Les deux frères de MAB sont partis en pleine forêt enregistrer des sons à sampler pour leurs créations. Une aventure qui s’inscrit dans un engagement écologique de longue date, toujours porté à partir de leur passion pour la musique. Rencontre à l’occasion de la sortie de leur dernier EP Très très fort.
Au printemps dernier, le duo MAB a quitté Paris quelques jours pour une expédition un peu particulière dans les Alpes. Accompagnés de la pisteuse et photographe Sandra Bérénice Michel (plus connue sous le nom d’Atmosphère Sauvage), Gabriel et Hadrien ont parcouru les forêts de conifères armés de micros pour glaner des sons naturels à intégrer dans leur musique.
Après plusieurs jours à découvrir les bases du pistage, à s’étonner du son d’une souche creuse, à s’agacer du son incessant des avions, à glisser dans la neige et même à bivouaquer pour enregistrer le chant du tétras-lyre, MAB est rentré à Paris pour composer Viens on danse un slow, un morceau né de cette aventure unique. Le tout est raconté dans le beau documentaire Pistage de son (accessible ici), réalisé par letriplesept et produit par l’association On Est Prêt et Perrineam Agency.
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Ce pas de côté prend tout son sens quand on jette un coup d’œil à la carrière des deux frères. On avait découvert leur pop colorée au moment des marches climat, avec la sortie de l’entêtant Clap Clap. « La Terre clamse, clamse. Et nous avec. Viens, on les dérange un peu » scandaient-ils à l’époque. Leurs textes naviguent entre l’intime et le collectif, donnant à voir – et à entendre – deux vingtenaires les deux pieds dans leur époque.
Cet automne, ils sortent l’EP Très très fort, en réponse au précédent Il suffit d’y croire mais…, qui garde une identité pop tout en renouant avec « ce qu’on écoutait quand on a commencé la musique, une énergie plutôt rock et beaucoup d’instruments enregistrés live ». Et en tendant bien l’oreille, on peut entendre des samples de la forêt se promener dans les morceaux. Rencontre.
Comment c’était de se retrouver au milieu de la forêt avec Sandra, à « pister des sons » ?
Gabriel : À la base, le projet était simplement de nous trimballer dans les montagnes avec une pisteuse animalière pour nous faire découvrir un bel espace naturel et raconter comment on le vivait. Mais on s’est dit qu’il était plus fort de nous concentrer sur le son. C’est une porte d’entrée intéressante pour nous, en tant que musiciens, et qui est souvent sous-cotée quand on évoque la beauté et la fragilité du vivant. Les paysages sonores ne sont pas souvent commentés et mis en avant.
Hadrien : Et puis on est un peu hyperactifs, il fallait donner quelque chose à faire pour nous occuper. On avait déjà entendu parler du projet de Molécule qui est allé enregistrer sur la banquise, ça nous parlait beaucoup.
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« On met en avant une proposition d’habiter le monde poétiquement, à voir la beauté dans les choses sans se demander : à quoi ça sert ? »
Mais avant d’enregistrer les sons, il a d’abord fallu qu’on les entende. On a appris à se concentrer pour les reconnaître, les apprécier, les dissocier les uns des autres. Sinon on n’entend qu’un vague brouhaha. C’est un exercice particulier qu’on ne fait jamais dans notre quotidien. Sandra nous a aussi appris à être silencieux. C’était très agréable de passer beaucoup de temps sans parler, ou à chuchoter pour ne pas déranger une sorte d’équilibre musical déjà en place.
Gabriel : Ce qui me plaît beaucoup dans ce documentaire, c’est que l’aspect « il faut protéger la nature » ne prend pas beaucoup de place. On met plutôt en avant une proposition d’habiter le monde poétiquement, d’apprendre à écouter, à remarquer les choses qui sortent de l’ordinaire, à voir la beauté sans se demander « à quoi ça sert ? ». Et c’est pour moi une des capacités principales d’un·e musicien·ne : savoir faire le vide pour ensuite exprimer quelque chose de puissant.
Donc au-delà d’une simple escapade en montagne, ça a vraiment influencé votre identité musicale ?
Gabriel : Oui complètement. On a un dossier « pistage de son » et quand on n’arrive pas à faire ce qu’on veut avec nos samples classiques, on pioche dedans. Ça nous permet d’apporter le petit détail qui fait que ça sonne autrement, qu’il y a un point d’interrogation dans la couleur sonore. On s’en sert assez souvent.
Hadrien : Je l’utilise pour ajouter de l’inconnu, sortir de ce qu’on sait déjà faire, me surprendre moi-même. C’est très utile dans les moments où je sais que ce que je vais composer risque de m’ennuyer. Ça crée un univers sonore hyper vivant, avec beaucoup de texture, et on s’éloigne des compos très aseptisées et carré qu’on a pu faire sur de la musique électronique. Il y a des sons qui n’apparaissent qu’une fois, et qui ne réapparaissent nulle part ailleurs. C’est peut-être un truc qui ne fait marrer que moi, mais j’adore aussi me dire que notre musique contient des séquences de vie, des ruisseaux, des oiseaux.
