, elles avaient marqué les esprits en rassemblant une vingtaine de danseur·euses devant le siège de TotalÉnergies pour dénoncer la « bombe climatique » EACOP, le projet d’oléoduc chauffé entre l’Ouganda et la Tanzanie. Jade est aussi à l’origine d’une enquête de plusieurs mois qui a abouti à la création de la Toile Total, une installation artistique géante matérialisant les liens d’influence de la multinationale.
On vient pour faire front avec nos corps, pour opposer la danse à la violence de la police et des actionnaires
Dans l’ambiance mi-tendue, mi-festive du jour, Minuit 12 est venu pour danser au cœur de l’action. Une manière de mettre leur art au service du mouvement, en impulsant de la joie et un esprit de fête. « C’est le beau qui nous donne de la force et nous fait tenir sur la durée » confirme l’activiste Camille Étienne, ajoutant dans la foulée, « on se fait gazer depuis 6h du matin, donc là ça me dirait bien de voir de la danse ».
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Son souhait est exaucé quelques minutes plus tard. Devant une banderole « Total, c’est vous les éco-terroristes », les trois danseuses s’élancent, encouragées par les militant·es autour. L’effet est immédiat : la tension redescend immédiatement, les visages se décrispent et les corps commencent à bouger. Jade, Justine et Pauline alternent entre freestyles et chorégraphies inspirées de gestes militants, tout en encourageant le public à les imiter. La scène interpelle même quelques habitant·es qui sortent assister au show depuis leur balcon.
À quoi ça sert de danser pour le climat ?
La performance s’interrompt brusquement lorsque les forces de l’ordre lancent du gaz lacrymogène dans la foule, après des remous liés à l’arrivée des premiers actionnaires. Rapidement, les yeux se rougissent et la cohue rompt le cercle qui faisait office de scène. « Le contraste entre la danse et les gaz est flagrant » s’insurge Adèle de Boisgrollier, danseuse professionnelle qui a rejoint le trio à l’improviste pendant la performance. « On danse pourtant pour rappeler qu’on est non-violent, pour désamorcer les tensions ».
Je ne veux pas me contenter de faire du beau pour du beau, j’ai besoin que mon art soit porteur de sens
Quelques instants plus tard, alors que les militant·es se remobilisent au rythme des basses du collectif Planète Boum Boum, on retrouve les danseuses à l’écart du rassemblement. Elles concèdent que les conditions sont loin d’être optimales, mais leur motivation se situe ailleurs. L’aspect visuel de la danse leur permet de « créer des images qui arrêtent le regard », dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Une manière d’intéresser les personnes sensibles à l’art aux messages portés par le collectif.
Pour elles, cet engagement a pris une place grandissante dans leurs carrières et leurs créations artistiques. « Je ne veux pas me contenter de faire du beau pour du beau, j’ai besoin que mon art soit porteur de sens » explique Adèle. Mais loin d’être un fardeau, elles le perçoivent surtout comme une stimulation, une grande source de créativité. « La danse c’est une sensibilité, une émotion, un échange qui se fait avec le public. Dans ce genre d’action, on se nourrit de l’énergie des personnes autour et ça crée un cocktail très fort » développe Justine, avant de résumer simplement : « ce sont des sujets qui nous affectent dans notre chair donc on en fait de la danse ».
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Avec Minuit 12, Jade, Pauline et Justine naviguent entre des performances chocs au cœur de l’espace public, et des créations plus travaillées, comme leur spectacle Écume né d’une année de résidence artistique à l’Académie du Climat. En sortant la danse des théâtres et des lieux de création classiques, elles veulent porter une nouvelle image du mouvement climat, plus sensible et plus joyeuse.
C’est exactement dans cet esprit qu’elles donnent rendez-vous aux artistes, militant·es et autres éco-inquiet·es le 11 juin prochain à Paris pour la « Magma », la première marche artistique pour le climat. « On va transformer la rue en terrain de jeu pour artistes et militant·es, rejoignez le mouvement en fusion ! »