Avec son ambitieuse programmation (l’édition 2024 aligne Queens Of The Stone Age, Macklemore, PJ Harvey, 21 Savage, The Libertines…), le Cabaret Vert, dans les Ardennes, attire 120 000 personnes chaque été à Charleville-Mézières. Engagé depuis sa première édition, le festival travaille à réduire son impact environnemental. Et cela passe par une attention toute particulière portée aux options de transport bas carbone proposées à son public pour faciliter sa mobilité.
« Tous les chemins bas carbone mènent au Cabaret Vert », peut-on lire sur le site du festival ardennais. Et ce ne sont pas des paroles en l’air : fer de lance des initiatives éco-responsables depuis sa création en 2005, le Cabaret Vert multiplie les dispositifs pour permettre à ses festivalier·es de rejoindre Charleville-Mézières à moindre frais… Pour la planète comme pour leur porte-monnaie.
Un défi de taille pour ce festival installé en ville, certes, mais drainant un public venu de toute la région et habitué à la voiture. Mais Cabaret Vert a de la ressource : deux trains de nuit spécialement affrétés et desservant un maximum de gares chaque soir (treize arrêts entre Charleville et Givet, quatre entre Charleville et Reims), cinq cars ardennais sillonnant le département, quatre cars dits nationaux (depuis Lille, Paris, Metz-Nancy et Bruxelles-Charleroi-Couvin), navettes de nuit traversant Charleville-Mézières, parking à vélos surveillé, gratuit et toujours plus grand chaque année, bornes éphémères de vélos électriques partagés, billets retours en TER à un euro.
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Si des partenariats entre festivals et SNCF sont noués dans bien des endroits en France – le festival d’Avignon a par exemple cette année mis en place des trains de nuit dans les communes environnantes desservies par TER –, la systématisation de ces initiatives est loin d’être assurée. Car elles dépendent de chacune des régions (qui décident des horaires, des prix et des plans de transport de ses TER). Les 11 TER du pays ont bien pour direction la SNCF, mais il s’agit en fait d’entités quasi indépendantes.
Un train peut en cacher un autre selon l’adage… Mais il cache surtout des humains, trois organisations (festival, TER et région) devant décider de travailler main dans la main pour dynamiser leur territoire, verdir leur événement et soigner les déplacements de leurs festivalier·es. Exemple avec Camille Muller, responsable développement durable du Cabaret Vert, Florent Matras, représentant TER du département des Ardennes, et Guillaume Maréchal, vice-président de la région Grand Est en charge de la jeunesse et des sports.
Le Cabaret Vert propose de nombreuses options de mobilité bas carbone pour se rendre au festival. Encore faut-il que le public s’en empare… Comment faites-vous pour rendre le train attrayant pour les festivalier·es ?
Camille Muller (Cabaret Vert) : On communique sur son impact écologique, mais aussi sur son côté pratique. Les gens peuvent être amenés en toute sécurité chez eux, ils n’ont à penser à rien, ils n’ont pas besoin de se garer, ils ne prennent pas le volant après avoir bu. Qu’ils viennent de Lille, de Neuville-lès-This, de Reims ou de Charleville, il y aura une solution de mobilité durable à leur disposition. Et le tout avec une politique tarifaire attractive.
Ça va aussi se jouer sur d’autres petits services : on va par exemple proposer le bracelettage des festivalier·es à la sortie des cars, pas besoin d’aller faire la queue à l’entrée, et une boutique mobile sera présente sur site pour acheter ses billets retour, TER comme TGV, directement depuis le festival.
On fait de gros efforts pour essayer de faire prendre le train aux festivalier·es
Florent Matras (représentant TER Ardennes) : Côté SNCF Voyageurs, on a des comparateurs sur notre site pour montrer le gain de CO2 du train par rapport à la voiture ou à l’avion. On axe beaucoup notre communication là-dessus. On fait de gros efforts pour essayer de faire prendre le train aux festivalier·es, notamment aux campeur·euses – on les surnomme gentiment les « Tortues », pour la forme des tentes qu’ils/elles ont sur le dos.
Alors on renforce les trains de journée, en termes d’accompagnement et de capacité. Et après le festival, on les accueille le lundi matin avec du café, du thé, des jus de fruit fournis par SNCF Voyageurs, et des gâteaux que nous apporte le Cabaret Vert. Ça nous permet de les aider avec leurs tarifs à 1 euro, de gérer les petits problèmes de perte d’argent, de billets, d’affaires ou autres, et de leur dire bonjour ou au revoir.
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D’où vient cette idée de cueillir les festivalier·es en lendemain de soirée avec du café et des gâteaux ?
Florent Matras (représentant TER Ardennes) : J’étais auparavant chef de gare, et on faisait souvent des opérations de contrôle des billets le lundi en lendemain de festival. Les gens étaient encore dans l’esprit du festival, et c’est quelque chose que je trouvais un peu brutal. D’où cette idée de petit déjeuner. Je crois qu’on en est à la septième année de cet accueil le lundi matin, et ça plaît énormément.
