Cette année, Terres du Son lance une grande étude sur l’impact de la sensibilisation à l’écologie dans les festivals. En observant et en partant à la rencontre des publics du festival tourangeau, le chercheur Nicolas Fieulaine réfléchit à des solutions concrètes permettant d’encourager l’engagement des citoyen·nes au-delà de la fête, pour s’assurer que les festivals deviennent (vraiment) les laboratoires du monde de demain.
Article en partenariat avec Terres du Son.
Cet été encore, les initiatives éco-responsables se sont multipliées dans les festivals. Mobilités douces, alimentation locale, énergies renouvelables, scènes éco-conçues… Les organisateur·ices identifient les principales sources de pollution et apprennent progressivement à faire autrement, plaçant la sobriété et le circuit court comme horizon.
D’autres festivals vont plus loin et expérimentent des manières de sensibiliser le public aux enjeux écologiques. C’est le cas de Terres du Son, à Tours. Depuis plus de 15 ans, l’évènement porte une attention particulière aux valeurs transmises et s’interroge sur sa place au sein des transitions en cours. Lors de l’édition 2023, une riche programmation de conférences et d’ateliers ludiques, ainsi qu’un village d’associations engagées, amenaient l’urgence écologique et sociale au cœur de la fête.
Les festivals sont des lieux de récit uniques
Pourtant, si les initiatives destinées à réduire l’empreinte environnementale sont régulièrement mesurées à travers des bilans carbone, l’impact des actions de sensibilisation apparaît plus difficile à quantifier. « Est-ce que ça parle réellement aux gens ? Qu’est-ce qui reste une fois le festival terminé ? » s’interroge Julien Macou, chef de projet développement durable à Terres du Son.
Pour répondre à ces questions, Terres du Son et l’ADEME ont fait appel à Nicolas Fieulaine, chercheur en psychologie sociale. Avec son équipe, il s’est rendu à Tours cet été pour discuter avec les festivalier·es, les artistes, les équipes techniques, les bénévoles, et étudier de près leurs comportements. Dès l’année prochaine, et pendant trois éditions, ces observations seront converties en expérimentations concrètes orientées vers un seul objectif : mettre la puissance artistique, émotionnelle et collective d’un festival au service de la sensibilisation et de l’engagement.
Comment est née cette collaboration inédite ?
Julien Macou : Terres du Son est un festival engagé depuis sa création, on a toujours travaillé avec des associations et on essaye toujours d’avoir un impact positif sur la société. Mais pour rester pertinent, il faut réinterroger régulièrement notre projet, et cette fois-ci nous pensons qu’il est temps de questionner la notion d’éco-festival que nous portons depuis plus de 10 ans.
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Les festivals peuvent être des éléments essentiels de la transition écologique parce que ce sont des lieux de récit uniques qui touchent directement les citoyen·nes. Mais nous voulons être sûr·es d’employer la bonne manière. Est-ce que les villages associatifs et les conférences ont réellement un impact ?
Même si la majorité du public vient pour voir Orelsan, on a envie qu’il reparte avec autre chose que la seule émotion de l’instant
Nicolas Fieulaine : Et je suis là parce que la méthode scientifique peut apporter des réponses, en mobilisant la psychologie, les sciences cognitives, les neurosciences et les sciences sociales. Parce qu’à mon sens, la science se doit de nourrir les expérimentations, la pédagogie, et les projets comme celui-ci.
La proposition était impossible à refuser. Pour un chercheur qui travaille sur la transition écologique, un festival est un terrain de jeu formidable. On y retrouve des publics très différents, parfois très éloignés de ces enjeux. Ça en fait un lieu crucial pour porter une transition désirable et changer les imaginaires.
Qu’est-ce qui fait du festival un espace si particulier pour sensibiliser les gens à l’écologie ?
Nicolas : Ce sont des moments hors du temps, une bulle hors du quotidien. On peut changer de posture et jouer avec les normes en toute confiance. Le temps d’un soir, d’un week-end ou d’une semaine, on expérimente un autre mode de vie et on questionne ses propres représentations sur l’eau, sur l’alimentation, sur le transport… On ne va pas forcément installer des toilettes sèches chez soi, mais c’est un premier pas pour découvrir des alternatives et réaliser qu’elles peuvent être désirables, qu’on n’est pas obligé·e de voir la transition écologique comme la perte d’un confort.
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C’est une expérience qui met en jeu le corps et les émotions, et c’est quelque chose qui peut être mobilisé pour sensibiliser
Julien : Terres du Son a toujours été pensé comme un espace d’expérimentation. Nous avons une base de public qui nous soutient et nous pousse à rester engagé·es, alors on se doit en retour de leur proposer de nouvelles expériences réfléchies. On évolue ensemble. Même si la majorité du public vient pour voir Orelsan, on a envie qu’il reparte avec autre chose que la seule émotion de l’instant.
Nicolas : Il y a évidemment les moments forts des concerts, mais il y a aussi tout ce qui est autour : les files d’attente, le camping, les repas… Mis bout à bout, ça représente une expérience collective unique. Les festivalier·es arrivent avec un état d’esprit ouvert aux autres, à la musique, à de nouvelles choses. Ces moments d’ouverture sont très rares dans une vie. C’est une expérience qui met en jeu le corps et les émotions, et c’est quelque chose qui peut être mobilisé pour sensibiliser.
Comment ce projet va-t-il évoluer dans les mois et années à venir ?
Nicolas : Cette année, nous avons fait beaucoup d’observations et mené une centaine d’entretiens. Nous allons aussi lancer une étude par questionnaire plusieurs semaines après le festival destinée à étudier ce qui reste en mémoire une fois que chacun·e reprend le train-train quotidien. Je suis ravi que cette collaboration s’étende sur le temps long. Cela permet de mener un vrai travail créatif pour proposer et expérimenter des solutions inédites.
Julien : J’ai hâte de voir les résultats de cette première année. Nous allons pouvoir essayer de nouvelles choses dès 2024, et essayer d’améliorer ce qui se fait déjà. Il y a toujours des choses à améliorer pour que le public s’approprie les valeurs et les messages qu’on veut faire passer. À terme, l’objectif est de produire un document qui reprend nos expérimentations et les partager à tous les festivals qui veulent s’engager. Ça pourrait faire gagner du temps à pas mal de monde.