Le mouvement On Est Prêt lance une campagne de mobilisation intitulée « Tu flippes ? », dédiée à l’éco-anxiété. À travers une newsletter quotidienne, il propose aux citoyen·nes des conseils, des témoignages et des actions concrètes pour « prendre soin de soi en prenant soin du monde ». Discussion avec Magali Payen, militante, productrice et fondatrice d’On Est Prêt.
Écoanxiété. Derrière ce néologisme récemment entré dans le Larousse et le Robert, on retrouve la tristesse, la peur, l’impuissance et la colère qui gagnent les citoyen·nes informé·es de l’urgence écologique. Un phénomène qui concerne près des trois quarts des Français·es selon une étude menée par l’Observatoire de l’éco-anxiété (OBSECA). Face à ce constat, On Est Prêt souhaite replacer les émotions et le soin au cœur de l’engagement écologique.
Fort de son expérience autour de l’Affaire du Siècle, le mouvement citoyen s’est associé avec des personnalités, des chercheurs et des organisations pour une campagne de mobilisation incitant les citoyen·nes à « prendre soin de soi en prenant soin du monde ». L’opération a débuté par un test permettant à chacun·e de mesurer son niveau d’éco-anxiété. Puis chaque jour, jusqu’au 4 juin, les inscrit·es reçoivent un mail incarné par une personnalité (l’humoriste Nicolas Meyrieux, la youtubeuse Natoo, l’actrice Lucie Lucas…), contenant des propositions d’actions, des conseils et des témoignages pour apprendre à gérer les émotions liées à l’urgence écologique. En parallèle, une étude destinée à « comprendre plus finement les rouages de l’éco-anxiété et son évolution sur une période de plusieurs mois » a été initiée par On Est Prêt et l’OBSECA.
Au cœur de cette campagne, on retrouve l’approche de mobilisation citoyenne portée de longue date par Magali Payen, fondatrice d’On Est Prêt. Pour cette entrepreneure militante, l’objectif principal est de transmettre des messages forts à des publics toujours plus larges. Cela passe par les réseaux sociaux, l’engagement de personnalités publiques, mais aussi et surtout par l’art et la culture. Avec ses sociétés de production Imagine 2050 et Newtopia, elle souhaite s’appuyer sur la création artistique pour porter de « nouveaux récits », autrement dit « métamorphoser la culture pour en faire une alliée de la transition écologique ».
Pourquoi On Est Prêt a choisi l’éco-anxiété et les émotions liées à la crise écologique comme thème de cette grande campagne de sensibilisation ?
Magali Payen : On a voulu parler des émotions parce que ce sont elles qui sont à l’origine de l’action et de la mobilisation des citoyen·nes. Nous sommes davantage des êtres de sensibilité que de raison. Et la première émotion face à la catastrophe écologique, c’est souvent la peur. Il est important de prêter attention à cette peur, comme une bonne conseillère qui nous alerte sur des menaces, un mécanisme de survie même. Mais il ne faut pas la laisser déborder, car elle peut se transformer en déni, en panique ou en angoisse qui nous paralysent et nous rendent manipulables.
Il est important de garder la peur comme une bonne conseillère qui alerte sur les menaces
C’est tout l’enjeu de la campagne « Tu flippes ? » : affirmer qu’il est normal de flipper face à la gravité de la situation et l’inaction des décideurs. C’est même l’inverse qui est inquiétant. Le terme éco-anxiété est mal trouvé parce que médicalement, l’anxiété, c’est une peur qui n’a pas de cause. Or dans ce cas, la menace est bien réelle et il faut beaucoup de courage pour la regarder en face. C’est pour ça que nous préférons utiliser les termes d’éco-conscience ou d’éco-lucidité qui supposent qu’il est possible de réguler la peur, d’en faire une alliée pour agir.
Face à la catastrophe écologique, nos émotions intimes deviennent politiques. La peur, la colère ou l’angoisse sont des émotions collectives, elles concernent 75% des Français·es, ce n’est pas un phénomène minoritaire. Alors on veut ouvrir la parole pour ne laisser personne seul·e face à ces enjeux.
Comment utiliser ces émotions pour mobiliser les citoyen·nes ?
Magali Payen : Avec cette campagne, On Est Prêt propose d’accompagner les citoyen·nes à travers des espaces de témoignages et des propositions d’actions individuelles ou collectives. Le tout pour permettre à chacun·e de mieux vivre son éco-anxiété. Cela peut passer par des changements dans son mode de vie, par des actions de désobéissance civile ou par des ateliers dédiés à imaginer un monde désirable.
Face à la catastrophe écologique, nos émotions intimes deviennent politiques
Et parfois l’action, c’est aussi simplement faire une pause, se régénérer, ralentir. Face à l’urgence de la situation, il y a une tentation de se plonger corps et âme dans la lutte, mais c’est prendre le risque de s’épuiser, d’atteindre rapidement le burn-out militant. C’est pour cela qu’on explore beaucoup l’action « juste pour soi », pour arriver à trouver un équilibre dans son engagement.
Il faut aussi prendre en compte que chaque mode d’action fait appel à des sentiments différents. Dans les luttes contre l’ancien monde, on retrouve une énergie guerrière, de la colère et de l’indignation. Tandis que la création d’alternatives fait davantage appel à l’imaginaire ou à l’enthousiasme. Dans tous les cas, il nous semble très important de renouer avec l’énergie de joie qui apporte de la lucidité, de la puissance d’agir et nous fait tenir sur le long terme.
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Quelle place occupe l’art dans l’engagement écologique ?
Magali Payen : On Est Prêt essaye de coordonner les « sachant·es » (scientifiques, expert·es, lanceur·euses d’alertes…), les artistes et les « faiseur·euses », celles et ceux qui agissent. Dans ce trio, les artistes sont des figures centrales parce que ce sont des haut-parleurs très puissants, ce sont les seul·es capables d’émouvoir des millions de personnes et de porter des utopies lucides à grande échelle. Après un film bouleversant, on peut avoir une énorme envie d’agir qu’on n’aura jamais en lisant un rapport du GIEC.
C’est ce qui a mené à la création d’Imagine 2050, une société de production à impact, pour mobiliser à travers l’art et le sensible. Nous avons par exemple produit une vidéo pour mettre en valeur un texte d’alerte de l’écrivaine Fred Vargas, interprété remarquablement par l’actrice Charlotte Gainsbourg. Il y a aussi un grand enjeu à accompagner les artistes à se sentir légitimes pour prendre la parole, les pousser à partir des discours scientifiques, des alternatives et surtout des limites planétaires pour créer leurs œuvres.
Pour en savoir plus sur la campagne « Tu flippes ? » et s’inscrire à la newsletter quotidienne (diffusée jusqu’au 4 juin), c’est par ici.