Quatre jeunes de l’association Banlieues Climat étaient invité·es à l’Assemblée nationale mi-janvier. L’occasion de plaider en faveur d’une écologie véritablement populaire qui ne fait pas l’impasse sur les inégalités sociales, tout en réaffirmant avec force la légitimité des jeunes des quartiers à s’emparer des enjeux écologiques.
Mercredi 17 janvier, 16h. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, l’équipe de Banlieues Climat s’apprête à rencontrer François Ruffin, Marie-Charlotte Garin et quatre autres députés de gauche. La pression commence à monter, tout est bientôt prêt, seul le cofondateur de l’association Féris Barkat, manque à l’appel, bloqué aux portes du Palais Bourbon pour avoir oublié sa carte d’identité.
L’imprévu fait sourire le petit groupe réuni devant la salle qui en profite pour régler les derniers détails de la présentation – « tu fais la biodiversité, je fais la santé ». Féris arrive quelques minutes plus tard, accepte volontiers les quelques piques amusées qui fusent dans le couloir, et l’équipe désormais au complet pénètre dans la salle de réunion.
« On passe par le sujet hype de l’écologie pour être entendu·es, mais au fond, on parle d’injustices sociale »
La méthode Banlieues Climat
Devant les députés, Khadim Coulibaly, Someia Talbi et Aymen Hamidi, respectivement 18, 21 et 23 ans, donnent un avant-goût de la formation Banlieues Climat, déjà dispensée à des centaines de jeunes depuis la création de l’association en novembre 2022. Une présentation bien ficelée sur les ordres de grandeur de la crise écologique et ses conséquences sur les conditions de vie des classes populaires.
Tout ça est rendu digeste et accessible grâce à des formateur·ices plein·es de bagou, des références à la pop culture et une volonté d’aborder l’écologie à partir du quotidien et des réalités des jeunes formé·es. Le vocabulaire scientifique pointu côtoie les expressions quotidiennes, et la rhétorique s’appuie autant sur Jacques-Bégnine Bossuet, évêque du XVIIe siècle – « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », qu’au rappeur marseillais Zamdane – « J’ai poussé sur le béton, comment tu veux que j’connaisse l’éclosion ? ». C’est la méthode Banlieues Climat qui permet à l’association de s’adresser à un public éloigné de l’écologie et de l’engagement.
À lire aussi : Banlieues Climat : une nouvelle « génération climat » qui parle d’écologie dans les quartiers
« Je viens du quartier de Hautepierre à Strasbourg, je n’ai pas eu la chance de faire des études, je n’ai jamais travaillé dans ma vie, alors quand j’ai suivi la formation de Féris je ne savais pas trop où ça allait me mener. Mais regarde, le 28 juillet je sortais de prison, le 17 janvier je suis à l’Assemblée nationale » témoigne Aymen qui était début janvier aux côtés de Jean-Marc Jancovici et d’une flopée d’expert·es pour devenir formateur à son tour.
Cheval de Troie
« Je veux montrer qu’on peut maîtriser leurs codes mais qu’on ne veut pas le faire »
Malgré les données du GIEC et les références à l’anthropologue Philippe Descola qui défilent sur l’écran de présentation, Banlieues Climat n’est pas venu au Palais Bourbon pour parler climat. Ce sont plutôt les problèmes de santé, d’alimentation et de cadre de vie dans les quartiers populaires qui sont mis en avant. Des enjeux qui se conjuguent au présent, et qui seront aggravés par le dérèglement climatique. « On passe par le sujet hype de l’écologie pour être entendu·es, mais au fond, on parle d’injustices sociales. Parce que si on aborde ces injustices frontalement, on est marginalisé·es, remis·es à notre place de jeunes de banlieues » explique Féris.
Someia met en avant les problèmes hormonaux causés par la pollution, beaucoup plus fréquents dans les banlieues. « C’est quelque chose qu’on sait, qu’on voit autour de nous, mais ce qu’il manque ce sont des chiffres concrets » explique la Cergyssoise de 21 ans, étudiante en école de commerce.
De son côté, Féris se place en conseiller, soufflant aux députés de s’emparer du débat sur le « réarmement démographique » lancé par Emmanuel Macron pour mettre en avant les conséquences désastreuses des phtalates contenus dans les pesticides et le plastique sur la fertilité.
Le député François Ruffin (LFI) attrape la balle au vol et propose d’approfondir les recherches sur les liens entre santé et quartiers, à travers un « un travail documentaire commun sur le sujet ». Un premier pas potentiel vers une commission d’enquête sur le sujet. Ce dernier invite aussi Banlieues Climat à faire des ponts entre « France des tours » et « France des bourgs » en s’adressant aussi à celles et ceux qui « ont une vision complètement déformée des quartiers ».
Insolence bien placée
« Ça fait plaisir d’entendre des références à la pop culture entre les murs de l’Assemblée » se réjouit le député insoumis Louis Boyard, 23 ans, mettant le doigt sur la véritable singularité de cette rencontre. Car comme le suggère la présence d’une équipe vidéo et de deux photographes, la présence de Someia, Aymen, Khadim et Féris à l’Assemblée nationale, sans travestir leurs codes, vocabulaire ou style vestimentaire, n’avait rien d’évident.
De quoi symboliser la posture d’« insolence politique » revendiquée par Féris. « On accède à des milieux qui te laissent croire qu’être toi-même est impossible, que tu dois changer pour t’intégrer » explique celui qui a fréquenté cette année la matinale de France Inter, Matignon et la sphère militante écolo, et qui déplore avoir souvent été réduit à l’« arabe qui parle du climat ».
À lire aussi : « Dans les quartiers populaires, l’écologie on n’en parle pas mais on la pratique »
« Je vais pouvoir dire aux gens de ma ville que j’ai vu des députés et qu’il y en a qui sont prêt·es à nous écouter, comme on est »
« Je veux montrer qu’on peut maîtriser leurs codes mais qu’on ne veut pas le faire. Je veux d’abord m’adresser aux jeunes comme moi, leur donner de l’espoir. Alors si je commence à faire le transfuge, à me censurer, je fais croire qu’on n’est pas légitime pour changer les choses en restant soi-même » poursuit-il, rappelant sourire aux lèvres le big up adressé à Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur, au moment de certifier la formation Banlieues Climat.
« Quelle chance pour les générations qui vont suivre de grandir avec des figures comme celles-ci, des figures qu’on n’a pas eues nous » s’enthousiasme Achraf Manar, fondateur du mouvement d’éducation populaire Destins liés.
Alors dans la cour de l’Assemblée nationale, au moment de prendre des photos et de raconter la rencontre au reste de l’association par message vocal, l’enthousiasme gagne le groupe. Tout ça n’est que le début d’un long plaidoyer pour une écologie véritablement populaire et attentive à la vulnérabilité, mais le symbole le plus marquant est ailleurs, résumé par Khadim : « Je vais pouvoir dire aux gens de ma ville que j’ai vu des députés et qu’il y en a qui sont prêt·es à nous écouter comme on est ».