Jusqu’au 30 janvier, l’Académie du Climat de Paris accueille l’exposition photo itinérante « Saison 5, six mois de lutte et de répression » qui retrace les mobilisations des Soulèvements de la Terre de 2023 qui ont positionné le collectif comme figure incontournable des luttes écologistes. Un travail documentaire signé par le photographe émergent Regard Brut qui réaffirme avec force l’importance de la photographie dans les luttes. Rencontre.
Sur les murs de la Bulle, une petite salle accessible depuis la buvette de l’Académie du Climat, trois grandes bâches exposent une rétrospective en photos des temps forts de la saison 5 des Soulèvements de la Terre. Une trentaine de clichés qui retracent la diversité des mobilisations contre des projets destructeurs de l’environnement, partout sur le territoire.
Sainte-Soline d’abord. Les affrontements et les gaz d’une journée de mobilisation contre les méga-bassines marquée par une forte répression policière. Puis le mouvement qui s’égrène, comme une réaction épidermique face aux menaces de dissolution. Les soirées de soutien, la naissance de dizaines de collectifs locaux, les courses de bolides contre l’A69, la manifestation contre le projet ferroviaire Lyon-Turin… Chaque « acte » est raconté en quelques photos qui laissent transparaître l’esprit du collectif : « le vivant qui se défend », « ce n’est pas du sabotage, c’est du désarmement », « ce qui repousse partout ne peut être dissous ».
À lire aussi : Qui est Le Bruit qui Court, ce groupe d’artistes-activistes qui fait de l’écologie une œuvre collective ?
Derrière ce travail documentaire, on retrouve le photographe émergent Regard Brut. Après des travaux sur les conséquences du dérèglement climatique au nord du Kenya et sur les migrations en Europe, de Calais à Lesbos, il tourne désormais son objectif vers les mouvements écologistes. Avec le regard comme « arme pacifique du témoin », son travail part de cette indignation qu’il partage avec les militant·es et participe par l’image à proposer un récit plus personnel des luttes, un récit alternatif loin des accusations d’« éco-terrorisme ».
J’ai voulu montrer la spécificité de ce collectif en m’intéressant aux gestes qui sont au cœur de l’action
Comment as-tu construit cette exposition ?
Regard Brut : Cette saison 5 des Soulèvements de la Terre était particulièrement intéressante à documenter. En une année, on est passé d’un mouvement de notoriété limitée à un collectif qui a une place de premier plan sur la scène politique et médiatique avec plus d’une centaine de comités locaux partout sur le territoire.
J’ai voulu montrer la spécificité de ce collectif en m’intéressant aux gestes qui sont au cœur de l’action : débâcher une méga-bassine, arracher des plants de muguets, maçonner un mur sur l’autoroute contre l’A69… Ce sont des gestes qui n’ont pas uniquement une portée symbolique, il y a une volonté d’agir et de désarmer directement sur le terrain. Et tout ça se fait à partir d’une indignation, d’une énergie collective particulière et d’une vraie créativité qu’il faut mettre en avant.
Alors bien sûr, mes photos ne représentent pas la totalité de ce qu’il s’est passé. Sainte-Soline, c’était bien plus que des affrontements avec les forces de l’ordre, c’était un week-end entier avec des conférences, de la vie collective, des moments de fête… Mais j’ai choisi de montrer les choses de la manière dont je les ai vécues.
Et sur les autres actes, j’ai justement eu à cœur de donner à voir la diversité des moments et des émotions partagées : de la tension, de la joie collective, de la frustration, du soulagement aussi comme l’illustre la baignade dans un bassin en Savoie après la mobilisation contre le Lyon-Turin.
À l’heure où tout le monde peut prendre des photos sur son smartphone et que de nombreux·ses photographes de presse couvrent les mobilisations, qu’est-ce que tu souhaites apporter avec ton regard de photographe ?
Je pense que la photo est indispensable pour se réapproprier les faits et le récit des moments de lutte. C’est une manière de contrer la narration arrangée et arrangeante par et pour l’exécutif ou les médias mainstream. Cette exposition s’inscrit dans cette volonté puisqu’elle a été co-construite avec le comité Île-de-France des Soulèvements de la Terre.
