Cet article est réalisé dans le cadre du festival Green Orizonte, organisé sur le territoire Calvi-Balagne du 20 au 22 octobre prochain et dédié aux initiatives du développement et tourisme durables en Corse. Au programme : balades apprenantes et sportives, concerts, ateliers, spectacles et conférences organisées en partenariat avec Pioche!.
Comment approvisionner en énergie une île de plus de 339 000 habitant·es au beau milieu de la Méditerranée tout en garantissant son autonomie ? C’est le défi de taille qui se pose en Corse, trop éloignée géographiquement de la France pour se raccorder à son réseau électrique. Ajoutons à cela les difficultés d’un espace restreint, où les variations de consommation se font davantage sentir et où l’installation de centrales nucléaires, trop puissantes pour cette surface, n’est pas une option.
De fait, la population corse a toujours fait face à des besoins bien spécifiques pour son approvisionnement en énergie. Une réflexion qui se double aujourd’hui d’enjeux environnementaux cruciaux, la Corse étant aux premières loges du dérèglement climatique. À l’été 2023, l’île a connu des périodes de sécheresse exceptionnelles, de nombreux incendies, et la canicule la plus longue observée dans la région à la fin du mois d’août.
À lire aussi : À Calvi, le festival Green Orizonte célèbre l’écologie sur l’île de Beauté
C’est dans ce contexte que la population corse a su se montrer à la pointe des innovations en termes d’énergie. Un défi collectif relevé à l’échelle locale, par exemple dans le petit village de Cozzano. Depuis une vingtaine d’années, la commune de Corse-du-Sud a développé une chaufferie biomasse, des micro-centrales hydroélectriques, des panneaux solaires sur les toits des logements sociaux… En 2017, la mairie a même entamé une expérimentation avec des chercheur·euses de l’Université de Corse et du CNRS pour optimiser la gestion de l’énergie des activités agricoles, grâce à des réseaux de collectes de données passant par des capteurs posés sur le bétail ou sur le sol des cultures. Avant-gardiste.
Objectif : l’autonomie énergétique
À l’heure actuelle, l’électricité corse provient à 36% de centrales thermiques, à 30% de câbles d’interconnexion reliés à l’Italie et à 34% d’énergies renouvelables, parmi lesquelles 23% de barrages hydrauliques et 11% de photovoltaïque. Avec dernière la Programmation pluriannuelle de l’énergie, votée en 2018, la région s’est dotée d’objectifs ambitieux, visant l’autonomie énergétique et le 100% de renouvelables d’ici 2050. « Pour cela, nous avons deux leviers d’action. Les deux tiers des efforts doivent mener à une maîtrise de la demande en énergie, en contrôlant aussi bien la mobilité, les processus industriels et l’isolation des bâtiments. Un tiers des efforts se concentre dans le développement des énergies renouvelables », explique Mélissa Leoni, chargée de mission Énergies renouvelables citoyennes au sein de la Collectivité de Corse.
À lire aussi : Suncycling Odyssey : elle fait 9 000 km en vélo solaire pour mobiliser à la transition énergétique
La Programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit des programmes de financement de rénovation des bâtiments individuels, des financements pour acquérir un chauffe-eau solaire, le financement d’études d’audit énergétiques, des appels à projet pour réviser l’éclairage public des communes, des aides pour des installations solaires thermiques chez des particuliers, et un appel à projet pour des études de faisabilité pour l’installation de micro-centrales hydroélectriques dans des communes proches de cours d’eau, ainsi qu’un dispositif permettant aux entreprises et aux collectivités d’accompagner les professionnel·les dans la connaissance des enjeux énergétiques.
Pionnier du solaire
Parmi les solutions innovantes autour des énergies renouvelables, la Corse s’est surtout concentrée sur le solaire. Dans la région, l’éolien est moins accepté par la population et moins intéressant, du fait de la trop grande irrégularité du vent. Dans les années 1980, beaucoup de start-up se sont spécialisées dans le domaine des installations solaires, un marché devenu important et très concurrentiel. Parmi les pionnières en la matière, on compte Soleco, entreprise créée en 1982 et spécialisée dans l’installation de panneaux photovoltaïques chez les particuliers et les professionnel·les.
