À l’hôtel Pasteur de Rennes, les 7 et 8 décembre 2023, une trentaine d’organisateur·ices de festival sélectionné·es par le collectif R2D2 ont participé à un marathon créatif de 28h. L’idée : développer des projets pour repenser les mobilités des équipes et des publics de festival et réduire l’impact environnemental du transport. Et en effet, c’était sport.
Rennes, début décembre. Comme chaque année, les pros de la musique sont au rendez-vous pour la grand-messe des Trans Musicales. Mais pour certain·es, avant d’aller affronter le célèbre Hall 9 du festival breton, il va falloir cogiter. Et en mode running. 28h de marathon créatif entre festivals indés pour repenser les mobilités durables des équipes et des festivalier·es, c’est sportif.
L’organisateur de ce défi, c’est R2D2, un collectif qui rassemble les réseaux régionaux de festivals comme Elemen’Terre en Occitanie, le RIM en Nouvelle-Aquitaine ou Cofees en PACA. Lancé en mars 2023, son projet national « Festivals en mouvement », s’attache à réduire l’empreinte environnementale du transport dans les festivals. Objectif : « rendre les festivals actifs et moteurs sur cet enjeu majeur » qui représente, comme le rappelle le Collectif des Festivals, « 80 % de l’impact carbone d’un festival », outre les enjeux d’accessibilité et de sécurité.
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Corinne Landais, facilitatrice, explique la méthode en début d’épreuve à la quarantaine de participant·es réuni·es à l’hôtel Pasteur. Le marathon se déroule en 3 phases : inspirer – « on trouve les obstacles à surmonter et les défis qui nous font kiffer » –, imaginer – « on rêve, on se lâche » – et développer – où l’on se demande « comment faire pour ». Tout ça en alternant entre brainstorming en petits groupes, écoute d’expert·es et moments de relâche conviviaux (vive l’apéro). À vos marques…
« On va bannir le fameux OUI MAIS »
La consigne est claire : il s’agit de dépasser le « c’est compliqué » que se voient souvent opposer les responsables RSE de festivals suggérant des alternatives aux modes de transport carbonés. Alors pas de « oui mais » mais des « oui et », enjoint Corinne. Autrement dit : de l’écoute, du rebond et la recherche de solutions.
Le travail commence par l’identification, en solo, de deux défis ou points d’intérêt. Chacun·e se creuse la tête pour trouver sur quoi se concentrer pour les 27h de marathon restantes. Puis commence la recherche de personnes ayant proposé les mêmes termes pour former des groupes. Au milieu des airs hagards, les marathonien·nes cherchent leurs futur·es coéquipier·es : « Ah moi c’est train, bus, navettes… – EST-CE QU’IL Y A DES PERSONNES QUI VEULENT FAIRE LE TRAIN ? – Moi je suis bus. – Vélo ! ». Bref, c’est un peu la cohue.
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Plus tard viendra le temps des échanges au sein des groupes constitués. Et quand la fatigue approche, Corinne sait motiver les troupes en rappelant la ligne d’arrivée : « Avant l’apéro, vraiment rêvez, faites-vous plaisir ! ». Les idées fusent. Comme dans le groupe 4 qui travaille sur le covoiturage : « Ce serait trop bien si j’avais juste à faire Bordeaux-Paris et qu’on pouvait me dire y’a Michel qui part à 7h30 » lance Léa Gilbert du RIM. Selon Laetitia Lepetit du festival Mythos qui réfléchit à une campagne de communication décalée incitant aux mobilités douces, il faut pousser le « démarketing de la voiture ». Pour nourrir ces idées, plusieurs expert·es des mobilités accompagnent les marathonien·nes.
