Avec le prix Art Ensemble, la fondation Gulbenkian et le Centquatre mettent en lumière des projets d’art collaboratif et participatif. Le programme récompense et accompagne des projets artistiques innovants, construits sur le « faire ensemble » et porteurs d’une culture accessible au plus grand nombre. Focus sur les trois œuvres lauréates de l’édition 2023-2024.
Le 24 janvier dernier, l’art collaboratif était à l’honneur au Centquatre, lieu culturel du 19e arrondissement de Paris. Le jury du prix Art Ensemble, anciennement Prix Social Practice Art initié par la Fondation Calouste Gulbenkian, a rencontré dix porteur·euses de projets artistiques replaçant le public au cœur du processus créatif. À l’issue de la cérémonie, trois projets primés ont remporté la somme de 10 000 € et un accompagnement personnalisé au développement.
Les projets présélectionnés parmi plus d’une centaine de candidatures partagent une volonté commune : impliquer un groupe social, professionnel ou territorial dans ses pratiques artistiques. Avec l’art collaboratif et/ou participatif, les dispositifs mis en place par les artistes visent autant à créer une œuvre qu’à transformer les participant·es et le territoire dans lequel ils/elles s’inscrivent. Ces formes d’art innovantes intègrent ainsi des démarches d’accessibilité de la culture au plus grand nombre.
Maya Gering et Margaux Dzuilka – Mères au parloir : Faire résonner le chœur des femmes
Maya Gering et Margaux Dzuilka se sont rencontrées à la suite d’un article de Margaux dans le Bondy Blog racontant le travail de l’association Tendre la main auprès des mères de détenu·es dans la commune des Mureaux (Yvelines). À travers un taxi-parloir, les familles sont transportées, écoutées et accompagnées face au tabou et à l’épreuve de voir un·e proche incarcéré·e. Bouleversée par l’initiative, Maya Gering, artiste américaine installée en France contacte la journaliste, ouvrant la porte à une amitié et des projets communs.
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Avec Mères au parloir : faire résonner le chœur des femmes, Maya et Margaux avaient initialement prévu d’enregistrer les témoignages des mères accompagnées par Tendre la Main, avant de les illustrer dans un film d’animation. Un projet destiné à mettre en lumière la difficulté des transports entre la ville et les prisons, l’arbitraire de l’administration pénitentiaire, le tabou social associé à la détention, le contexte social d’une ville au taux d’incarcération particulièrement haut…
Mais à la découverte des démarches d’art collaboratif et du Prix Art Ensemble, le projet a progressivement dérivé vers la volonté de rendre les mères actives dans le processus de création. Autour de cinq résidences créatives ouvertes à toutes les femmes concernées, le film sera finalement une fiction écrite et réalisée collectivement, avant d’être diffusée dans le taxi-parloir de l’association.
« On veut créer un espace de sororité, donner les moyens à ces femmes de s’exprimer, de s’entraider, d’avoir des clés de résistance contre la honte ou l’isolement. Je le vois comme un travail de guérison collective » explique Maya Gering.
Camille Juthier – Les oiseaux chantent pour les fleurs. Et moi, je fais des câlins aux arbres avec mes oreilles
Dans ce projet, nommé d’après une phrase du physicien et musicien Joël Sternheimer, l’artiste plasticienne Camille Juthier collabore avec une classe de collégien·nes en situation de handicap (dispositif ULIS). En se promenant dans la forêt à côté du collège, à Saint-Soupplets (Seine-Et-Marne), les élèves pourront partager les sensations qui naissent dans ce milieu naturel, échanger autour des plantes avec une herboriste, autour des sons avec un sonothérapeute.
De retour au collège, le groupe construira à partir de matériaux prélevés dans la forêt un espace-refuge, c’est-à-dire une installation immersive dans laquelle se ressourcer en laissant une grande place aux sens. « Installé dans le collège, l’espace permettra aux élèves d’avoir un espace safe, à elles et eux, et de créer du lien avec les autres élèves » explique Camille Juthier. Le projet devrait également faire l’objet d’un documentaire.
Habituée à travailler avec son frère Simon, diagnostiqué du trouble du spectre autistique, l’artiste souligne la richesse née du partage des processus artistiques. « J’ai envie d’être surprise, de me faire déplacer, ce n’est pas facile de créer des choses vraiment étranges et nouvelles, de sortir de nos manières de penser ».
Hannah Puzenat – Mémoires croisées – Récits cartographiés
Pour interroger les thèmes de la mémoire, de l’identité et de l’exil, Hannah Puzenat invite des élèves à collecter des objets, des archives qui témoignent de leur passé. En croisant ces traces de l’histoire individuelle ou familiale avec des disciplines comme l’histoire et la géographie, le groupe élabore des cartes qui retracent les parcours de vie, à la croisée du réel, du sensible et du souvenir.
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« Le but est d’inventer un nouveau langage pour retracer ses origines et les croiser avec celles de son entourage, se réapproprier son histoire par l’écriture d’une toute nouvelle carte, pour donner lieu à une intervention et exposition dans l’espace publique » explique l’artiste qui a déployé le projet en 2023 dans une classe de CM2 à Mayotte, interrogeant alors le poids de l’histoire coloniale dans les parcours de vie individuels.