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Gabriel : Cette démarche nous a aussi aidé à se sentir légitime à enregistrer des sons dans la vie de tous les jours. On a réalisé que ce n’est pas parce que ça ne vient pas d’un instrument à 1 000 euros qu’on ne peut pas en faire un son cool à exploiter en musique. C’est hyper stimulant pour la créativité ce côté expérimental.
« En mettant en avant la beauté sonore d’un espace naturel, on espère porter une image différente de l’écologie »
C’était aussi une manière de porter vos convictions écologiques d’une manière singulière, qui correspondait à vos sensibilités d’artistes ?
Gabriel : En mettant en avant la beauté sonore d’un espace naturel, on espère porter une image différente de l’écologie. Montrer que ce n’est pas forcément une contrainte, un truc chiant, mais que ça peut être quelque chose de beau, qui offre la possibilité de tisser un lien personnel avec le vivant. C’est complémentaire avec le travail d’information scientifique très bien mené par les militant·es. On part vraiment d’une émotion, d’une sensation pour mobiliser les gens.
Hadrien : Cette approche fait plus sens pour nous, en tant qu’artistes. Les personnes qui vont vers l’art veulent se faire du bien, se laisser toucher, se changer les idées, et sont particulièrement ouvertes à des idées nouvelles. Mais si elles ont l’impression qu’on leur propose un fascicule, une mauvaise nouvelle, elles se referment, rebroussent immédiatement chemin.
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Vous étiez censés composer un morceau à partir de votre expérience dans la forêt. Mais au moment de l’écrire, vous avez choisi de ne pas parler d’écologie parce que vous aviez plutôt la tête à parler d’amour. Ça illustre bien le fait que la création artistique et l’inspiration ne peuvent être mises au service d’un message politique.
Gabriel : Je me rappelle très bien le moment où on était au studio tous les deux à écouter le morceau qu’on avait écrit dans les montagnes, quelque chose de très engagé en mode « le monde va mal ». À ce moment, je viens de rompre avec ma copine, et je réalise que ce que j’entend ne me touche pas du tout. Je n’avais pas la tête à ça. Mais on s’était engagés dans le projet, l’idée nous plaisait beaucoup, alors je me disais qu’il fallait dérouler le plan. C’est Hadrien qui m’a dit : « si t’aimes pas, mets à la poubelle et on repart ».
« L’écologie fait partie de ce qui nous tracasse, nous inquiète, nous motive, nous énerve, alors on en parle à travers ces émotions »
Hadrien : Je lui ai conseillé de se replonger dans le mood qui l’habitait quand on était en montagne, remué à la fois par cette rupture en cours et par l’expérience unique qu’on était en train de vivre.
Gabriel : Le premier morceau était très loin d’être nul, mais je n’avais pas ce rapport intense et viscéral que tu peux avoir avec un morceau auquel tu crois complètement, qui matérialise quelque chose d’intime. C’est ça qui est intéressant, on n’écrit pas de morceaux pour « faire passer un message ».
Hadrien : Ça, on l’a fait quand on avait 18 ans, quand on était des ados énervés dans notre chambre, à regarder des vidéos des concerts de Rage Against The Machine. Mais c’est complètement indigeste, presque énervant. On s’est rendu compte qu’il était bien plus puissant et intéressant de parler de ce qui nous touchait. L’écologie fait partie de ce qui nous tracasse, nous inquiète, nous motive, nous énerve, elle draine un peu toutes ces émotions. Alors on en parle à travers ces émotions, de la même manière qu’on écrit sur une rencontre amoureuse, ou une rupture douloureuse.
Quelle place occupent vos convictions écologiques dans vos choix de carrière ?
Hadrien : Ce qui nous motive, c’est d’imaginer qu’on fait partie d’une nouvelle génération d’artistes qui a conscience de l’urgence climatique, qui cherche des nouvelles manières de faire des tournées et qui échange avec son public autour de ces enjeux.
« Il est beaucoup plus facile d’être écolo quand tu es encore petit dans l’industrie musicale »
Mais il faut aussi reconnaître qu’il est beaucoup plus facile d’être écolo quand tu es encore petit dans l’industrie musicale. Une fois que tu commences à percer, ta conscience écologique se heurte à ton envie de réaliser tes rêves d’enfant, aux personnes qui travaillent dur autour de toi pour faire vivre le projet. De vrais dilemmes apparaissent. Est-ce qu’il faut refuser les dates à l’étranger ? Est-ce qu’on place le projet artistique avant tout ?
Mais c’est pour ça aussi que les gros artistes ont un rôle à jouer. Ils définissent ce qui symbolise la réussite. Nous on a grandi avec les Guns N’ Roses qui jouaient dans les stades du monde entier, ça prend du temps de se défaire de cet imaginaire-là.
Gabriel : Je pense que les moyens avec lesquels on va développer notre carrière n’existent pas encore. Toute l’industrie de la musique doit être transformée, en créant de nouveaux canaux, de nouveaux modes de production. On essaye de se détacher de nos rêves d’artistes préconçus pour faire les choses à notre manière, tracer un chemin singulier en multipliant les expériences, les engagements. À la Frank Sinatra, I did it my way.