Peut-on lier les vertus de la forêt et celles de l’opéra, et y ajouter un aspect thérapeutique ? Vincent Karche répond par l’affirmative. L’ancien forestier, devenu ténor, en a même fait son métier. En matchant ses deux passions que sont les arbres et le chant, il a créé la Randolyric, des balades originales où les participants sont invités à lâcher prise en chantant dans la forêt.
Se soigner en chantant dans la forêt. Telle est l’expérience que propose Vincent Karche depuis 2011. Cet ancien technicien forestier, devenu ténor international, propose des randonnées lyriques au cours desquelles il initie son public à la sylvothérapie. Après le parc des Ballons des Vosges, on l’a vu en animer plusieurs à Avène, dans l’Hérault, à La Gacilly en Bretagne, au Québec, et plus récemment au Burundi. « Le but est de sentir le bien-être par les arbres et la voix. Davantage développée au Japon, la sylvothérapie existe aussi aux États-Unis et en Australie, mais cela reste encore pionnier en France », décrit-il.
Aussi connue sous le nom de tree-hugging, la sylvothérapie pourrait ainsi soigner des maux tant physiques que mentaux. « Les substances chimiques envoyées par certains arbres, telles que les phytoncides et les terpènes, jouent un rôle dans l’augmentation de l’immunité, la diminution du stress ou encore le ralentissement du rythme cardiaque », précise Vincent Karche. S’ajoute alors la puissance libératrice de la voix. « En forêt, j’invite les gens à chanter. Au début, certains trouvent ça bizarre, d’autres adhèrent directement. Je prépare aussi un parcours sensoriel tout au long de la balade. Chacun y trouve son compte. »
Des chœurs du Burundi aux rituels amérindiens
Avant de se réapproprier cette pratique et créer son propre concept, la « sylvoixthérapie », Vincent a traversé bien des étapes. Un parcours qui démarre en 1992, quand il travaille au Burundi en tant que technicien forestier. Alors chanteur dans les chœurs de Bujumbura – où on lui fait remarquer sa voix de ténor – il s’improvise professeur de musique, et met en scène son premier conte musical, Le papillon noir, joué par les enfants. Un récit depuis édité en livre.
De retour en France, le chant ne le quitte plus. D’auditions en représentations, Vincent embrasse sa nouvelle carrière de ténor. Vienne, Berlin, Québec… Il chante dans les grands opéras de ce monde. « C’était magnifique mais surtout très dur, se souvient-il. Le métier a fini par me fatiguer. En 2003, après plusieurs rôles lourds à assumer et beaucoup de pression, j’ai fini par perdre ma voix. » Une période difficile, également marquée par le décès de ses parents, souligne-t-il.
En 2006, au bout de ses économies et au plus bas moralement, Vincent puise dans ses rêves de gosses pour rebondir. « Je me suis revu jouer dans les bois des Vosges en me prenant pour un indien d’Amérique. J’ai repensé à Croc-Blanc de Jack London, mon livre préféré, confie Vincent. En tapant les mots « loup amérindien Québec » sur Internet, je suis tombé sur le site web de Tsonontwan.» Situé au nord de Québec, ce lieu invite le visiteur à venir se ressourcer. Vincent réserve immédiatement son billet d’avion pour l’autre côté de l’Atlantique.
À lire aussi : Pourquoi malgré les alertes les humains ne réagissent pas face à l’urgence climatique
« J’avais prévu d’y passer deux semaines, finalement j’y suis resté quatre mois. Régent Garihwa Sioui, de la tribu des Hurons, m’a poussé à ré-apprécier l’instant présent » , raconte le chanteur d’opéra. Entre rituels amérindiens et longues balades guidées par les Huskies de la meute de Régent, il réapprend à vivre. Jusqu’à ce jeune total de quatre jours et trois nuits en forêt, un rituel amérindien réalisé lors du passage à l’âge adulte. « Je dormais sur une simple paillasse dans une hutte au milieu de la forêt, se remémore Vincent. J’ai traversé toutes mes peurs pendant les deux premiers jours. J’ai alors découvert d’autres énergies et, me suis soudain senti heureux. Heureux d’être vivant dans la lenteur et le silence. Ce fut un moment incroyable de ma vie, à la fois dans ma tête et dans mon être. »
L’art de l’instant
Rechargé, Vincent revient en France et pose ses valises en Alsace. Le ténor est bientôt contacté par le parc du Ballon des Vosges. Nous sommes en 2011. « Ils cherchaient à organiser des balades atypiques dans la vallée du Munster. Avec la Mission Voix Alsace, nous avons créé la première randonnée lyrique, se souvient-il. J’ai préparé un parcours avec cinq stations sensorielles. Et, sur la dernière, nous avons chanté des airs d’opéra. » C’est un succès, et une victoire : ses deux passions, la forêt et le chant, se conjuguent. Randolyric prend forme dans la foulée.
« Aujourd’hui, ces balades sont davantage un art de l’instant, je nous laisse plus de libertés, accorde Vincent, mais il y a systématiquement du chant. » Au sein des petits groupes qu’il emmène en forêt, la « sylvoixthérapie » est souvent bien accueillie. « Il arrive que certains n’adhèrent pas, note le guide vocal, en général, ils accompagnent un proche. Mais la plupart ressortent régénérés. J’ai aussi accompagné des ados atteints d’eczéma qui, au bout de deux jours de Randolyric, ressentaient beaucoup moins de démangeaisons. » Une expérience d’ailleurs présente dans le très beau film Des Racines au Chœur, réalisé par son ami Olivier Deparday.
Désormais, le chant ne le quitte plus. En témoigne sa récente performance à l’Opéra de Nantes, les 4 et 5 janvier derniers, pour deux soirées sur le thème des arbres. « Aujourd’hui, je n’accepte de chanter que lorsque je connais le metteur en scène et le chef d’orchestre. Le monde de l’opéra est aussi magnifique qu’impitoyable. Je ne veux plus qu’on essaye de tuer ma voix » , promet Vincent qui n’interprète désormais plus que trois à quatre rôles par an.
À lire aussi : Des DJs ont créé des centaines de morceaux à partir de samples de la nature enregistrés par Greenpeace
En mars prochain, Vincent quittera temporairement la scène et la forêt pour investir les librairies. L’homme de chœur publie Sylvothérapie à pleine voix, aux éditions Favre, pour raconter ses expériences et sensibiliser plus largement encore à cette expérience sensorielle. Une étape de plus dans le parcours de cet homme qui, à 54 ans, invite chacun à écouter ses rêves d’enfant pour trouver la direction de sa vie.
En savoir plus sur la Randolyric.