Porté par l’éloquence du jeune Féris Barkat, Banlieues Climat mobilise les jeunes des quartiers populaires autour des enjeux climatiques. En agissant dans les « angles morts de l’écologie », le projet vise à apporter de nouveaux visages à la fameuse « génération climat ». Reportage au cœur de la deuxième promotion Banlieues Climat à Bagnolet.
Lundi 13 mars. Dans ce local associatif de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), brouettes, outils et plantes destinés à un projet d’agriculture urbaine s’entassent contre les murs. Au milieu de ce décor de pépinière, une vingtaine de jeunes en doudounes et survet’ font face à Féris Barkat, 20 ans, et aux images projetées par le vidéo-projecteur. Sur l’écran, deux portraits sont côte-à-côte : le philosophe David Hume et le jeune rappeur Kerchak.
« Au XVIIIe siècle, David Hume définissait le miracle comme ce qui déroge aux règles de la nature. Et Kerchak de son côté, parle de « génération miracle » pour se décrire : à seulement 19 ans, il a explosé grâce aux réseaux sociaux et il fait des projets de fou ».
La comparaison fait sourire l’audience. Mais devant son auditoire captivé et studieux, le jeune militant poursuit. « On est dans une époque qui est miraculeuse dans ces deux sens. D’un côté, nos actions perturbent les règles de la nature et le climat. Mais en même temps, on a aujourd’hui la possibilité de faire de grandes choses, d’agir, de se mobiliser ensemble. Vous êtes ce miracle ! »
Biodiversité, démographie, boucle de rétroaction, énergies fossiles, permafrost, gaz à effet de serre… Les chiffres et le jargon scientifique défilent sur les slides tandis que Féris s’attache à les expliquer de la manière la plus claire possible, en s’appuyant parfois sur des références aux mangas, au rap, ou à des youtubeurs. « En quelques heures, on a appris bien plus que tout ce que je n’avais jamais entendu sur le sujet à l’école ou ailleurs » témoigne Yassa, 19 ans.
Après le succès d’une première promotion à Strasbourg, le projet Banlieues Climat s’est installé à Bagnolet au mois de mars. Avec le soutien de deux associations locales, Jeunes de Chez Noue et l’AJDB, une vingtaine de jeunes des quartiers de la Noue et des Malassis âgés entre 15 et 25 ans ont été mobilisés pour six heures de formation autour des enjeux de climat et d’énergie.
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Faire entrer l’écologie dans les quartiers populaires
« Ce qui me plaît, c’est de parler à ceux qui sont très loin de l’écologie, du climat et généralement ils se prennent une claque en découvrant tout ça » explique Féris, co-fondateur de Banlieues Climat qui conçoit et anime la formation.
L’écologie a changé ma vie, c’est quelque chose de très libérateur
Originaire de Strasbourg, il dédie aujourd’hui toute son énergie à ses projets de sensibilisation climatique. Récemment, son compte Tiktok a atteint les 50 000 abonnés, et il s’est démarqué avec son slam La belle au bois brûlant lors du concours « À voix haute pour la biodiversité ».
« L’écologie a changé ma vie, c’est quelque chose de très libérateur » confie-t-il. Sensibilisé par un professeur de philosophie au lycée, c’est pendant son année d’études à Londres qu’il prend vraiment conscience de l’urgence écologique. En s’exerçant devant des amis, dans son ancien lycée ou son université, il s’essaye à quelques conférences dédiées aux enjeux climatiques. « J’étais dans un milieu où personne ne s’intéressait vraiment à ces sujets, et j’étais frustré de ne pas réussir à bien leur expliquer. Alors j’ai travaillé comme un fou pour préparer une présentation carrée qui puisse s’adresser à tout le monde. »
On veut partager la culture de la question climatique
En 2021, il lâche ses études au sein de la prestigieuse London School of Economics et intègre le Collège citoyen de France, où il rencontre Abdelaali El Badaoui, entrepreneur social à l’origine de Banlieues Santé, une association engagée pour l’accès à la santé dans les quartiers populaires.
De leurs échanges naît le projet Banlieues Climat. « Il m’a tout de suite fait confiance » explique Féris. « Je n’avais pas trop de plan en tête, c’est lui qui a structuré le projet ». Pour créer Banlieues Climat, ils s’associent avec Sanaa Saitouli, figure de la vie associative de Cergy ainsi qu’avec le rappeur Sefyu. Les quatre cofondateurs portent une ambition commune : faire entrer l’écologie dans les quartiers populaires.
« On veut partager la culture de la question climatique, capaciter les gens et donner les outils pour se construire soi-même un avenir désirable » explique Abdelaali Al-Badaoui. Loin d’une approche culpabilisatrice, Banlieues Climat montre aux jeunes que l’écologie et le climat sont devenus incontournables, et qu’ils ont tout intérêt à s’en saisir.
