Mises en difficulté par le dérèglement climatique et le déclin du ski, les stations de montagne sont forcées de faire évoluer leur modèle touristique. En Isère, l’Alpe d’Huez accueille ainsi sur ses pistes des milliers de fêtard·es à l’occasion d’un festival de musiques électroniques importé de Belgique : Tomorrowland. Une proposition culturelle pour amorcer la transition écologique et une sortie du modèle tout-ski ? Pas vraiment, selon un collectif créé cet automne autour d’une revendication claire : Stop Tomorrowland Alpe d’Huez.
Depuis 2019, une version hivernale du festival électro Tomorrowland se tient dans la station de ski de l’Alpe d’Huez, près de Grenoble. Avec des artistes électro venu·es du monde entier et une scénographie tape-à-l’œil, Tomorrowland Winter reprend les codes de son grand frère belge et attire près de 20 000 festivalier·es dans la station iséroise.
Dès la première édition, l’évènement a été pointé du doigt pour son empreinte écologique et son goût de la démesure dans un milieu naturel pourtant fragile. En outre, une subvention de 400 000 euros attribuée en 2019 par la région Auvergne Rhône-Alpes et une scène installée dès 2022 au Pic Blanc – 3 300 m d’altitude – ont fait grincer quelques dents.
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L’ADN de l’évènement n’est pas compatible avec le cadre magnifique et vulnérable de l’Alpe d’Huez
Après quelques actions menées par Extinction Rebellion et des militant·es de la région, le collectif citoyen Stop Tomorrowland Alpe d’Huez est né début octobre pour demander l’annulation de la prochaine édition prévue en mars 2024.
À quelques kilomètres seulement de La Grave, qui a accueilli cet automne « la plus haute ZAD d’Europe » contre la construction d’un téléphérique, cette lutte locale semble porter les germes d’un tourisme montagnard et d’une culture de la fête plus sobres. Rencontre avec Benoît, membre du collectif.
À l’heure du dérèglement climatique et de la réduction de l’enneigement, Tomorrowland Winter est présenté comme une voie pour faire évoluer le modèle touristique de la montagne au-delà des sports d’hiver. Qu’est-ce que vous reprochez à ce nouveau modèle ?
Benoît : Le principal argument, c’est l’empreinte carbone d’un tel évènement. Le transport du public est le principal pôle d’émission des festivals, et lors de la dernière édition, 47% des festivalier·es venaient de l’étranger. Rien que pour les transports en avion, on parle de milliers de tonnes de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère, c’est indécent pour un festival en pleine montagne, surtout lorsqu’on sait qu’un kg de CO2 relâché dans l’atmosphère fait fondre environ 15 kg de glace de glaciers. C’est une aberration écologique.
Avec cet événement se pose aussi la question de son impact sur la biodiversité. Le festival s’est fait connaître pour ses décors immenses, ses feux d’artifice, ses milliers de personnes qui viennent des quatre coins du monde. Cet ADN n’est pas compatible avec le cadre magnifique et vulnérable de l’Alpe d’Huez. La scène du Pic Blanc, à 3 300 m d’altitude n’est qu’à 500 m du Parc national des Écrins. C’est difficilement quantifiable mais on peut imaginer la détresse des animaux sauvages face à la pollution sonore et visuelle.
Tomorrowland Winter ne s’adresse qu’à une poignée de personnes avec un fort pouvoir d’achat
Le site Internet du collectif précise : « questionner ce festival, ce n’est pas être contre la culture ». Pourquoi c’est important pour vous de le préciser ?
On n’est pas contre la culture, mais contre ce type d’événements qui ne respectent pas les limites planétaires et qui s’apparentent surtout à une quête de super-profits. Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer une culture moins destructrice ? Dans le collectif, on a des personnes motivées qui réfléchissent aussi à organiser des évènements culturels alternatifs, pour proposer quelque chose d‘autre.
On peut imaginer un festival tourné vers un public local, une proposition artistique qui met en valeur le cadre magnifique tout en le respectant, et surtout un évènement plus inclusif socialement. Tomorrowland Winter ne s’adresse qu’à une poignée de personnes avec un fort pouvoir d’achat. Les forfaits pour une semaine avec hébergement oscillent entre 875 et 7 000 euros, hors transports. Ça amène forcément des questions de justice sociale.
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Comment fait-on pour faire annuler un tel évènement ?
Il faut d’abord informer et sensibiliser les citoyen·nes sur le terrain, sur les réseaux sociaux et dans les médias. On veut faire entendre notre voix pour créer un rapport de force et remettre en cause l’image de marque de Tomorrowland Winter. Les membres du collectif auront ensuite chacun·e la liberté de proposer des actions sur le terrain, en fonction de leur expérience et de leurs compétences. On veut s’ouvrir autant aux personnes non militantes qu’aux mouvements et associations qui existent déjà.
C’est une lutte qui s’inscrit dans un cadre plus large pour empêcher la destruction de nos montagnes, il y a un grondement des cimes qui surgit
La plupart de nos membres sont à Grenoble, mais nous rassemblons progressivement des personnes de l’Alpe d’Huez et de la vallée de l’Oisans. On fait confiance à l’intelligence collective et aux synergies qui vont se créer entre les organisations et les acteur·ices du territoire. La route sera peut-être un peu longue avant d’arriver à l’annulation, mais nous ferons entendre notre voix.
C’est une lutte qui s’inscrit dans un cadre plus large pour empêcher la destruction de nos montagnes. Contre le tunnel Lyon-Turin, le téléphérique de La Grave, ou la retenue collinaire de la Clusaz. Il y a un grondement des cimes qui surgit et qui personnellement me fait chaud au cœur.