Depuis dix ans, La Ruche qui dit Oui s’engage pour une alimentation de qualité tout en soutenant la filière agricole. Aujourd’hui, la structure renouvelle son ambition de « réinventer le monde de l’alimentation » en élargissant son réseau de marchés éphémères en France et en Europe et en sensibilisant les papilles à la nécessité de manger local, de maison et au prix juste. Rencontre avec son président Grégoire de Tilly.
Dix ans. Dix ans que La Ruche qui dit Oui facilite les relations entre producteurs et consommateurs soucieux de mieux manger tout en soutenant une agriculture en proie à de nombreuses difficultés économiques et humaines. De la première ruche ouverte par Odile en septembre 2011 dans l’agglomération toulousaine aux 1 500 points de collectes recensés en France et dans six autres pays d’Europe en 2021, La Ruche qui dit Oui a constitué un réseau solide sans jamais déroger à ses trois principes : le direct producteur, des produits locaux et de saison et un juste partage de la valeur.
En 2011, La Ruche qui dit Oui ambitionnait de « réinventer le monde de l’alimentation ». Une décennie plus tard, ponctuée par une crise sanitaire, l’objectif est plus que jamais d’actualité. « La Ruche qui dit Oui est une petite pierre apportée à l’édifice de l’agriculture française et, à notre échelle, nous essayons de changer la donne », admet son président Grégoire de Tilly. Un changement qui passera par la valorisation du circuit-court et de ceux qui l’alimentent.
Derrière chaque produit, il y a un producteur. Le rencontrer, comprendre son métier, partager sa passion pour une alimentation de qualité et reconnaître son travail à sa juste valeur sont autant d’ingrédients nécessaires pour amorcer une nouvelle décennie sous le signe d’une alimentation durable.
La Ruche qui dit oui fête ses 10 ans. Aujourd’hui, vous comptez 770 ruches en France et 1 500 en Europe. Lorsque vous regardez dans le rétroviseur, imaginiez-vous un tel développement ?
Grégoire de Tilly : La Ruche qui dit Oui est partie d’une idée très simple : d’un côté, on a des producteurs qui ont des bons produits mais qui ne savent pas forcément comment vendre ni comment se rémunérer et, de l’autre, nous avons des consommateurs qui sont en recherche de ces produits. La Ruche qui dit Oui a pour premier objectif de mettre en relation ces différentes parties. Lorsqu’une personne se rend dans une ruche, elle sait à quel producteur elle achète son produit. Cela recrée un lien de confiance, un lien social qu’on avait perdu dans l’alimentation.
La Ruche qui dit Oui repose aussi sur deux autres idées complémentaires. Le premier point, c’est un juste partage de la valeur. Le producteur fixe son prix. Nous touchons 11,65% de commission, le responsable de ruche touche 8,35%, et les 80% restant revient au producteur. Ce partage est fondamental. Le second point, c’est l’aspect local. En moyenne, les produits qui sont dans une ruche viennent d’un rayon entre 70 et 80 kilomètres. Nous avons également des produits « invités », comme par exemple du parmesan provenant de petits producteurs italiens. Si on enlève ces produits extérieurs, la distance moyenne passe à moins de 50 kilomètres.
Est-ce qu’il existe une charte stipulant que les produits disponibles dans les ruches doivent provenir de producteurs établis à proximité ?
Nous avons mis en place une charte tripartite signée par La Ruche qui dit Oui, le responsable de ruche et le producteur. Sur ce sujet, tout le monde a sa définition du local. Nous avons arbitrairement fixé cette distance à 250 kilomètres mais, dans les faits, la provenance moyenne des produits est beaucoup plus proche que cela.
Alors que le thème du local est revenu sur le devant de la scène pendant la crise sanitaire, comment La Ruche qui dit Oui a-t-elle vécu cette période ?
« La crise sanitaire a montré l’incroyable résilience du système. »
Au début, ça a été très difficile. Toutes nos ruches sont dans des lieux qui accueillent du public. Elles sont hébergées dans des restaurants, des écoles, des halls de mairies etc. Avec le confinement, elles ont du fermer. Mais grâce à l’aide de certaines communes, certaines ruches ont trouvé des lieux alternatifs. À cet instant, nous avons sensiblement augmenté notre activité. Certaines semaines, nous avons multiplié par cinq ou par six le nombre de paniers par rapport à l’année précédente. Et tous les producteurs, également amputés d’une partie de leur activité avec la fermeture des hôtels et des restaurants, nous ont suivi.
En résumé, la crise sanitaire a montré l’incroyable résilience du système. La grande distribution ne peut pas en dire autant.
