À 24 ans, après de hautes études en Économie du développement, Émile Bourdonnais s’est orienté vers une autre carrière professionnelle. Alors qu’il venait à peine de décrocher son Master, le Breton part en quête d’une activité plus concrète. En se tournant vers la réparation de vélos, Émile s’est trouvé un métier-passion. Depuis décembre 2020, le jeune homme sillonne les routes de sa région au volant de son camion-atelier Happy Cyclette.
« Choisissez les bonnes études qui vous mèneront vers un métier ! » Cette phrase, devenue récurrente dans la bouche des enseignants et des conseillers d’orientation, met parfois la pression aux lycéens. Cette décision que chaque élève de terminale doit prendre en fin de parcours semble si déterminante. Et pourtant, certains itinéraires peuvent prouver l’inverse. C’est le cas d’Émile Bourdonnais : après cinq ans de hautes études supérieures le menant à un Master en Économie du développement, ce Breton est devenu réparateur cycles.
« Tête dans le guidon ! »
« Au moment de choisir mes études, j’avais la tête dans le guidon, se souvient-il. Assez bon élève, j’ai logiquement intégré une classe préparatoire à l’École Normale Supérieure à Rennes sans forcément me poser la question si ça me plaisait… » En 2014, il démarre ce cursus d’étude demandant beaucoup de travail et une grande implication. Son choix n’est tout de même pas si anodin puisque le garçon développe une affinité particulière pour l’économie. Il gravit les échelons jusqu’au Master. « Je suivais le cours de mes études sans trop savoir où ça allait me mener. À aucun moment, j’avais une idée de métier. Je suivais le flux sans me questionner sur mon avenir professionnel », confie le jeune homme de 24 ans.
« Mon premier vélo »
En 2019, l’étudiant effectue son stage de Master 2 dans un laboratoire de recherche en économie agricole à Montpellier. Parallèlement, dans sa vie sportive, passe progressivement de la course à pied au vélo. « J’enchainais les blessures alors j’ai acheté mon premier vélo avec ma paye de stagiaire », détaille-t-il. Intéressé par la petite reine depuis son enfance, Émile n’avait jamais réellement pratiqué ce sport à fond.
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En passant le pied à l’étrier, il prend un plaisir monstre sur les routes autour de Montpellier. « Je me sens hyper vivant sur un vélo. C’est une vraie monture. Tu es le moteur mais aussi la direction », décrit-il. Jusqu’au jour où, à la suite d’une mauvaise chute, il abîme sérieusement son destrier. Il se rend alors Au bon vélo, un shop à proximité du centre-ville tenu par des jeunes passionnés. L’esprit du magasin suscite sa curiosité. « Je me suis senti concerné par la réparation alors je leur ai demandé des conseils techniques et mécaniques », se souvient Émile.
« J’avais l’impression que ce que je faisais ne m’apportait rien. »
Soucieux d’aller « au bout du diplôme », l’étudiant boucle son Master 2 en Économie du développement, même si « l’aspect concret » lui manque. « J’avais l’impression que ce que je faisais ne m’apportait rien », explique-t-il. Cette perte de motivation le pousse même à partir travailler durant une saison en station de ski aux Deux Alpes avant quoi il prend le temps de retaper un vélo entièrement. « Je ne voulais pas me professionnaliser dans mon domaine d’étude », ajoute Émile qui, davantage attiré par le sport, s’accorde un temps de réflexion. Dès son retour en Bretagne après la saison hivernale, il travaille en maraîchage à Hillion (Côtes-d’Armor), la commune de ses parents. Chaque jour, il pédale jusqu’à son lieu de travail. Le confinement aidant, il se rend compte à quel point ce moyen de transport à deux-roues l’intéresse énormément.
Bidouilles de garage
« Un responsable de magasin m’a remis en place : mon projet n’était pas assez clair. »
C’est décidé ! Après avoir honoré son contrat en maraîchage, le Breton part à la recherche d’un poste de réparateur cycle. Sans aucune formation, il décroche plusieurs entretiens et même un essai dans un premier shop à Rennes. « Avant d’y aller, je me suis mis une petite pression. Je suis même allé chercher des vélos à Emmaüs pour les bidouiller. Malgré tout, je n’ai pas été pris mais ce n’est sans regret car je n’étais pas prêt, reconnaît-il. Dans un second magasin, le responsable, ne souhaitant pas retenir ma candidature, m’a remis en place. Selon lui, mon projet n’était pas assez clair. »
Démarrent alors des recherches de formations avec Pôle emploi pour le jeune homme de 24 ans qui, en attendant, continue de démonter et remonter ses propres vélos dans le garage de ses parents. Au fil des jours, son projet mûrit et plusieurs amis lui parlent d’Happy Cyclette, une entreprise de réparation de vélos à domicile. « Aussitôt je leur ai envoyé un message et une lettre de motivation très personnelle. En la publiant également sur LinkedIn, j’ai reçu de bons retours », confie-t-il.
À travers cet écrit, Émile se présente par rapport au vélo. Un témoignage sincère qui touche Ronan Pressard, un des associés à la tête de Happy Cyclette, qui lui propose un essai, puis un CDD. « Je n’ai même pas eu besoin de me vendre. Ils ont tout de suite compris ma lettre. Tout s’est enclenché rapidement. En octobre, j’ai démarré une formation au sein même de la boîte. En décembre, ils m’ont embauché », retrace le réparateur vélo.
« Esthétique et militant »
Émile parcourt désormais les routes d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-d’Armor au volant de son camion-atelier Happy Cyclette. Présents dans toute la Bretagne, les réparateurs Happy Cyclette se déplacent à domicile pour réparer les vélos des particuliers. Un concept qui s’est révélé très utile pendant les périodes de confinement.
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Et quand on demande à Émile si toutes ces années d’étude lui ont été utiles pour en arriver là, il ne perd pas les pédales et répond qu’elles l’ont même aidé à s’émanciper. « Au quotidien, l’organisation et la rigueur acquises au cours de mes études me sont toujours bénéfiques. » Par ailleurs, sa qualité rédactionnelle, développée lors des nombreuses épreuves de dissertation, s’est révélée toute aussi déterminante au moment de rédiger sa fameuse lettre de motivation.
« Je fais en sorte que les pièces défectueuses ne finissent pas dans la benne. »
Aujourd’hui, Émile vit de sa passion. « Quand je rentre chez moi, je continue de bosser sur mes propres vélos, s’amuse-t-il. Je suis tout autant sensible à l’aspect esthétique de l’objet que le côté militant du moyen de transport propre qu’il représente. » Il arrive même à retrouver des aspects liés à ses études dans sa nouvelle activité. « Chez Happy Cyclette, ils sont ouverts aux initiatives personnelles. Je suis chargé de la partie recyclage et je fais en sorte que les pièces défectueuses, chambre à air, pneu ou autre, ne finissent pas dans la benne », explique Émile.
Un processus qu’il applique également sur ses propres créations. Il vient d’achever le montage de son premier vélo de route, pièce par pièce. « Même si je roule de manière sportive, je n’ai pas besoin du dérailleur dernier cri. J’utilise au maximum des pièces de seconde main, explique celui qui voit dans le vélo un aspect militant primordial. J’effectue la plupart de mes trajets en vélo ! » La méthode se révèle aussi économique pour le jeune homme qui n’emprunte que très rarement la voiture. Le parcours universitaire d’Émile trouve un certain écho dans ses revendications actuelles. Après cette fameuse chute de vélo déclic, le garçon retombe finalement sur ses pieds !