« J’essaye de montrer que l’écologie ce n’est pas quelque chose basé sur des sacrifices, de la dévotion ou de la privation, c’est avant tout un moyen de s’émanciper. Ça permet de mieux comprendre le monde qui nous entoure, et de transformer son quotidien, en prenant soin de sa santé, et de ses proches par exemple » développe Féris. « Et puis, c’est des opportunités, on peut en vivre, faire des boulots qui ont vraiment du sens. »
Je m’appelle Assala, j’ai 23 ans. Franchement, j’ai trouvé le sujet plus intéressant qu’il en avait l’air. Ça se voit que Féris est passionné par ce qu’il nous raconte, donc ça nous touche beaucoup plus que si c’était simplement à l’école. Surtout qu’ici à Bagnolet, on voit directement les conséquences du réchauffement climatique, avec les dégâts des canicules par exemple
« Une écologie qui nous ressemble »
La formation met l’accent sur les conséquences concrètes des dérèglements climatiques, de l’effondrement de la biodiversité sur la santé et la vie quotidienne. Tandis que Féris explique l’impact des particules fines sur la santé, une main se lève. « Comment expliquer alors que tous les city-stades sont placés le long du périph’ par ici ? » Plusieurs participant·es opinent de la tête, et la remarque amorce une discussion sur les injustices climatiques et la vulnérabilité des quartiers populaires. Certain·es évoquent la canicule de l’été dernier, permettant de faire le lien avec la rénovation thermique des bâtiments, ou la nécessité de végétaliser les villes.
Car ici, plus qu’ailleurs, le réchauffement climatique se fait sentir. En Seine-Saint-Denis, plus de deux tiers des logements du département ne répondent pas aux normes de réglementation thermique et 40% des habitants sont en situation de précarité énergétique. Pourtant, au-delà du slogan « fin du monde, fin du mois, même combat », l’écologie politique et le mouvement climat peinent encore à toucher les quartiers populaires. Pour le philosophe Pierre Charbonnier, cette difficulté s’explique par « l’histoire intellectuelle et idéologique de l’écologie politique » qui s’est construite « dans une opposition aux classes populaires ».
C’est tout l’enjeu de Banlieues Climat : faire émerger une écologie populaire, façonnée par les jeunes eux-mêmes, adaptée à leurs codes et à ce qu’ils vivent. « On sent que Féris il est avec nous parce qu’il vient des quartiers, son envie de changer les choses nous donne envie de nous bouger aussi » résume Adama, 19 ans.
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Pour atteindre les « angles morts de l’écologie », Banlieues Climat part d’un véritable travail de terrain en adaptant son approche, son vocabulaire et en proposant des manières d’agir pour le climat depuis les quartiers populaires. « Essayez d’éviter de parler du « vivant », c’est trop abstrait » avise ainsi Féris aux membres de l’association On est Prêt présents pour proposer des pistes d’actions aux participant·es.
Je m’appelle Ilyes, j’ai 18 ans et je suis attaquant au Paris FC. On a beaucoup appris avec Féris, il nous explique les choses comme un pote pourrait le faire et ça m’a donné envie d’agir. Avec un peu plus d’approfondissement, je suis chaud d’intervenir dans les écoles. Je ne vais pas forcément en faire mon métier mais si je peux partager ce que j’ai appris, tant mieux
À la fin de la formation, pendant qu’un buffet préparé par les « mamans du quartier » commence à occuper les tables du local, Féris propose aux participant·es de devenir formateur·ices à leur tour, en animant un atelier de sensibilisation d’une demi-journée dans les écoles primaires. La majorité du groupe se porte volontaire, séduit par cette manière de continuer à se former et de s’approprier le sujet. « Ceux chez qui il y a eu un vrai déclic, ou même un petit intérêt, ne lâchez pas le truc ! » encourage Féris, ciblant du regard les participant·es les plus motivé·es.
Pour pousser les jeunes à s’engager, Banlieues Climat s’attache aussi à « partir de ce qui se fait déjà dans les quartiers » explique Sanaa Saitouli. Des maraudes à vélo, une recyclerie, des jardins partagés, une vélo-école… La plupart des participant·es sont déjà très impliqué·es dans des initiatives locales, qu’ils et elles relient désormais à la formation qu’ils viennent de suivre. « On ne savait pas qu’on était à ce point-là dans l’écologie » confie Shérine, 16 ans.
Face à l’enthousiasme collectif, un voyage en vélo est aussi mentionné. D’abord pris à la légère, l’idée séduit progressivement le groupe. Alors, avant de déguster le buffet des mamans, un engagement est pris : ils iront jusqu’à Strasbourg, à la rencontre des membres de la première promotion Banlieues Climat. De Bagnolet à Strasbourg, la communauté Banlieues Climat est née.