À lire aussi : Plusieurs chefs de la communauté Écotable renfilent le tablier pour venir en aide aux étudiants
Lorsque la Ruche qui dit Oui a été créée, le principal constat était que le nombre d’agriculteurs ne cessait de décliner, au même titre que leurs revenus. 10 ans plus tard, comment analysez-vous le monde agricole en France, alors que le constat fait il y a dix ans est plus que jamais d’actualité ?
En dix ans, les choses n’ont pas beaucoup évolué. La Ruche qui dit Oui est une petite pierre apportée à l’édifice de l’agriculture française et, à notre échelle, nous essayons de changer la donne. En moyenne, un producteur partenaire fait 1/3 de son chiffre d’affaires avec nous. Le reste, c’est de la vente directe, des marché, de la distribution de proximité, de la restauration etc. La Ruche qui dit Oui, c’est une bonne alternative pour essayer de faire les choses différemment.
Entre des produits issus de l’agriculture intensive et d’autres provenant de l’agriculture extensive, comment se positionne La Ruche qui dit Oui ?
Bien sûr, nous avons une charte qui promeut des méthodes raisonnées d’agriculture. Après, nous n’avons pas les moyens de contrôler les exploitations. En revanche, comme nous avons une très large majorité de producteurs engagés qui pratique une agriculture raisonnée, ce cercle vertueux ne laisse quasiment pas de place aux produits issus de l’agriculture intensive. Pour le bio, ça concerne environ 30% de nos produits.
Que répondez-vous à l’affirmative « bien manger, ça coûte cher » ?
Dans une ruche, nos prix sont à peu près semblables à des prix de marché. Ça peut paraître un peu plus cher qu’au supermarché, mais quand tu prends des produits bruts et que tu les cuisines, ça te revient toujours moins cher qu’un plat cuisiné, et c’est meilleur pour la santé.
« Bien manger, ça a un certain coût, mais c’est la juste valeur. »
La notion sur le prix est super intéressante. Les produits que nous proposons sont au juste prix. Si, aujourd’hui, on paye en plein hiver un kilo de tomates à deux euros, il n’y a pas de mystère : c’est un produit qui a été fait sous serre en Espagne, avec des ouvriers sous-payés qui vivent dans la misère, et remonté avec un semi-remorque rempli à ras-bord. Des produits cultivés en local, récoltés le matin même qui n’ont pas traîné pendant 48 heures dans des frigos, ce sont des produits de meilleure qualité.
À lire aussi : Avec ses jus « naturellement militants », comment NoFilter lutte contre le gaspillage alimentaire
Oui, bien manger, ça a un certain coût. Mais c’est la juste valeur. Parfois, certains ont plus tendance à augmenter leur budget « smartphone » que leur budget « alimentation ». Je pense que la grande distribution a faussé l’image qu’on a d’un produit alimentaire. Je pense à son prix, mais aussi à sa nature même. Aujourd’hui, certains pensent que les tomates et les courgettes poussent toute l’année.
Après la ruée vers l’or de la grande distribution dans les années 70 / 80, les consommateurs se tournent de plus en plus vers des modèles de proximité avec le producteur, en témoigne le succès de la Ruche qui dit Oui. Comment expliquez-vous ce changement de paradigme ?
Je reste assez prudent là dessus. Effectivement, on le voit, ce système direct producteur connaît une croissance, ce qui est super positif. Mais ce n’est pas si évident. À la Ruche qui dit Oui, on a beaucoup de gens qui viennent et qui, ensuite, nous quittent car ils ne trouvent pas ça assez pratique. Avoir une alimentation locale et de qualité qui soutient les producteurs, même si on essaie de simplifier les choses au maximum, ça a quand même quelques contraintes pour le grand public habitué aux rayons des supermarchés.
D’où la naissance des espaces physiques de la Ruche qui dit Oui depuis février 2021…
C’est ça. On constate que beaucoup de personnes adhèrent aux valeurs de la Ruche qui dit Oui, mais trouvent que notre système n’est pas assez pratique. Il y a trois ans, nous nous sommes rapprochés d’une société pour développer un service de livraison à domicile. En complément, nous avons décidé d’ouvrir des boutiques. Comme pour les ruches, ces espaces direct producteurs, en local, avec une rémunération juste.
Podcast, newsletter, BD… La Ruche qui dit Oui se transforme en un véritable média d’information à destination des producteurs et des consommateurs. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à développer ces nouvelles verticales, à priori éloignées de votre mission principale ?
Nous cherchons à informer un maximum de personnes sur nos problématiques. On a toujours eu La Lettre de la Factrice, une newsletter qui marche plutôt bien. On a une super équipe en interne, très créative. On a réfléchi à d’autres supports pour parler de nos sujets. On a fait un magazine, un livre, des bande-dessinées, des podcasts. En bref, on diversifie les moyens de sensibiliser les gens sur des sujets qui nous importent.