La décennie qui vient sera décisive pour l’agriculture française : la moitié des agriculteur·ices partiront à la retraite et une grande partie des terres changeront de propriétaires, par vente ou par héritage. C’est ce que rappelle Terre de Liens dans un rapport dévoilé mardi. L’association rappelle le rôle clé des propriétaires terrien·nes dans la transition vers une agriculture durable, et s’inquiète de l’apparition d’acteurs financiers sur le marché du foncier agricole.
« Il y en a marre des paysans, vive l’industrie ! » Lundi 27 février, à l’entrée du Salon International de l’Agriculture, les visiteurs avaient la possibilité de s’arrêter au stand des « maraîchers du turfu ». Costard, lunettes de soleil et cigare aux lèvres, le marchand scande des slogans en faveur de l’agro-industrie, tout en distribuant ses chips « garanties sans paysans ».
Une opération de communication menée par l’association Terre de Liens, spécialisée dans l’accompagnement à l’installation des jeunes agriculteurs. Ciblant le groupe Altho, producteur des chips Brets, le happening dénonce les pratiques d’accaparement des terres agricoles par l’agro-industrie et les investisseurs financiers.
Pourquoi s’intéresser à la propriété des terres agricoles ?
Un propriétaire a refusé de me louer ses terres, il était impensable pour lui de louer à une personne qui ne vient pas du village
Terre de Liens vient de publier son rapport « À qui profite la terre ? » consacré à la propriété des terres agricoles en France. Un enjeu décisif pour la décennie à venir puisque la moitié des agriculteur·ices en activité prendront leur retraite avant 2030, sans que l’arrivée d’une nouvelle génération ne soit garantie. Les installations de jeunes agriculteur·ices ne compensent aujourd’hui que la moitié des départs, entraînant la disparition de 200 fermes par semaine et l’agrandissement des exploitations existantes.
Et pourtant, l’accès à la terre pour les jeunes agriculteur·ices, majoritairement issu·es d’un milieu non agricole, demeure encore un parcours du combattant. « Ici, en Côte d’Or, la terre est chère et convoitée. Un propriétaire a refusé de me louer ses terres, il était impensable pour lui de louer à une personne qui ne vient pas du village » témoigne pour Terre de Liens le céréalier Adrien Darphin.
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En bref, les propriétaires fonciers peuvent autant être des freins que des accélérateurs de la transition alimentaire. Face à la concurrence d’autres usages (résidentiels, panneaux solaires, loisirs…), ils ont le pouvoir de consacrer leurs terres à une agriculture nourricière, portée par une nouvelle génération de paysan·nes.
En moyenne, 14 propriétaires pour un·e paysan·ne
L’image d’Épinal de l’agriculteur propriétaire de ses terres est aujourd’hui dépassée : seulement 35% des terres cultivées appartiennent aux agriculteur·ices qui les travaillent. Dans les faits, les terres agricoles sont en grande majorité aux mains de personnes, souvent âgées, ayant hérité d’une parcelle. Au fil des générations et des héritages successifs, la propriété de la terre se morcelle, et les liens entre agriculteur·ices et propriétaires se distendent. Aujourd’hui, un·e agriculteur·ice traite en moyenne avec 14 propriétaires différent·es, contre seulement quatre en 1980. Le rapport souligne « le risque que la terre devienne un capital à valoriser plutôt qu’un patrimoine familial et affectif ».
Il y a un risque que la terre devienne un capital à valoriser plutôt qu’un patrimoine familial et affectif
En parallèle, Terre de Liens alerte sur l’accaparement du foncier agricole par les acteurs financiers. Depuis quelques années, une partie des fermes se structurent sous la forme de sociétés à capital ouvert. Pour financer leurs activités, elles font appel à des investisseurs financiers qui achètent des parts dans l’exploitation, et deviennent ainsi propriétaires d’une partie des terres. Un phénomène qui inquiétait déjà les députés en charge de la mission d’information sur le foncier agricole en 2018 : « Le foncier agricole est aujourd’hui convoité par l’agriculture de firme dans laquelle les intérêts financiers prennent le pas sur les considérations alimentaires ».
À travers les sociétés financiarisées, c’est 14% des terres agricoles qui sont placées sur les marchés financiers, échappant à toute régulation publique. Terre de Liens cite l’exemple du groupe Euricom, propriétaire de 1300 ha de culture de riz en Camargue, ou du groupe Altho en Bretagne qui utilise des montages sociétaires pour s’accaparer les terres des agriculteurs partant à la retraite.
Une nouvelle génération de propriétaires mobilisés pour une agriculture durable ?
Face à ces constats, Terre de Liens demande au gouvernement de renforcer la régulation sur le foncier agricole pour éviter sa concentration aux mains de l’agro-industrie et favoriser l’installation d’une nouvelle génération d’agriculteurs. Le gouvernement devrait proposer une loi d’orientation agricole en juin 2023.
Mais l’association place surtout ses espoirs chez les petits propriétaires qui détiennent encore la majorité des terres. Dans les dix prochaines années, ce sont 13 millions d’hectares qui sont appelés à changer de propriétaires, par héritage ou par vente. À travers son « Guide de la propriété foncière responsable », l’association appelle les nouveaux et nouvelles propriétaires à « se mobiliser pour que les terres soient utilisées dans le sens de l’intérêt collectif ».
Découvrez le rapport « À qui profite la terre ? » sur le site de Terre de Liens.