Les premières installations solaires étaient vues comme moches, chères et dysfonctionnelles
« À cette époque, il n’y avait rien en termes de solaire en Corse. L’image de cette énergie était très négative. De premières installations avaient été faites après le choc pétrolier de 1973, mais c’était vu comme moche, cher et dysfonctionnel. Cette perception a beaucoup changé aujourd’hui », se souvient Georges Guironnet, créateur de Soleco et membre de l’association Négawatt. « Nous avons commencé à installer des panneaux solaires chez des particuliers, et quand les chef·fes d’entreprise ont constaté que ça marchait, ils ont fait confiance pour des installations de plus grande ampleur », relate l’entrepreneur.
Le solaire est le mode de production d’électricité le plus pertinent en Corse, le moins coûteux et le plus disponible
Depuis que l’énergie solaire est raccordée au réseau, en 2005, le solaire a pris en importance. Georges Guironnet voit cette énergie comme « le mode de production d’électricité le plus pertinent en Corse, le moins coûteux et le plus disponible ». Pour lui, l’avenir passera par des réseaux de production d’énergie solaire locaux, maillés entre eux, permettant de transporter l’énergie le moins possible.
Pour pouvoir utiliser les renouvelables de façon massive, un enjeu reste primordial : maîtriser le stockage. Pour Gilles Notton, maître de conférence à l’Université de Corse et spécialiste du domaine des énergies renouvelables, c’est même le nerf de la guerre : « Plus on construira de centrales solaires, plus on sera confronté à ce problème », insiste-t-il. Et pour cause : le solaire, comme l’éolien, est une énergie intermittente et incontrôlable, puisqu’il découle de la disponibilité d’éléments naturels. « La question est d’autant plus complexe sur une île où l’on ne peut pas faire d’échange d’énergie avec nos voisin·es. On doit maintenir un équilibre en permanence », ajoute le chercheur.
En Corse, il n’existe pas encore de moyen de stockage de l’énergie généralisé, même si plusieurs solutions se développent à travers le monde, à des stades plus ou moins avancés. Au sein du laboratoire Sciences pour l’environnement de l’Université de Corse, l’équipe de Gilles Notton cherche à anticiper la quantité d’électricité qui va être produite, à quelques heures ou quelques dizaines de minutes près, grâce à des méthodes statistiques ou d’intelligence artificielle couplées avec des images satellites. Un travail nécessaire pour pouvoir « utiliser ces énergies massivement », d’après le chercheur.
Inspirer le reste du monde
Les idées neuves viennent aussi beaucoup du privé, avec des entreprises comme Stepsol, qui a mis au point un système d’installations solaires couplées à un stockage hydraulique, capable de fournir une énergie décarbonée de jour comme de nuit. Le concept ? Coupler une solution de station transfert d’énergie par pompage, fonctionnant avec deux bassins installés à différentes altitudes, avec des panneaux photovoltaïques, permettant d’optimiser le système global et de stocker de l’énergie pendant plusieurs heures. « C’est une solution alternative aux batteries au lithium, plus durable, puisque la production n’utilise pas de terres rares », note Didier Pierrat, le fondateur de Stepsol. Une solution particulièrement adaptée aux régions montagneuses de la Corse, puisqu’elle nécessite d’avoir des terrains en pente. Une première installation expérimentale a été déployée au sein de l’Université de Corse.
À lire aussi : Avec ses sound-systems autonomes, Pikip met les rayons du soleil au service de la fête
Pour Didier Pierrat, la Corse est déjà « pionnière » des innovations énergétiques : « On a des chercheur·euses qui travaillent dessus, l’indépendance énergétique est un sujet de préoccupation local, du fait des contraintes particulières. Il y a des réponses insulaires à apporter à ces enjeux mondiaux ». La preuve que les innovations corses peuvent inspirer dans le monde entier ? Au mois de septembre, une installation Stepsol doit d’ailleurs traverser l’Atlantique pour être déployée en Colombie, à Timbiqui, commune indigène de 600 habitant·es au bord du Pacifique. Jusqu’ici, les villageois n’avaient accès à l’électricité que 2 heures par jour, grâce à un groupe électrogène. La nouvelle installation leur permettra d’allumer la lumière, de se chauffer et d’utiliser leurs appareils électriques 24 heures sur 24.
Pour mener plus loin les réflexions sur les enjeux environnementaux en Corse, retrouvez l’ensemble de la programmation du festival Green Orizonte ici.