Ces lignes de nuit spéciales passeront par des villages, alors que l’heure semblait plutôt à la fermeture de gares, avec des communes rurales de moins en moins desservies…
Guillaume Maréchal (vice-président de la région Grand Est) : Dans les Ardennes, c’est le contraire ! On a par exemple, doublé le nombre de trains sur la ligne Charleville-Reims, et ils s’arrêtent dans toutes les gares. C’est un engagement de la région, au même titre que le soutien au festival et la mise en place de ces trains de nuit, de ces retours à 1 euro, de ces bus : les grandes villes ne doivent pas être les seules à bénéficier de la mobilité. La région finance l’intégralité de ces dispositifs, à hauteur de 26 000 euros pour les deux lignes de nuit, et 10 000 euros pour les bus.
L’engagement du personnel de la SNCF est total alors même que la période est très chargée
Évidemment, avec le retour à 1 euro, on n’est jamais à l’équilibre. Mais c’est permettre aux usagers de rentrer en sécurité tous les soirs après le festival : c’est un service public. On en a discuté en amont avec les délégués syndicaux de la SNCF, qui ont cherché des volontaires pour travailler sur ces trains supplémentaires, contrôleur·euses comme conducteur·ices. Et le délégué syndical de la CGT, André Giraud, s’est lui-même porté volontaire, disant qu’on ne peut pas aller voir les élu·es en réclamant des trains supplémentaires et ne pas s’engager ensuite ! L’engagement du personnel de la SNCF est total, alors même que la période du mois d’août est toujours très chargée.
À votre avis, qu’est-ce qui fait que ce partenariat fonctionne ?
Camille Muller (Cabaret Vert) : Le premier slogan du Cabaret Vert, c’était « éco-festival, rock et territoire ». On a toujours eu à cœur de mettre en valeur le territoire ardennais, ses acteurs, ses savoir-faire. On a à peu près 600 partenaires, et tous sont importants pour nous, qu’il s’agisse de certains donnant 2000 euros au festival ou d’autres plus conséquents, comme la région. Il y a vraiment cette force du collectif, chacun a envie d’apporter sa pierre à l’édifice. Et quand Florent prévoit le goûter du lundi matin, c’est ce bon sens, ce côté humain et ce partage qui ressortent, un esprit qui se retrouve en chacun de nos partenaires et dans l’écosystème du festival.
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Guillaume Maréchal (vice-président de la région Grand Est) : Je peux confirmer que le Cabaret Vert traite tous ses partenaires d’égal à égal. Personne ne s’impose, ce sont des discussions, des bilans sur les éditions précédentes, on met bien à plat ce qu’il s’est passé, ce qui a marché ou pas, et personne n’hésite à se remettre en question.
Qu’est-ce qui vous motive dans le fait de travailler avec un festival ?
Guillaume Maréchal (vice-président de la région Grand Est) : Pouvoir défendre et mettre en valeur les Ardennes. On est un territoire qui a connu tellement de difficultés… Aujourd’hui, on remonte la pente grâce à des initiatives comme le Cabaret Vert. On a toujours entendu dire que les Ardennes, c’est un peu glauque, il n’y a rien à faire, il ne fait pas beau… Alors que pas du tout !
On incite les festivalier·es à profiter du Cabaret Vert pour visiter la région
D’ailleurs, on incite les festivalier·es à profiter du Cabaret Vert pour visiter la région. Il y a un endroit fabuleux dans les Ardennes : la vallée de la Meuse. On a un pass à la journée à 10 euros, qui permet de prendre son vélo dans le train, et monter et descendre autant qu’on veut pour aller découvrir cette vallée et sa voie verte.
Guillaume et Florent, vous allez venir au festival ou vous préférez vous reposer parce qu’il y a le petit déjeuner à distribuer le lundi matin ?
Guillaume Maréchal (vice-président de la région Grand Est) : Je viens au festival chaque année ! Personnellement, avec mes ami·es, on ne regarde même pas la programmation : on y va parce que c’est le Cabaret Vert, pour l’âme du festival. Et beaucoup d’Ardennais·es sont dans le même cas. Mais le lundi matin, je ne suis pas au petit déj (rires).
Florent Matras (représentant TER Ardennes) : Moi, si, et je vous avoue franchement que, comme je fais le festival chaque année, c’est dur de se lever… Mais après, il y a le sourire des festivalier·es qui sont tellement content·es d’avoir un café, on discute… Et en fin de compte, le coup de barre, je l’ai le lundi soir !
Cabaret Vert, du 15 au 18 août à Charleville-Mézières (08). Pour vous y rendre, pensez au train : les itinéraires à privilégier sont disponibles sur la carte des festivals proposée en partenariat par Hourrail et Pioche. Sur le site, Pioche! animera des tables rondes au think tank de L’Idéal et organisera une Vélorution le 16 août avec Diffuz et Ma Ville à Vélo : retrouvez le défi sur le site de Diffuz.