La DJ française Anetha lance Mama Loves Ya, une agence d’artistes « familiale » où sobriété et éco-responsabilité sont les maîtres-mots, en contrepied aux excès d’une scène électronique starifiée. Et si ce contexte de pause sanitaire était le moment rêvé pour amorcer un changement de fond ?
Cet article est réalisé en partenariat avec Trax, le magazine des musiques électroniques et des cultures en mouvement.
Pour les artistes, le dilemme est de taille. Alors que l’apogée de leur carrière se mesure en taille et en nombre de concerts annuels, l’impact environnemental de leurs événements ne cesse de s’accroître avec le succès. En 2018, le média britannique Stamp On Wax calculait qu’un DJ à forte notoriété générait autant de CO2 en un mois qu’un citoyen britannique en une année. Ce coût quadruple lorsque l’artiste préfère voyager en première classe plutôt qu’en classe éco.
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« Une carrière de DJ qui prend 100 avions par an, ce n’est pas terrible en terme de bilan carbone », acquiesce Jules, manager et compagnon de l’artiste française Anetha. Il se souvient de séjours « lunaires » aux côtés de la DJ techno, où il fallait 45 minutes en voiture depuis leur hôtel « branché » pour rejoindre une salle de concert… entourée d’hôtels tout à fait acceptables. « Il y a une starification des DJs qui n’est pas bonne à long terme, on essaie de mettre le hola là-dessus. »
« Faire les choses bien »
Avec Mama Loves Ya, l’agence tout juste lancée par Anetha et quatre de ses proches, l’objectif est de construire un modèle alternatif aux tournées éclairs aux quatre coins du monde. Et pour les artistes qui les rejoignent, de s’engager à respecter quelques principes-clés. « L’idée est d’agir à notre niveau, en toute humilité, explique Jules. On ne va pas faire de miracles : il est difficile de ne jamais faire prendre un avion à un artiste. Mais nous pouvons prendre des engagements pour réduire notre impact au niveau de l’agence comme des artistes. »
Dès que les concerts pourront reprendre, la jeune agence s’engage ainsi à privilégier le train sur l’avion, multiplier les dates dans un même pays ou dans un pays transfrontalier, inciter les promoteurs à limiter l’usage du plastique ou à réserver hôtels et restaurants à proximité de la salle. Le merchandising et la production musicale du label seront également réfléchis de façon éco-responsables. « On sait qu’on ne va pas avoir une activité carbone nulle, mais on peut s’associer à des programmes de compensation, demander à manger local et bio, voire s’impliquer localement dans la région où l’on se déplace » détaille Jules.
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Le secteur musical au diapason
Outre Anetha, deux autres artistes, ABSL et UFO95, ont rejoint l’aventure Mama Loves Ya. Des proches, à nouveau, pour cette nouvelle entité « familiale » qui vise avant tout un développement « organique ». « L’idée n’est pas de concurrencer les autres agences de booking ou d’aligner les artistes internationaux, mais de faire les choses bien » précise Jules, qui pointe les limites de ces agences multipliant les dates pour leurs artistes. Au sein de Mama Loves Ya, l’artiste touchera une part importante du cachet versé par le promoteur. L’équipe imagine aussi réinvestir une partie des revenus dans le financement de projets artistiques ou écologiques collaboratifs.
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« C’est fondamental de s’engager aujourd’hui, explique Joy, co-fondatrice et bookeuse de l’agence au webzine PWFM, car en protégeant l’environnement et la nature, en régulant son impact carbone, on protège la capacité des sociétés humaines à se développer demain. » Pour cette professionnelle, le contexte actuel est favorable. « Dans mon travail, dans l’industrie musicale, auprès des agences, des festivals, des clubs, tou·te·s réfléchissent et communiquent de plus en plus sur l’écologie. Je suis certaine que les artistes suivront, même si cela signifie un quotidien parfois moins pratique et moins confortable, et quelques concessions à faire. »
Ces dernières années, de nombreux·ses professionnel·les du secteur musical ont appelé à l’effort collectif. Tables rondes (comme lors des États généraux des indépendants, organisés à Lyon) ou organisations internationales (A Greener Festival, Shape) y travaillent, et plusieurs artistes majeur·es, comme Gorillaz ou Massive Attack, sont au diapason. Pour elles et eux, c’est tout un modèle économique de l’événementiel basé sur les déplacements de masse, les fortes consommations énergétiques, les repas non durables et les voyages courts, qui doit être repensé. Gageons que l’initiative de la « famille » d’Anetha soit imitée.