« Je veux pas casser l’ambiance mais ça va être compliqué »
Les 28h de marathon sont ainsi jalonnées de prises de paroles d’expert·es. Leur rôle est clair : proposer des clefs de compréhension sur la problématique des mobilités. Dans la peau d’entraîneur·euses, les expert·es donnent des conseils et de la force aux participant·es. Et ils/elles ne sont pas là pour minimiser l’effort requis, en témoignent ces paroles de Stéphane Schultz, fondateur de l’agence 15marches, dès le début du marathon : « Je veux pas casser l’ambiance mais ça va être compliqué. On a un énorme obstacle : les gens ont des bagnoles et ils ont envie de s’en servir. »

Alors les expert·es y vont de leurs stratégies. Pour Benoît Lanusse, expert de la mobilité ferroviaire, « le truc important, c’est la praticité ». Guillaume Pouteau, de l’association éhop, mise sur la bonne compréhension des comportements individuels avec un schéma simple : préparer le changement (combiner les leviers), changer (travailler des incitatifs qui font sens pour les covoitureur·euses), pérenniser (intégrer le temps et les étapes nécessaires au changement). Les mentalités mettent en effet du temps à évoluer. Mais Isiah Morice, coordinateur du festival Chauffer dans la Noirceur, est « un peu sceptique sur la question du temps long. Parfois, on peut avoir des changements de pratiques radicaux en un mois grâce au réglementaire. »
« Je vais vous demander d’être vraiment dans l’empathie de vos cibles potentielles »
D’autres points de blocage sont abordés. La sociologue Margaux Jankowski et la socio-anthropologue Matiline Paulet (de l’atelier de recherche Sociotopie) relèvent ainsi, dans les premiers résultats d’une grande enquête sur la mobilité des publics et des équipes de festivals, que le mode de transport découle le plus souvent d’une absence de choix. « Je suis obligée de prendre la voiture, c’est la campagne » leur confirme une jeune femme interrogée à l’occasion du Biches Festival, en Normandie. On peut aussi pointer la peur du changement et la force de l’habitude.
Toutes ces interventions, lumineuses, donnent des idées. Or, « quelquefois on peut tomber amoureux de son idée mais on est là pour trouver des idées qui correspondent à un public, alerte Corinne, Et donc là, je vais vous demander d’enlever votre casquette d’organisateur·ices de festival et d’être vraiment dans l’empathie de vos cibles potentielles. » Sacré défi que celui de courir un marathon tout en s’imaginant faire du covoiturage ou prendre un train.
« Raconter un truc chouette »

Le challenge n’est toutefois pas impossible à relever. Et c’est, en fait, la condition même de réussite du marathon. Pour y parvenir, il faut donner envie : la désirabilité est le meilleur rempart à l’inaction. Fanny Valembois (Shift Project) s’y applique. Son intervention est centrée sur la manière d’agir sur les comportements de mobilité du public. Fanny cite en exemple le No Logo Festival qui organise des transports à vélo collectifs pour rassurer les festivalier·es, ce qui donne « un côté on part en colo, ça va être fun, ça va être marrant. »
L’intervenante souligne aussi l’importance de la mise en confiance. Par exemple, garantir d’avoir des pompes à vélo sur la route, « c’est un levier hyper puissant ». Et « donner envie… de ne pas » est tout aussi efficace. Prenant le cas du festival Glastonbury en Angleterre, elle montre comment, en dépeignant un voyage dystopique pour les festivalier·es qui auraient opté pour la voiture, « en mode c’est l’apocalypse pour repartir », le festival tente d’inciter à privilégier les navettes gratuites.
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Cette manière imagée de présenter les choses avec légèreté et humour, c’est bien ce qui suscite l’envie de se bouger. Pas seulement pour mettre en place des dispositifs, mais aussi pour les adopter. L’empathie naît là. L’intervention de François Alaitru, bénévole au sein de l’association Vélo Utile et co-gérant du Galapiat Cirque, renforce cette évidence. Il évoque ainsi la grande parade à vélo organisée par Vélo Utile et le festival Art Rock à Saint-Brieuc, en Bretagne. Avec un DJ sur une remorque pour associer mobilité et proposition artistique, près de 300 personnes à vélo, le format est finalement « extrêmement familial » et a pour autre avantage le fait de se réapproprier la ville.
« La folie, elle est aussi d’associer les gens »
Avec cet exemple, François « raconte un truc chouette » pour donner envie de se mettre en selle. Il fait naître d’autant plus d’intérêt chez les marathonien·nes quand il raconte comment, avec sa compagnie de cirque, il a réussi à faire de la mobilité une proposition artistique en soi. Avec une tournée à vélo dans le Finistère, la compagnie a embarqué les quarante personnes de l’équipe et proposé sept spectacles et un concert avec l’appui des habitant·es. « La folie, elle est aussi d’associer les gens », s’amuse-t-il : belle manière de parler sans le vouloir du marathon créatif et d’inviter à prolonger les épreuves.
R2D2 dévoilera en direct sur YouTube, le 31 janvier à 14h, les expérimentations accompagnées dans le cadre du projet et le manifeste tiré des propositions des participant·es. En attendant, rendez-vous à l’espace DD des BIS de Nantes le 17 janvier à 17h15 en salle G pour découvrir la présentation de « Festivals en mouvement ».