La photo permet d’arrêter le mouvement, d’offrir une respiration
Je crois que mon travail a plus trait au documentaire qu’au photojournalisme car j’essaye de m’inscrire dans une logique de long-terme, de m’extraire de l’actualité chaude. Les clichés sont pris un à un, mais c’est en les mettant ensemble, en les sélectionnant et en les accompagnant de textes que j’espère apporter quelque chose de singulier, que je construis un récit.
En étant présent à tous les actes des Soulèvements, j’ai pu documenter ces mobilisations toutes différentes les unes des autres à travers un seul et même regard : le mien. Pour moi, être photographe aujourd’hui, ça n’est plus seulement savoir prendre des images mais bien être capable de les mettre en cohérence dans une perspective de narration.
À lire aussi : Blocage de l’AG de TotalÉnergies : « Le contraste entre la danse et les gaz est flagrant »
Je ne crois pas à l’objectivité ou à la neutralité. Je prends tout à fait partie et il y a un vrai travail éditorial dans mon travail. C’est ce que permet la photo, qui, à mon sens, a une force particulière par rapport à la vidéo. Elle permet d’arrêter le mouvement, d’offrir une respiration et l’opportunité de contempler les détails.
Quelle posture adoptes-tu sur le terrain ? Qu’est-ce qu’il y a de singulier dans le travail de photographe au cœur des luttes ?
Je me mets souvent au milieu de la foule, au cœur de l’action pour adopter le point de vue des militant·es. J’essaye de savoir en permanence ce qui est en train de se passer et d’être au bon endroit au bon moment.
Il est aussi très important pour moi de nouer des liens de confiance avec les militant·es, souvent méfiant.es, à raison, des appareils photos. Dans les contextes de lutte, une image peut vite se retourner contre eux/elles et leur apporter des problèmes. J’essaye donc toujours d’obtenir leur accord, par respect du consentement, mais aussi pour changer l’image des journalistes et photographes, écornée par celles et ceux qui ont une pratique extractiviste de leur métier.
L’appareil photo est surtout un beau prétexte pour m’engager, vivre des choses, être là où j’ai envie d’être
Mais c’est surtout le rapport aux forces de l’ordre qui est très particulier. Je vois déjà à Paris la répression violente des mouvements sociaux mais dans le cas des mobilisations des Soulèvements, c’est encore plus fort. Elles se déroulent souvent dans des contextes ruraux, donc moins exposées au regard, et les activistes sont pointés du doigt comme des criminels par le gouvernement. C’est la porte ouverte à une grande violence des forces de l’ordre.
À Sainte-Soline, on m’a tiré dessus au flashball alors que j’étais isolé sur le côté, avec un brassard fluo, un casque siglé presse et l’appareil photo à l’œil. Rien ne justifiait le tir. Tout ça influence forcément le travail de photographe. Ça explique aussi partiellement mon choix de l’anonymat qui est une façon de me protéger.
Et personnellement, quel regard portes-tu sur cette année aux côtés des Soulèvements ?
Regard Brut : Dans l’ensemble, je considère ce mouvement comme particulièrement inspirant dans le paysage de l’activisme écologiste et social actuel étant donné le discours qui est le sien et le répertoire d’actions auquel il a recours. D’où ce projet qui est une manière de m’engager, d’allier mes convictions avec ce que j’aime faire : de la photo. J’estime que j’effectue un travail militant puisque je mets mes photos à disposition du mouvement, mais l’appareil photo est aussi un beau prétexte pour vivre des choses, être là où j’ai envie d’être, tout en donnant du sens à ma présence.
L’exposition « Saison 5, six mois de lutte et de répression » est exposée à la buvette de l’Académie du Climat (Paris 4) jusqu’au 30 janvier 2024, avant de poursuivre son itinérance dans d’autres lieux. Rendez-vous sur la page Instagram Regard Brut pour plus d’informations.