Le Hadra Trance Festival, plus grand évènement psytrance de l’Hexagone organisé à Vieure (03), a décortiqué sa consommation d’énergie pour identifier des pistes d’action vers la sobriété. Résultat : une série d’idées reçues invalidées, quelques solutions efficaces et un appel à « repenser la manière dont on organise un festival ».
72h de musique non-stop, 10 000 festivalier·es, des cuisines, des dizaines de stands… Combien ça consomme, tout ça ? Après le bilan carbone en 2022, le Hadra Trance Festival installé à Vieure dans l’Allier (03), a fait réaliser en 2023 un audit énergétique.
Grâce à une subvention du Centre national de la musique (CNM), les organisateur·ices ont pu demander aux entreprises Zébulon Régie et Incub de scruter le détail de la production et de la consommation énergétique de l’événement, à partir d’une question simple : peut-on se passer des génératrices, ces machines génératrices de CO2 qui produisent l’électricité du festival à partir de gazole ?
Les données collectées lèvent ainsi le flou qui entoure le sujet de l’énergie des festivals, pourtant incontournable dans la transition écologique du secteur. « On sait mesurer en détail les impacts des transports ou de l’alimentation, mais sur l’énergie, on ne savait rien, ni notre impact précis, ni comment agir », justifie Félix Meauxsoone, chargé des actions environnementales et sociales de l’association Hadra.
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Car au-delà de la réduction du bilan carbone – l’énergie est le troisième poste d’émission de gaz à effet de serre de la plupart des événements, loin derrière l’alimentation et les transports – la consommation énergétique alourdit les budgets des festivals. Et tandis que plane le risque d’interdiction des génératrices par les préfets en cas de pic de pollution, la sobriété s’impose pour « réduire les risques et se simplifier la vie », selon Pascal Lenormand, ingénieur chez Incub.
« Il y a de quoi faire tourner cinq fois le festival »
Si les graphiques, courbes et unités de mesure qui jalonnent le diagnostic peuvent effrayer les non-initié·es, la principale conclusion tient en des termes simples, formulés par Pascal Lenormand : « Avec les puissances installées sur le site, il y a de quoi faire tourner cinq fois le festival ».
Derrière ce surdimensionnement, les auditeur·rices pointent la cécité des organisateur·ices d’événement sur les usages réels en énergie. En effet, à l’exception des systèmes son et lumière, généralement bien maîtrisés par les technicien·nes, la consommation d’énergie sur le site n’est quasiment jamais mesurée. Et une partie importante des besoins énergétiques, comblée par le gaz (cuisines…) ou l’essence (déplacements, engins de montage…) est souvent éludée, suivant un biais très français qui limite les enjeux énergétiques à l’électricité.
En cause : la mission des « responsables énergie » du Hadra – deux électriciens – se limite à fournir de l’énergie, sans suivre en aval le détail de sa consommation, faute de temps. « C’est un peu comme si les équipes toilettes ne s’occupaient que de fournir des copeaux pour les toilettes sèches, mais que personne n’était en charge du niveau de remplissage », illustrent les auteur·rices du rapport.
Cette cécité condamne les installations électriques au surdimensionnement, « au cas où ». D’autant plus que la peur de la coupure reste omniprésente chez les technicien·nes. Cette dernière les incite systématiquement à « prendre un peu de marge » par rapport aux besoins d’électricité (sur)estimés, et à recourir aux énergivores dispositifs Twin – deux génératrices fonctionnant à 50% de puissance permettant de ne pas interrompre la production en cas de panne.
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Les 12 armes fatales
« Ce sont des données qui nous permettent d’agir vite, se réjouit Félix Meauxsoone. On peut déjà diviser les génératrices par deux sans risque. » Et parmi les « 12 armes fatales » proposées par le diagnostic – envisager le biogaz, adapter l’éclairage des parkings… –, le chargé des actions environnementales et sociales de l’association Hadra en recommande une prioritaire, « facile et efficace » : mesurer les consommations réelles pendant le festival pour ajuster la production d’année en année. Cette tâche ne nécessite pas de compétences particulières et peut être effectuée par des bénévoles qualifié.es ou compétent.es.
À plus long terme, la réorganisation énergétique d’un festival demande de bousculer quelques mythes et réflexes installés de longue date. Ainsi, le diagnostic constate que les systèmes électriques du Hadra Trance Festival sont organisés par zone géographique. Une génératrice par zone alimente les scènes, les stands et les cuisines. Les équipes d’Incub et Zébulon Régie proposent de repenser ces systèmes « dans une logique énergétique » : réunir les usages selon leurs caractéristiques (niveau de puissance, durée d’utilisation…), reliant chaque réseau à une alimentation dimensionnée. Si l’on schématise : une petite source pour les chargeurs de téléphone, un gros réseau sécurisé pour les frigos et les enceintes.
De plus, pour limiter le surdimensionnement des réseaux et mettre fin aux dispositifs Twin, les énergéticien·nes soulignent l’importance de rationaliser le risque de coupure, constatant que « le milieu du spectacle aborde la question de manière empirique, avec finalement peu de recherche et développement ». Cette rationalisation peut être accompagnée par des ingénieur·es en énergie, très rares dans l’évènementiel, et ne peut se passer d’une accélération de la formation des technicien·nes du spectacle aux enjeux énergétiques.
Mais si cela demande une expertise spécifique, c’est aussi à l’échelle des représentations collectives que se situent les freins au changement, selon Félix Meauxsoone : « On constate qu’il est indispensable de mettre en confiance les équipes, de réfléchir aux peurs de chacun·e et de s’interroger sur les risques que l’on est prêt·e à accepter. Est-ce que c’est grave si la scène principale coupe 5 minutes ? ».
Repenser la manière dont on organise un festival
Mais alors, peut-on aller jusqu’à se passer de génératrices ? « Non, pas sur le Hadra Trance Festival tel qu’il existe actuellement, tranche Félix Meauxsoone. Ça demande de repenser la manière dont on organise un festival aujourd’hui, en conditionnant l’ensemble du projet artistique à un cahier des charges énergétique. » Concrètement, ce cahier des charges reviendrait à allouer des puissances électriques maximales à la scénographie et aux systèmes voire à questionner certains éléments qui font aujourd’hui l’ADN du festival comme la jauge, le nombre de scènes ou le format 72h de musique non-stop.
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« Ce sont des changements qui sont difficiles à aborder seul·es. Il y a le risque que le public ne suive pas, ça demande de changer les manières de travailler de tous·tes les professionnel·les du secteur. Et puis pour se relier au réseau électrique, on dépend énormément d’EDF et des pouvoirs publics. »
Ces transformations nécessitent donc plus largement le développement de ce que les auteur·rices du rapport appellent une « culture énergétique ». Autrement dit un niveau général de connaissances sur le sujet, permettant de faire de l’énergie un sujet de discussion majeur au sein des équipes, et à l’échelle du secteur. Car comme le formule Félix Meauxsoone, optimiste : « Au fond, sur le sujet de l’énergie, la solution ne sera pas technique, elle s’appuiera avant tout sur des expérimentations et des personnes, en retrouvant ce côté artisanal et bricoleur qui nous caractérise ».